17. 2. Philippe Decrauzat au Plateau. Dimanche 20. 03. 2011. 18h00.
Séance du dimanche 20 mars à 18h 00. Philippe Decrauzat au Plateau.
Le Plateau se situe à l’angle de la rue des Alouettes et de la rue Carducci, 75019 Paris. Métro: Jourdain (11) ou Buttes-Chaumont (7bis). Bus: ligne 26 – arrêt Jourdain.
Visite de l’exposition monographique Anisotropy de Philippe Decrauzat, avec Xavier Franceschi, le directeur du Plateau, commissaire de l’expo.
+ fiche de l’artiste sur le site du Mamco, Genève. Représenté par la galerie Praz-Delavallade.
+ Exposition collective Echoes, au Centre Culturel Suisse, 28 janvier-10 avril 2011
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Decrauzat. «Le petit dernier des peintres post-abstraits»
«Dans une autre salle on va trouver trois pièces, le très beau polyptyque de Stephen Parrino que nous avons pu acquérir et qui est là pour faire le passage entre ce qui précède et aujourd’hui et qui est confronté à un grand tableau de Imi Knoebel, un tableau de bataille, et entre eux d’une façon étonnante on a accroché une pièce récente de Philippe Decrauzat. Au fond, ce soit trois générations de peintres post-abstraits qui s’enchaînent là, deux qui ont fondé leur travail par une violence faite à la peinture, violence réelle et violence symbolique, et le troisième qui regarde ça, du point de vue d’un désinvestissement de cette violence au profit d’un jeu optique inspiré de l’art cinétique ou de l’op art et de la naturalisation ou de l’appropriation par le dessin animé, la bande dessinée, le graphisme pop et post-pop de motifs abstraits ou l’ambiguïté de certains de ces motifs comme motifs figuratifs ou motifs abstraits. Donc on a des fondamentalistes qui n’y croient plus et qui ne croient à la peinture que sous la forme de la démonstration de la destruction de ce fondamentalisme et puis il y a le petit dernier qui incarne une génération qui n’y a jamais cru mais qui trouve son compte à jouer visuellement, avec infiniment de subtilité, de ces signes.» Christian Bernard. in La radio du Mamco, chapitre Conjonctions 6. A propos d’un accrochage d’une exposition au Mamco.
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Entretien de Philippe Decrauzat avec Aude Launay in 02, n°57. Extraits et liens
P. D. : « Gene Youngblood écrit en 1970, Expanded Cinema, et applique cette notion de champ élargi à la production cinématographique. De la diversification des médias à une expérimentation des espaces de projection, ce qu’il met en avant est «une métamorphose de la perception». En ce sens, je m’intéresse d’abord à la position du spectateur en réalisant des espaces aux qualités et aux potentiels différents qui ont souvent comme point de départ des questions provenant de la peinture. La première salle de l’exposition au Plateau sera entièrement investie d’une peinture murale réalisée à partir de la superposition de deux ensembles de lignes, peinture intitulée On Cover.
Provenant d’une couverture de la revue Scientific American de mai 1963, l’image source de ce wall painting introduisait un article sur les moiré patterns écrit par Gérald Oster qui travailla aux côtés de Stan VanDerBreek pour la réalisation du film Moirage.
Le moirage d’On cover
fluctue en fonction de l’espace et se développe comme une partition cinématographique appliquée à l’architecture. Les passages s’effectuent ici, d’une couverture de revue à un film expérimental à une peinture murale avec, comme dernières opérations, un zoom dans l’image, une suppression des couleurs et le déploiement du motif: la circulation d’une image qui est elle-même l’image d’une interférence.
Ces phénomènes proviennent d’une expérience physique et perceptive de modes de représentation graphique.
Parallèlement, il y a toute une production d’images qui ne découlent pas de l’observation du réel et qui sont d’origine physiologique comme, par exemple, le phénomène de persistance rétinienne qui permet de faire d’une succession d’images une animation. A en croire J.C. Ballard, il y a un chemin direct qui va du physiologique au fictionnel:
«Fiction is a branch of neurology: the scénarios of nerve and blood vessel are the written mythologies of memory and desire.» J.C. Ballard
Depuis quelque temps, je travaille sur une série de dessins recto verso composés de tracés répétitifs produisant des motifs ornementaux: un dessin en boucle qui parcourt la feuille sans interruption, accroché perpendiculairement au mur. Je ne peux m’empêcher de rapprocher ces méandres et constructions labyrinthiques des recherches de R. Smythies et Grey Walter* qui, au début des années 50, ont étudié les «images stoboscopiques» générées par l’observation d’une pulsation lumineuse. Ces expériences ont permis de réaliser un inventaire des formes consécutives «réelles et abstraites»: chevrons, constructions cristallines, damiers, méandres, nid d’abeilles, alvéoles hexagonales, spirales, mandalas… Etudes qui ont influencé Bryan Gysin et Ian Somerville dans l’invention de la Dream Machine qui, à l’instar du cut-up, leur a permis d’explorer l’insconscient et de trouver de nouvelles (dé)-constructions narratives, comme une impossible autonomie et une certaine capacité à assimiler les significations.
Contrairement à Bob Nickas qui pense que la peinture abstraite est peut-être devenue une forme de fiction, il m’arrive souvent de prendre des formes déjà chargées de fiction et de les injecter dans des constructions abstraites.
Q. : Ces questions provenant du champ de la peinture, révèlent ton intérêt pour les pratiques classiques de la perspective et du clair-obscur dont on retrouve des applications dans ton travail. Est-ce à dire, selon toi, qu’il existe un corpus d’interrogations indépassables qui fraye avec la peinture?
P.D. : Ce sont des outils, des techniques de représentation que j’utilise pour créer une forme de distanciation mais, en aucun cas, je ne les envisage comme un corpus d’interrogations qui limiterait une pratique et qui appartiendrait à une histoire. Je pense à Slow Motion, une installation que j’ai présentée en 2009 chez Elisabeth Dee à New York,
http://www.elizabethdee.com/node/philippe-decrauzat?tpl=tpls/artists-artworks
constituée d’un ensemble de 6 tableaux triangulaires disposés sur les murs latéraux de la galerie. Ces tableaux, composés d’une succession de bandes blanches et de bandes rouges qui s’éclaircissent progressivement, reprennent une construction emblématique du modernisme mais entourent le spectateur, ils ne s’envisagent plus frontalement. La variation créée par le dégradé perturbe la netteté des bandes à la manière d’un effet d’éclairage ou d’un défaut de reproduction. A l’image d’un positif et d’un négatif, les deux murs peuvent se superposer et s’annuler. Je réalise une suite de Slow Motion pour le Plateau. Dans ce nouveau contexte, les variations dégradées seront augmentées, comme surexposées.
Q.: Le phénomène d’Anisotropie?
P.D.: Il s’agit d’une image trouvée dans un article de vulgarisation scientifique sur la possibilité de détourner les ondes de leur course. Une construction panoptique aveugle, vidée de son centre. L’anisotropie est la propriété d’être dépendant de la direction. Quelque chose d’anisotrope pourra présenter différentes caractéristiques selon son orientation. Une sorte de jeu pour envisager la succession des espaces. Le Plateau se développe en une séquence labyrinthique qui induit un aller-retour, je voulais utiliser certains principes qui permettent la «réversibilité» du parcours de l’exposition.
Q.: Les pulsations lumineuses, les effets de distorsion et d’éblouissement, le rythme des séquences et des coupes qui donnent forme à tes films, font écho à ta peinture pour laquelle tu détournais déjà ces techniques de déstabilisation. A l’instar des toiles et des sculptures qui attirent notre œil de spectateur jusqu’au déséquilibre, l’écran devient, selon tes mots, «une sorte de centre dans lequel viennent s’engouffrer les images». Y-a-t-il une métaphysique du trou noir?
P.D.: Dans les trois films que j’ai réalisés jusqu’à aujourd’hui, il y a chaque fois une composition image par image et en noir et blanc, ce qui crée un certain nombre d’analogies avec le film structurel et le flicker film.
http://www.flickerflicker.com/flash/WhatIsFlicker/WhatIsFlicker.html
«Grey Walter – who was soon to become the father of Artificial Intelligence – discovered that by using high-powered stroboscopes and experimenting with trigger feedback techniques where the flash was set to fire in synchronization with the brain’s rhythms, the brain is, “transformed temporarily to a different sort of brain. »
Ce qui m’intéresse dans le cinéma,
c’est sa dimension spatiale. L’écran, à l’image de certaines peintures, produit à la fois un effet centripète mais aussi centrifuge au moment où la lumière rebondit sur lui et se propage en modifiant notre perception de l’espace.
Le film Afterbirds (16mm, noir et blance, 4 mn 15) est composé des images du générique des Oiseaux d’Hithcock. Chaque image a été isolée et retravaillée par l’augmentation du contraste et la suppression des éléments textuels. La séquence est réalisée par des procédures de permutation et de décomposition des mouvements initiaux. Les battements des ailes, réduits à l’état d’ombres ou de silhouettes, opèrent des mouvements de gauche à droite et de haut en bas pour offrir une description paranoïaque de l’écran qui s’étend à l’espace de projection.
Q.: Tes deux nouveaux films présentés au Plateau sont en couleurs et traduisent chacun un aspect de la modernité quelque peu effrayante: l’image et l’argent tout-puissant, angoisses encore très contemporaines. Peux-tu en dire plus sur le choix des deux films comme répertoire d’images dans lesquels puiser?
P. D.: En ce qui concerne Farenheit 451 de Truffaut, je me suis uniquement intéressé au générique qui a la particularité d’être récité et non écrit, réalisant un lien direct avec le dénouement de la narration sur l’art de la mémoire et l’oralité. Il s’agit d’une succession de 17 plans qui montrent des zooms avant sur des antennes, colorisés, par la suite, de manière monochrome. Ce sont les antennes qui se trouvaient sur les toits des studios, elles ont été filmées à la toute fin du tournage. Une analogie se crée entre les couleurs, le système orthonormé des antennes, la transmission et la réception.
De Dreams that money can buy de Hans Richter, j’ai utilisé de courtes séquences montrant un tapis de jeu de cartes couvert de mises comme autant de compositions géométriques. Il s’agit du dernier épisode réalisé par Richter, la couleur y revêt une fonction symbolique de transformation et de dédoublement. C’était enfin l’occasion pour moi de tester un mode de montage aléatoire et frénétique, une accélération qui sera au centre du parcours.
http://www.gerardcourant.com/index.php?t=ecrits&e=94
http://www.archive.org/details/dreams-that-money-can-buy
http://www.archive.org/details/dreams-that-money-can-buy?start=3659.5 http://www.ubu.com/film/richter.html
Autres références de flicker films
Peter Kubelka: http://www.youtube.com/view_play_list?p=65DC27B65E5F57EB
Paul Sharits: http://www.ubu.com/film/sharits.html
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Eléments extraits du cahier A4 édité par Le Plateau pour l’exposition Anisotropy
Extraits du texte de présentation de Xavier Franceschi augmenté des éléments descriptifs salle par salle.
«Pour son exposition au Plateau, Philippe Decrauzat propose de toutes nouvelles productions, dont certaines adaptées très précisément à l’architecture, pour un parcours largement dominé par les motifs d’ondulation et de pulsation. Dans un contraste radical entre salles obscures —présentant deux nouveaux films— et salles violemment éclairées, on découvre tout d’abord,
[salle 01],
une peinture murale englobante —On Cover, 2011— aux renversants effets de moirage pour un espace comportant au sol, un ensemble de sculptures en béton, titré, Méthode d’objectivation critique (dispersion), 2011, issues d’une décomposition (et recomposition) des éléments courbes de la chaise n° 14 de Thonet, —«créée en 1859, emblématique de l’avènement de la production industrielle de mobilier et de la mise en œuvre d’un système de design modulaire. Sa conception tient à l’invention d’une technique de mise au point par Thonet, dans laquelle le bois peut se courber par l’action de la vapeur d’eau». On Cover est «un générique graphique et spatial» au film projeté:
[salle 02]
et d’un processus. L’espace s’est dilaté (par en-dessus, par en-dessous) et le temps aussi, 2011], fait d’après le générique de Farenheit 451 [voir descriptif plus haut].
[salle 03],
un large plateau aux allures de mur renversé à l’horizontale présente Anisotropy, 2011, une étrange sculpture en aluminium aux motifs parallélépipédiques concentriques, reproduction détournée d’un objet scientifique permettant de provoquer l’annulation de la propagation des ondes de l’eau, objet produit dans le cadre d’un vaste projet de recherche pour rendre invisible la matière. D.T.A.B.T.W.H.A.H.E., 2011, est un dessin recto verso fixé perpendiculairement au mur [voir plus haut].
[salle 04]
[l'installation picturale (Slow Motion, 2011)]
à traverser, et où s’opposent en vis à vis une série de peintures aux rayures noires et blanches avec dégradé alterné provoquant sur le visiteur, par ces effets d’optique, un véritable déséquilibre, —«Decrauzat, suggère moins un prolongement du motif au-delà de la toile, à la manière du Zip de Barnett Newman, vers un «au-delà» de la peinture, mais les effets d’un autre art, le cinéma; séquençage et défilement d’images fixes, effet de fondu-enchaîné, de travelling multidirectionnel (avant-arrière, vertical-horizontal-, de ralenti… dans ce qui est un espace de transition [vers la dernière salle de projection]. [référence évoquée:] Le cinéaste Ernie Gerh a traité cette dimension claustrophobique dans Serene Velocity
[salle 5]
L’exposition est [donc] ponctuée par un deuxième film en couleur, And to end, 2011, construit d’après des extraits du film expérimental d’Hans Richter Dreams than money can buy [voir plus haut]: l’image fait apparaître et disparaître une série de jetons colorés qui multiplient sur un mode pulsatoire les combinaisons à l’écran. En d’autres termes, précisément sur ce principe ludique qui à plus d’un titre, fonde son travail —le jeu à l’égard des œuvres du passé pour un clin d’œil on ne peut plus approprié; le jeu en tant que tel, façon casino. Philippe Decrauzat nous fait vibrer, avec ces simples ronds de couleur, au rythme des clignotements d’un des signes premiers de la modernité. Le visiteur est ici comme situé, non pas à la fin mais au cœur même de l’exposition, dans son centre de gravité.»
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Addendum. Abstraction. L’art concret.
Dans le court extrait vidéo inscrit dans le panneau d’introduction à son exposition au Centre Pompidou, mars 2011, Morellet reprend la notion d’Art concret, qu’il attribue à Van Doesburg*, et son statement qu’il reprend à son compte : «Une œuvre d’art conçue avant d’être exécutée et exécutée d’une façon précise et neutre.» Dans le catalogue de l’exposition, une photo reproduite montre Morellet aux côtés de Max Bill. Si l’on se réfère à un document édité par le Centre Pompidou (fiche de consultation des collections permanentes faites dans les années 80, à propos de l’Abstraction en France, les années 60: abstraction géométrique), on lit au verso de la fiche, au paragraphe
«L’art abstrait et ses logiciens.
Ancien élève du Bauhaus, Max Bill (1908-1994) est l’auteur de la célèbre notion d’ »art concret »*, qui définit bien ce que sa recherche a de plus spécifique: « L’art concret est l’expression de l’esprit humain, il doit posséder cette acuité, cette clarté et cette perfection qu’il faut attendre de l’esprit humain. » Les œuvres de Bill, comme Groupe de lignes autour du blanc (1969-70) sont l’expression graphique d’un intellect. En 1932, l’artiste commença la méthode des variations pour approcher l’essence d’une forme et ses possibilités. La série des lithographies de 1937 (15 variations sur un même thème) entend donner au spectateur « la possibilité de contrôler les opérations et de lui faire entrevoir les méthodes qui donnent naissance à l’œuvre d’art ».
De même Lohse (1902-1988) s’intéresse au phénomène de la variation et de la série, mais dans le domaine de la couleur (6 bandes horizontales comportant chacune 6 groupes de couleurs…. 1950-62). Ses œuvres produites selon les règles d’une pure combinatoire, proposent un équivalent coloré des structures créées par les sociétés industrielles contemporaines, afin d’en favoriser symboliquement et concrètement l’extension. [...] Morellet (1926) cofondateur du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel) propose au spectateur, par des titres généralement explicatifs, de comprendre la loi de formation d’une œuvre. Ses tableaux sont souvent l’application particulière d’une règle qu’il s’agit de retrouver pour penser et réaliser d’autres variantes visuelles (Du jaune au violet, 1956). A la différence de Max Bill, Morellet recherche la conciliation de la rigueur des règles avec l’aléatoire, comme dans Répartition aléatoire de vingt-quatre carrés noirs et blancs… (1958).
*Sur une autre fiche du Centre Pompidou, années 80 intitulé: Abstraction/Création 1931-1936, on lit le paragraphe «Un front de résistance. En 1930, la décomposition des mouvements d’avant-garde en Europe nécessité un regroupement des artistes pour que les acquis fondamentaux de l’art abstrait du début de ce siècle (1910-1920) puissent être défendus et approfondis. Les dirigeants d’Abstraction/Création, Herbin et Vantongerloo —[le mouvement est né à Paris en 1931, d'une fusion de deux groupes opposés d'artistes abstraits, Cercle et Carré dirigé par Seuphor et inspiré pour l'essentiel par la spiritualité des peintures de Mondrian, et Art concret, animé par Van Doesburg]— par leur influence et leur tolérance, surent faire respecter les différences au sein du groupe. Abstraction/Création organisa de nombreuses expositions, fit paraître une revue jusqu’en 1936, grâce à la ténacité de Herbin, publia des monographies d’artistes. Il eut un rôle déterminant dans la diffusion internationale de l’art abstrait, aux Etats-Unis, en Italie et en Grande-Bretagne. [...] Arp joue un rôle fondamental dans le mouvement.
[...] Moholy-Nagy rédige dès 1922 un manifeste Système des forces dynamo-constructif et dont la première œuvre lumino-cinétique le Modulator espace lumière date de 1931: « fouiller les nouvelles dimensions de la société industrielle et transposer en orientations émotionnelles ces nouvelles découvertes. »"
Ultime lien vers l’exposition très particulière de monochromes de Jonathan Monk