01. Christophe Bruno, net artiste
Mercredi 24 octobre 2007
Présentation par Nicolas Thély.
Christophe Bruno
Second Night est le titre de l’exposition très temporaire que Christophe Bruno a imaginée à l’occasion de la 6e édition de Nuit Blanche le 6 octobre 2007 à Paris. Associé au jeune commissaire Daniele Balit, il a présenté dans une salle de l’hôtel d’Albret une dizaine d’œuvres dont celles de Claude Closky, Agnès de Cayeux et Miltos Manetas. Mais l’essentiel se passait sur le réseau lui-même, dans l’espace d’exposition construit spécialement sur Second Life par Ignazio Mottola. Ce soir-là, il y avait foule dans les espaces virtuels alloués aux artistes: les « résidents » pouvaient visionner des films et expérimenter les œuvres sous un jour nouveau, tourner autour des gifs animés de Closky comme on peut se déplacer autour d’une sculpture, investir l’espace convivial d’Agnès de Cayeux, ou tomber nez à nez sur Super Mario sleeping, l’œuvre phare de Miltos Manetas.
En imbriquant astucieusement l’espace réel et le virtuel de Second Life, cette exposition apparaît aujourd’hui comme une des premières réponses artistiques et curatoriales vraiment pertinentes aux nouvelles donnes du Web à l’heure des mondes persistants.
C’est en 2001, en détournant le service Google Adwords que Christophe Bruno a fait irruption de manière tonitruante dans le champ de l’art. Aimant particulièrement se mesurer aux robots de Goggle et de Yahoo, il envisage le Web comme un texte à réagencer en permanence. Aussi, s’il s’applique à révéler les dispositifs et les mécanismes invisibles à l’œuvre sur le réseau, il s’emploie, dans la plupart de ses productions, à rendre tangibles les différentes données du monde comme par exemple dans la performance Human browser, dans laquelle il dirige à distance un acteur muni d’un casque audio qui doit répéter des bribes de phrases recueillies depuis Internet.
En reprenant les technologies de reconnaissance d’images, sa dernière création Logo.Hallucination consiste à détecter des formes subliminales de logos cachés dans les œuvres d’art ou bien dans les images qui circulent sur le réseau. Non sans humour, Christophe Bruno affiche une nouvelle ambition: surveiller en continu le Web et plus précisément les images de l’Internet.
Christophe Bruno est né en 1964. Il vit et travaille à Paris. Son travail a été primé au festival Ars electronica (Linz, 2003), à l’ARCO (Madrid, 2007), et au Share Festival (Turin, 2007). Il est représenté par la galerie Sollertis (Toulouse).
Sites de Christophe Bruno:
http://www.christophebruno.com
http://www.iterature.com
http://www.unbehagen.com
http://www.wifi-art.com
http://nbsl.blogspot.com
Site du blog de l’Art des nouveaux médias (Ensad/Université Paris 8):
http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=38
Télécharger la somme des articles écrits sur cette conférence par les étudiants en pdf
Le déroulé de la conférence
Notes, citations, bibliographie, index des noms cités, enregistrement vidéo
I. Premier temps de l’exposé: La place de la programmation dans le travail de Christophe Bruno
1. Présentation par Nicolas Thély, introduction par Christophe Bruno
2000-2001: Christophe Bruno démarre au moment du crash de la bulle internet, on est encore dans le web.1. De nouveaux acteurs commencent à émerger: Google, Amazon, etc.
Captation par l’Ensad, 24.10.2007
Bibliographie
GRANCHER, Valery, http://www.nomemory.org/data2/indexf.htm
COSIC, Vuc, SHULGIN, Alexei, BUNTING, Heath, « artistes fondateurs du net.art (1995-1998), se réclament de l’esthétique pirate, l’esthétique de hacker », in
GREENE, Rachel, L’art Internet, Thames & Hudson, L’univers de l’art, Paris, 2005, chapitre 2, « Isoler les éléments », pp. 73-117
BEY, Hakim, TAZ, zone autonome temporaire, L’Éclat, Paris, 1997
http://www.lyber-eclat.net/lyber/taz.html
2. Quatre pièces: Epiphanies, 2001; Le Google AdWords Happening, 2002; Fascinum, 2001; Logo. Hallucination, 2006;
Epiphanies, 2001
Epiphanies est la première pièce de net.art (google hack) de Christophe Bruno
http://www.iterature.com/epiphanies/index.php3
L’épiphanie définie par James JOYCE: « toute apparition extérieure de la mentalité, par quoi nous nous trahissons ».
CB: « L’état d’esprit [dans cette pièce] n’est pas de faire un générateur de texte […] mais c’est vraiment l’attitude de se positionner comme un parasite d’une structure globale qui est en train d’émerger —Google— et qui contient dans sa base de données l’ensemble de toutes les paroles de l’humanité. La question de la globalisation du langage est très importante. Je me rends compte qu’on entre dans une phase où la totalité du langage, l’ensemble de toutes les paroles, de tout ce qui peut être dit, peut être considéré comme un objet, de l’ordre du readymade que mon programme vient pêcher, détourner. […] Une partie de mon travail sur le site s’appelle « iterature ». Il est consacré à des choses purement textuelles.”
Bibliographie
LACAN, Jacques, Le Séminaire, Livre 23, Le sinhome, « La piste de Joyce », Seuil, Champ freudien, 2005
BENJAMIN, Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris 2003
Le Google AdWords Happening, 2002
Deuxième pièce: Le Google AdWords Happening, 2002
http://www.iterature.com/adwords/index_fr.html
CB: « Si vous les allez sur l’interface de Google et si vous tapez un mot, vous avez sur la gauche, les résultats du moteur de recherche et vous avez sur la droite quelque chose qui est très courant maintenant, qui est une liste de liens commerciaux. Google sort ce système-là, adWords, en 2002. Le principe est que n’importe qui, avec sa carte bleue, peut ouvrir un compte et commencer à faire de la publicité pour son site en achetant, en louant des mots-clés. Ainsi par exemple, la société Ford a acheté ou loué le mot « voiture ». Si je clique, je vais sur le site de Ford et Ford reverse des royalties à Google. C’est par ce système-là que Google est entré en bourse. C’est par ce système-là Google AdSense que Google est la marque la plus importante au monde. Donc à l’époque, j’ouvre un compte sur Google et au départ, j’ai l’intention de faire de la publicité pour mon propre site:
http://www.unbehagen.com/index.php?lang=fr. Mais assez vite, j’ai la sensation qu’on est entré dans un univers assez étrange et je vais commencer à acheter toute une série de mots et à diffuser des textes pour détourner les systèmes des AdWords et voir ce qui se passe. Je paie 5 dollars avec ma carte bleue et je commence à acheter des séries de mots-clés. Le premier mot-clé, c’est le mot « symptom » et le tout premier texte que je poste c’est : « Words aren’t free anymore | bicornuate-bicervical uterus one-eyed hemi-vagina ». Chaque personne, dans le monde, qui tape le mot-clé « symtom », voit apparaître ce texte étrange, cette épiphanie et clique sur l’annonce ou pas. Ce qui est extraordinaire, c’est que Google me donne toute une interface d’administration qui me permet de suivre l’efficacité de mes performances « poétiques », parce que le but n’est pas de faire des exercices littéraires, mais de pousser le système dans ses retranchements. Je commence à lancer des campagnes de publicité poétique ciblée, parce que je me rends compte que je peux intercepter au vol la pensée des gens. Je suis devant mon ordinateur, j’achète un mot, et chaque personne qui pense ou qui tape sur Google, qui cherche quelque chose sur Google —ce sont des millions de personnes à chaque instant— voit apparaître ce texte étrange et je peux l’intercepter dans sa recherche utilitaire. Le premier mot-clé: 5517 personnes ont vu le mot « symptom », 16 personnes ont cliqué, donc j’ai payé 80 cents […]
Mon but est de faire une sorte d’analyse du spectre du langage, c’est-à-dire d’observer les réactions de chaque personne à chaque mot, à chaque texte. C’est un projet fou, mais c’est ce qu’il y a dans la base même de données de Google. Google sait cela. Il est capable de savoir cette chose-là. Donc moi, en tant que parasite de Google, je ne vais pas aller très loin, d’autant plus qu’au bout de la quatrième campagne, le tout se déroulant sur 24 heures, je reçois des emails automatisés de Google. Le premier me dit : ‘nous pensons que le contenu de vos annonces ne reflète pas précisément le contenu de votre site web, nous vous suggérons de réécrire vos textes, pour indiquer précisément la nature des produits que vous offrez’. Je trouve assez drôle qu’un robot critique ma poésie. Je reçois un deuxième mail plus intéressant: ‘Je suis le moniteur de contrôle de la performance de GoogleAdwords. Mon travail est de garder un taux de clics élevés de sorte que les utilisateurs puissent continuer à se fier au système Adwords. Et vous, vous avez reçu un taux de clics trop bas et donc nous sommes obligés de vous demander de réécrire et d’augmenter l’efficacité de vos annonces. Ensuite, en regardant sur mes statistiques, je me suis rendu compte que les gens de Google commencent à aller sur mon site et à essayer de voir ce qui s’y passe et mon compte est coupé manuellement. C’est à ce moment-là que je réalise qu’ils me coupent dans ma performance, dans mon élan et qu’on est entré dans une phase nouvelle que j’appelle ‘capitalisme sémantique généralisé’, où chaque mot de chaque langue a un prix. Le mot ‘sexe’ vaut 3600 dollars, le mot ‘art’ vaut 410 dollars, le mot ‘net.art’ vaut 5 cents. Les mots sont fonction de la demande, de l’intérêt. Le mot le plus cher c’est ‘free’, ‘gratuit’. Je réalise que cette censure n’est plus une censure éthique, mais une censure purement économique : mes poèmes ne sont pas rentables et donc je mets en péril la dynamique globale de ce système. Sur ce site, je donne les lois de Google, je parle du prix de quelques mots, […], le prix de quelques personnes célèbres […]. J’envoie ce texte sur un portail de net.art qui s’appelle rhizome http://rhizome.org/. C’est une révélation pour moi et pour les gens du réseau, le fait que les mots aient un prix, que la partie la plus intime de ce que l’on est, les mots, la parole, puissent être des marchandises sur un nouveau marché du langage. Et en même temps, cette performance me permet pour la première fois d’être exposé. Cette pièce-là est diffusée et le deuxième effet de la performance est que des milliers de visiteurs viennent voir cette page et très vite on me propose de venir exposer dans des festivals nouveaux médias à travers le monde et ça démarre très vite. Avant cela je ne suis pas vraiment dans le monde artistique, j’étais un artiste amateur et après cette pièce, j’entre dans un monde que je ne connais pas encore et je deviens artiste. C’est vraiment une pièce de transition. C’est donc une pièce sur la question du marché des mots. »
Fascinum, 2001
CB: « Une autre pièce que je fais en 2001. C’est un hack de Yahoo:
http://www.unbehagen.com/fascinum/
C’est une pièce sur la question du marché du regard. Fascinum vient détourner en temps réel les portails Yahoo. En octobre 2001, je remarque que Yahoo s’amuse à comptabiliser, à archiver les photos d’actualité les plus consultées dans les différents pays. Je fais donc un programme qui va scanner ces pages et mettre ces photos ensemble. C’est une pièce en temps réel. Quand il y a un événement à l’échelle globale, un tsunami, une guerre, en quelques heures la page se couvre entièrement de photos. C’est une pièce qui en un clin d’œil montre les sujets de fascination de l’humanité, à la fois sur la question de la pensée unique mais qui serait toujours fluctuante, une pièce panoptique, en référence au système panoptique de Jeremy Bentham, philosophe de la fin des Lumières, qui a inventé une prison panoptique où le gardien peut surveiller d’un seul clin d’œil l’ensemble des prisonniers. On peut comparer Internet à un univers panoptique où la question de la surveillance est extrêmement forte. C’est une pièce qui montre le regard et le comptabilise. »
Bibliographie
Revue d’esthétique, « Autres sites Nouveaux paysages », n° 39, Place, 2001, Paris. Anne Cauquelin, professeur d’esthétique et de philosophie, de la Revue d’esthétique, a préparé ce numéro avec la collaboration d’Anne-Marie Duguet et de Jérôme Glicenstein, auteur de l’article « Le paysage panoptique d’Internet. Remarques à partir de Jeremy Bentham ».
BIANCHINI, Samuel, If I were you, depuis 2000, http://www.iiwu.org/
Logo. Hallucination, 2006
« Ces deux pièces Adwords et Fascinum constituent la première partie de mon travail. L’hybridation de ces deux pièces, six ans plus tard, a donné une autre pièce qui s’appelle Logo. Hallucination. Autant dans le Adwords, je suis une victime de Google, autant dans cette pièce-là, j’essaie d’inverser les choses, et de me poser la question suivante: on a vu l’émergence d’une stucture globale qui s’appelle Google qui a en quelque sorte privatisé le champ du langage. Que se passe-t-il par rapport à la question de l’image? Sur le web, le langage est vraiment la matière première très accessible. Par contre, l’image, c’est très difficile. Les moteurs de recherche ont beaucoup de mal à détecter ce qu’il se passe à l’intérieur. Qu’est-ce que serait une société qui viendrait privatiser le regard, l’univers de l’image. Le statement de Logo.Hallucination est donc: La dynamique économique de l’hallucination collective nous conduit-elle vers une privatisation du regard ? Cette pièce a été lancée pour les Rencontres Paris-Berlin, en octobre 2006, avec une bourse du Dicréam
http://www.art-action.org/fr_info.htm
http://www.logohallucination.com/concept/?lang_view=fr
C’est aussi une rencontre avec un développeur et mathématicien roumain Valeriu Lacatusu qui travaillait sur les réseaux de neurones. L’idée étant d’utiliser des réseaux de neurones (technologies de reconnaissance d’images) afin de détecter des formes subliminales de logos ou d’emblèmes, cachées (le plus souvent involontairement) dans l’environnement visuel ou dans l’ensemble des images de l’Internet. Le principe est qu’on a d’une part un moteur qui scanne en permanence toutes les images d’internet. Ensuite il y a un programme qui analyse chaque image et qui la décortique, qui analyse les contours de l’image et ensuite il y a ce qu’on appelle un réseau de neurones qui essaie à partir d’une base de données de logos de reconnaître si un logo est présent ou non dans l’image. Les réseaux de neurones sont des choses extrêmement complexes mais qui vont devenir une technologie de surveillance, de profiling très efficaces. Par exemple, si vous demandez un crédit à une banque, il est très possible que votre profil soit passé dans un réseau de neurones. Le principe d’un réseau de neurones est un système qui apprend : en fonction d’un panel de profils, le réseau de neurones va apprendre lui-même et en fonction des événements qui se sont arrivés dans votre vie va arriver à dire si vous êtes quelqu’un de fiable, si vous avez un crédit ou pas. C’est quelque chose qui va être présent dans la vie de tous les jours. Les meilleurs résultats sont archivés sur le weblog http://www.logohallucination.com. Dans une peinture de Vermeer, on reconnaît le logo d’Atari etc… […] Chaque fois qu’un logo est trouvé, un mail automatique est envoyé au propriétaire de l’image en ces termes:
‘Madame, Monsieur,
Nous vous informons que notre programme de surveillance automatisé à détecté une violation potentielle du Code de la Propriété Intellectuelle dans l’image numérique située à l’adresse […]. En effet cette image comporte une représentation totale ou partielle du logotype de la marque XXX.
Etant donné que vous êtes responsable de la diffusion de cette image sur Internet, nous nous permettons de vous rappeler que le fait de reproduire ou de représenter des images sans autorisation, est punissable sur le plan civil par une condamnation à des dommages et intérêts, calculés au cas par cas.
Nous vous suggérons par conséquent de contacter immédiatement et éventuellement par notre intermédiaire, la société XXX afin que nous négocions avec eux un contrat amiable qui permettrait une régularisation de cette situation, selon les éventualités suivantes:
Cas N° 1) Vous pouvez vous faire rétribuer par la société XXX dans la mesure où cette situation correspond à une situation de promotion publicitaire pour la marque XXX. Dans ce cas vous devez indiquer explicitement la référence à la société XXX en rajoutant son logo à coté de l’image susdite et insérer un lien vers le site de cette société.
Cas N°2) Vous souhaitez continuer l’exploitation et la diffusion de votre image sans faire mention de la société et dans ce cas vous devrez vous acquitter de droits de reproduction et de diffusion auprès de cette société dans la mesure où celle-ci vous autorise à continuer l’exploitation et la diffusion de votre image.
in http://www.logohallucination.com/concept/?lang_view=fr
Les images trouvées sont accessibles depuis ce weblog, qui propose une mise en relation entre l’original d’une part et, d’autre part, la marque et son logo. http://www.logohallucination.com
II — Deuxième temps de l’exposé (2002-2006)
« La problématique de la question de l’humain et du retour à l’objet, en particulier la problématique de l’exposition. La manière d’exposer mes premières pièces se réduisait à un écran d’ordinateur qui exposait une page web […] J’ai fait un certain effort pour réorienter mon travail et arriver à quelque chose au format galerie d’art contemporain, mais sans tomber dans la production de produits dérivés avec les questions esthétiques sous-jacentes que cela pose. »
1. Le Web.2 [insert]
CB: « A l’époque du Web.1, c’est le contenu qui est vendu, qui est montré sur internet qui a de la valeur. Une société qui vend des livres va être valorisée en fonction de la richesse de son catalogue. A partir de 1999, —les précurseurs sont Amazon, Yahoo—, il y a un nouveau type de société qu’on appelle aujourd’hui Web.2, qui apparaît avec des idées complètement nouvelles. Par exemple, Amazon dit: ‘je vends des livres mais ce qui va faire la richesse de ma société, ce n’est pas la taille de mon catalogue, mais ce que vont dire les utilisateurs de mon catalogue, c’est le retour que je vais avoir sur mon catalogue de la part de mes utilisateurs. Ils inventent ce qu’on appelle le Mashop utilisateurs. Quand vous allez sur le site d’Amazon, Amazon vous dit : ‘vous avez acheté ce livre, mais telle autre personne qui a acheté ce livre est aussi intéressée par tel autre livre. Donc vous aussi, cet autre livre peut vous intéresser. Donc la valorisation d’Amazon ne se fait donc pas en fonction de son catalogue mais du fait que le consommateur est lui-même transformé en un producteur, —du fait même qu’il utilise le catalogue—, de nouvelles richesses pour Amazon. La transformation du consommateur en producteur, c’est aussi quelque chose qui a un écho dans l’art contemporain. »
2. La Long Tail
« Ce que l’on montre dans le Web.2, c’est la Long Tail, introduit en 2004, par Chris Anderson dans un article de la revue Wired, [qui remarquait qu’un nombre relativement petit de weblogs ont de nombreux liens web pointant vers eux, alors que la longue queue composée de millions de weblogs n’ont que peu de liens qui pointent sur eux. Elle désigne l’ensemble des produits de fonds de catalogue (livres, disques, DVD…) qui se vendent en proportion réduite, mais dont la somme des ventes pourrait collectivement dépasser la vente des produits les plus populaires.] Par le fait que des sociétés comme Google, Amazon arrivent à savoir, à suivre à la trace le désir intime de l’utilisateur, et c’est cette matière première, ces besoins, ces désirs de l’utilisateur — pour Blogger, toute cette intimité qui est déversée tous les jours par les millions de bloggers —, qui sont analysés par des programmes qui scannent ce texte global, intime, pour optimiser son système Adwords, Adsense. C’est par vous, par votre exhibitionnisme, que Google est devenue la marque la plus puissante du monde. C’est ça qu’on appelle la Long Tail. A gauche, un objet vendu à un grand nombre de consommateurs, à droite, la Long Tail, chaque consommateur va recevoir l’objet attaché à son désir. C’est ce qu’on appelle l’infinité des marchés de niches, qui a été redécouvert avec l’internet, au moment où l’on s’apercevait que le réseau internet, mais aussi n’importe quel réseau, n’avait pas une structure aléatoire mais aristocratique. Les gens ont commencé à calculer le nombre de liens qui pointaient vers les weblogs. Un certain nombre de très très gros weblogs, de très gros sites, peu nombreux avaient un très très grand nombre de liens qui pointaient vers eux. Il y avait un peu plus de weblogs qui avaient un peu moins de liens et à la fin, il y avait un très très grand nombre de sites qui avaient très peu de liens, mais qui étaient dans un nombre phénoménal. Cette vision du réseau aristocratique est l’équivalent du graphique de la Long Tail ou à gauche il y a très peu de sites qui concentrent le regard et un très grand nombre de sites que personne ne va voir. C’est l’objet d’une révolution totale dans la science qui a été apportée par un mathématicien qui s’appelle Albert-Lazlo Barabasi. Tout réseau a tendance à évoluer vers une telle configuration. C’est à la fois une théorie scientifique et une idéologie. »
Bibliographie
BARABASI, Albert-Lazlo, Linked:How Everything is Connected to Everything Else and What it Means for Business, Science and Everyday Life, Plume (un membre de Penguin Group), New-York, 2003
http://www.chsrf.ca/knowledge_transfer/pdf/digest_20060525_f.pdf
3. « La taylorisation du discours »
« En 2004, j’éprouve le besoin de sortir de l’écran, d’aller dans la rue, de retrouver le lien avec des choses qui sont de l’ordre, de l’humain, de l’objet. »
Du temps de cerveau humain disponible (Hommage à Patrick Le Lay), installation internet pour chaîne de télévision et comédien assisté par ordinateur, octobre, 2004, Nuit blanche, Paris.
http://www.iterature.com/lelay/fr
Cette pièce s’appellera ensuite Le Navigateur humain.
http://www.iterature.com/human-browser/fr/
Session 1: Le Navigateur humain, Paris, le 29 mai 2005, à l’occasion des élections européennes.
« Prendre le contre-pied du feu d’artifice technologique qu’on voit parfois dans les nouveaux médias et de se débarrasser complètement, de se couper de l’idée d’interface. L’interface c’est la voix humaine. C’est revenir à l’esprit low-tech des premiers net.artistes.
Session 2: La Nouvelle Pythie, 2e nuit blanche, 1er octobre 2005
Session 3: Le Navigateur humain, Galerie Sollertis, Toulouse, 10 janvier 2006
Session 4: Le Navigateur humain, Festival Transmediale, Berlin, 2-5 février 2006
Session 5: Le Navigateur humain, Sydney Festival, 5-20 août 2006
Session 6: Le Navigateur humain, Abbaye de Noirlac, 23 septembre 2006 (« Les futurs de l’écrit »)
Session 7: Le Navigateur humain, FuturFilmFestival, Bologne, 19 janvier 2007
Session 8: Le Navigateur humain, remporte le Share Festival, Turin, 23-28 janvier 2007.
Christophe Bruno commente la vidéo à Transmediale (sur la page du site du Navigateur humain) www.iterature.com/human-browser/fr/.
La vidéo de la performance est sur Youtube:
http://www.youtube.com/watch?v=EykmWcNKd1A&eurl=http://
Les premiers jeunes gens à qui s’adresse la comédienne sont les Yes Men, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno (http://theyesmen.org/)
4. Wifi-Sm, 2003-2007
La pièce est créée en 2003, à la Biennale d’art contemporain de Tirana.
http://www.unbehagen.com/wifism/index_fr.htm
http://www.christophebruno.com/?p=43
Inspirée de la machine à fouetter de Jeremy Bentham à rebours de sa rêverie prospective du web : « toutes les actions humaines devraient être comptabilisées et emmagasinisées dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une base de données et optimisées pour que le bonheur de l’humanité soit lui-même optimisé, selon cette expression, ‘Le plus grand bonheur du plus grand nombre’. Inspirée aussi de Stanley Milgram, de l’expérience de soumission à l’autorité. Illustré dans le film ‘I’, comme Icare. Milgram est aussi l’inventeur du concept de Small World. »
La pièce est lancée en 2003, sous forme de page Web pour vendre un produit qui n’existe pas et reçoit des millions de visiteurs.
En 2006, elle devient un prototype qui s’expose, en janvier 2006, à la galerie Sollertis à Toulouse. C’est une sorte de bracelet de prisonnier.
http://www.unbehagen.com/wifism-for-real/
Elle est reprise à la Nuit blanche, à Paris, en octobre 2006.
http://www.nettime.org/Lists-Archives/nettime-fr-0610/msg00005.html
L’idée du Mashup, du retour, de cette boucle, est très présente comme la critique de l’apathie devant les médias.
5. Second Night, Nuit blanche sur Second life, Paris, octobre 2007
http://nbsl.blogspot.com/
Commissaire associé Daniel Balit. Architecte de l’espace physique Ignazio Mottola.
Artistes: Andreas Angelidakis (pionnier des mondes virtuels, architecte, qui fait partie de l’univers Neen de Miltos Manetas), Christophe Bruno et David Guez, Agnès de Cayeux, Claude Closky, Alain della Negra et Kaori Kinoshita, Yona Friedman, Valéry Grancher, Etienne Joubert, Miltos Manetas, Second Front (dont l’un des membres Patrick Lichty est l’un des Yes Men).
CB : « Dans l’univers Art internet, —je parle des mouvements artistiques et non des catégories, il y a le net.art, le Software Art et il y a Neen, qui se revendique du Pop art. Miltos Manetas présentait Super Mario Sleeping, 1997, dont les ronflements sonorisaient l’exposition. »
CB montre et commente quelques-unes des pièces:
« Le statement de l’exposition était quelque chose d’assez critique par rapport à Second Life, univers onirique, fascinant mais qui est aussi un miroir de la société dans laquelle il y a une monnaie, une industrie du sexe et où la question de la délation est très présente. Crimes incartades et punitions de chaque avatar sont délivrés en temps réel sur une page de Second Life.
Le bureau des délations (2005) de Valéry Grancher s’inscrit là-dedans.
http://nbsl.blogspot.com/2007/10/valry-grancher.html
http://www.nomemory.
Etienne Joubert, avec Artiste sans tête, 2007, travaille la coupure entre réel et virtuel. L’avatar sans tête se promène dans l’exposition, tandis que la tête construite en origami est exposée sur un socle.
http://nbsl.blogspot.com/2007/09/site-internet-httpwww.html
http://ordigami.net/
[…]
Second France (CB + David Guez) invite à acheter des parts de territoire de Second Life mais divisés en parcelles conceptuelles. L’idée est de créer une utopie après la fin des utopies. »
III. Questions de la salle
Questions
Cette position « engagée » vous a-t-elle déjà posé des problèmes?
Internet est-il sur le mode panopticon ou synopticon ?
Comment vendre des pièces qui s’approprient logos et images d’œuvres existantes?
Comment vendre des pièces éphémères, fluctuantes?
Comment maintenir des œuvres faisant appel à des serveurs distants, des moteurs de recherche, pouvant modifier leurs interfaces, leurs technologies?
Ainsi Google repère certaines des pièces de CB (Dreamlogs) (http://www.iterature.com/dreamlogs/) comme « des virus ». CB met en place des procédures de updating sur son propre serveur auquel sont connectées les œuvres possédées par des collectionneurs.
Faites-vous appel à des collaborateurs développeurs?
Votre parcours avant de devenir artiste?
La reconnaissance des formes par réseau de neurones?
Pour vous Google surveille plutôt des personnes abstraites, avez-vous envisagé de travailler sur Gmail, Gmail stockant les méls personnels stockés par Google?
CB : « Il y a tout un champ de l’art en réseau qui s’intéresse à la question de la surveillance individuelle, ce que fait le Pentagone… Ce qui m’intéresse, c’est ce retour à la surveillance synoptique. Bentham, c’est la figure de la modernité qui est en train de revenir aujourd’hui. Certains parlent d’hypermodernité, mais après la post-modernité, la mort de l’auteur. On se rend compte que la post-modernité n’était qu’une ruse de l’histoire, pour revenir au panoptique, à cette face noire de l’idéologie des lumières. Ce retour qu’on voit en économie, en politique d’une nouvelle surveillance ou autosurveillance qui vient après le web, après l’invention de cette soupe textuelle, après le tracking de la pensée… L’individu revient mais n’est plus que la somme de ses pensées. Il y a un retournement modernité, post-modernité et retour vers une hypermodernité, retour vers l’auteur, vers l’individu. C’est pour ça que je fais Human Browser, Le Navigateur humain, c’est un retour de l’individu, mais post post modernité, après qu’on ait fait ce remixage global. »