L’œil mobile
Le mouvement de caméra est un personnage qui devient le sujet principal du film La Région centrale. Michael Snow a longtemps cherché puis enfin trouvé un espace de tournage désertique, un lieu vide signant l’absence de l’être, transpirant un sentiment de solitude absolue. Comme si les terriens pilotaient un satellite équipé d’une caméra depuis la lune pour explorer la Terre. Cherchant à explorer le mouvement seul de la caméra et à en épuiser les possibilités, il réalise un film de trois heures. La caméra se libère des contraintes auxquelles on l’assujettit, en particulier quant elle est asservie aux principes d’une narration pour suivre les personnages et décrire une vision subjective. Alors qu’une caméra n’est rien d’autre qu’un œil mécanique artificiel et mobile, pour qu’elle puisse se saisir de l’environnement, il faut se débarrasser du caméraman, qui, juché sur un siège ou une grue en vérifie le cadre. L’opérateur s’absente, il est remplacé par une machine, un robot qui obéit à des mouvements horizontaux, verticaux ou en diagonale sillonnant le ciel et la terre de part et d’autre d’une région désertique. Michael Snow va donc concevoir et faire réaliser une machine par Pierre Abbeloos, un robot téléguidé cherchant à accomplir ce qu’aucun opérateur ne pourrait faire de manière aussi fluide et machinique. Cette caméra est actionnée par des bras pivotants et pilotée à distance d’après une partition de mouvements. Pierre Abbeloos conçoit un système de transmission d’ordres à donner à la machine à l’aide de bandes magnétiques sur lesquelles étaient enregistrés des signaux sonores. Les variations en fréquence de ces signaux affectaient le comportement des moteurs, donc le mouvement de la caméra et du cadre. Cet œil mobile qu’est la caméra pivotante de La Région centrale se retourne comme détaché hors de sa paupière.