Nicholas Vargelis. Ampoules à incandescence
Nicholas Vargelis, artiste, présente ici:
• le texte d’une proposition pour une œuvre in-situ à la Bibliothèque Kandinsky au Centre Pompidou à Paris, intitulée 250 ampoules à incandescence de soixante watts, dépolies, 2012.
• A roughly circular line, route, or movement, 2012, une pièce composée d’un dyptique vidéo de 3 mn x 2, Switch et Metro Street, et d’une sculpture d’ampoules peintes.
+ à télécharger sous format >< les descriptifs de quatre autres pièces Light Requisite for An Electric Stage, Soignez vos façades, group show at Le Commissariat, Paris, 2012; When Something’s Good It’s Always Good, in collaboration with Augustin Grenèche, Cité Internationale Universitaire de Paris, Paris; L’Ampoule Eco-Citoyenne in collaboration with Thibaud Guichard and Luca Wyss, Power point presentation, 5-watt light bulb, and case of 100 “5-watt” light bulbs, Parties Prenantes, Béton Salon et La Vitrine, Paris, 2009; A light shines on, Conférence/ performance: overhead projector transparencies, diaporama, and table. 2009- ENSAPC, Cergy.
• mars 2013, nouveau travail de Nicolas à New York The Blue Balcony http://www.ednm.fr/leurslumieres/?p=2662
250 ampoules à incandescence de soixante watts, dépolies. 2012
Marshall McLuhan voyait juste, en choisissant l’ampoule comme métaphore de sa phrase «le message, c’est le médium». Il entame Understanding Media: The Extensions of Man (1) par cette phrase: «une ampoule crée un environnement par sa présence seule». 40 ans plus tard, entraîné par des stratégies économiques et politiques, ce médium subit un changement technologique majeur.
L’ampoule à incandescence est en train de se faire balayer hors de l’Union Européenne, ainsi que de bien d’autres pays (2). Afin de garder en mémoire la disparition de l’ampoule à incandescence, je propose une pièce in-situ pour la Bibliothèque Kandinsky: une intervention prolongée, constituée d’ampoules à incandescence dépolies à la main installées dans les lampes de bureaux de la salle de lecture principale. Le stock d’ampoules à incandescence, généralement entreposé dans la réserve, sera placé dans la salle de lecture. Avec le temps, le stock s’épuisera, agissant comme un sablier annonçant la disparition imminente de l’ampoule.
Contexte
Avant la Révolution Industrielle, le feu était utilisé pour la cuisson, le chauffage et l’éclairage. Avec l’avancée technologique, les trois usages se séparent. Le feu-lumière, devient torche, puis bougie, lampe à huile, lampe à gaz, et finalement, ampoule électrique à filament. Bien qu’il n’y ait aucune flamme à l’intérieur d’une ampoule, le filament de métal y est chauffé pour produire la lumière visible. Littéralement source de chaleur, la lumière artificielle évoque un sentiment de confort et d’intimité. Avec l’introduction des nouvelles technologies d’éclairage (notamment les lampes fluo-compactes (LFC) et les diodes électroluminescentes (LED)), la lumière électrique est en passe de perdre cette chaleur.
Une autre caractéristique que seule revêt l’ampoule à filament est sa capacité infinie à la variation esthétique. La qualité de la lumière produite dépend en effet de comment les raies de lumières traversent et sont reffractés par l’enveloppe de verre de l’ampoule, ainsi que de la forme et du positionnement du filament. Le verre peut être transparent, satiné, dépoli, en miroir, moiré ou coloré. La lumière induite peut être diffuse, mouchetée, aiguisée ou douce, selon une gamme colorée infinie. Il est même possible d’avancer qu’on ne peut pas fabriquer deux ampoules incandescentes identiques.
Au contraire de la lumière produite par les ampoules à filament, les LFC et les LED produisent une lumière uniforme. Les LFC fonctionnent par le biais de l’excitation de vapeurs de mercure, réagissant avec la couche de phosphore intérieure du tube en verre. Peu importe la forme prise par le tube, la qualité de lumière produite par ce dernier sera toujours identique. Parce que la lumière est produite sur la surface du verre lui-même, les rayons de lumière ne sont pas reffractés par les variations de cette surface. D’une autre manière, les LED ne produisent donc qu’un point net et précis de lumière. Dans une LED, les photons sont émis perpendiculairement à la surface du semi-conducteur, et ne diffusent qu’un cône de lumière étroit, orienté et uniforme. De plus, les LFC et les LED n’émettent en outre qu’une gamme très étroite de couleurs, à l’inverse des ampoules à filament qui elles produisent le spectre lumineux dans son intégralité.
Situation
Les technologies d’éclairage alternatives aux ampoules à incandescence existent depuis un certain temps déjà, mais ce n’est qu’à la faveur de changements politiques et économiques de ces cinq dernières années que leur développement commercial prospère.
Selon le bruit qui court, les principales compagnies d’éclairage multinationales (à savoir Phillips et Osram) auraient arrêté de faire des profits sur les ampoules à filament depuis plusieurs années (3), face à la compétition de plus petites entreprises. Les LFC auraient été introduites sur le marché dans l’espoir de renouveler les profits sur des ampoules domestiques, mais leur coût important et la mauvaise qualité de la lumière seraient restées impopulaires, jusqu’à ce que «l’économie verte» ne s’empare de leur faible consommation énergétique pour en faire un argument de vente de poids (4). Maintenant, les LFCs et les LEDs se sont imposés dans les rayons des supermarchés et des quincailleries, utilisant l’argument de la «basse consommation» et de «l’écologie» comme cheval de Troie, apportant d’importants profits pour leurs fabricants (5).
Calculer l’impact écologique s’avère difficile. La nouvelle ampoule nécessite plus d’énergie pour sa fabrication, plus d’énergie lors de son recyclage et davantage encore pour acheminer les pièces en Asie, où la plupart de ces ampoules sont assemblées.
Aujourd’hui, avec extinction annoncée de l’ampoule à filament, des ersatz apparaissent. Des LFC et des LED imitent leur prédécesseur avec des globes de plastique dépoli teinté visant à atténuer leurs qualités indésirables.
Ces différences ne sont pas des variations des lampes LFC ou LED elles-mêmes, mais une forme d’abat-jour, un masque appliqué à un médium uniforme.
Projet
A l’intérieur de la bibliothèque, des ampoules sont déjà installées sur les 60 lampes de bureau mises à la disposition des utilisateurs. L’année dernière, toutes ces lampes étaient pourvues d’ampoules à incandescence dépolies de 60 watts. Lors d’une récente visite à la bibliothèque, j’ai pu constater qu’un petit nombre de ces lampes possédaient des ampoules à incandescence transparentes: un signe que les services techniques de la bibliothèque ne peuvent plus fournir d’ampoules dépolies, et que très probablement, ces derniers ne tarderont pas à être dans l’incapacité de fournir des ampoules à incandescence tout court.
Je propose de réaliser une édition limitée d’ampoules de 60 watts, dépolies à la main. Mes ampoules seront installées quand les services techniques de la bibliothèque du Centre Pompidou ne pourront plus fournir cette dernière en ampoules à incandescence. Une fois activées, mes ampoules prendront progressivement place, remplaçant celles qui s’épuisent.
Les ampoules à incandescence utilisées à la bibliothèque et les ampoules dépolies à la main ne présenteront pas de différence en terme de spectre lumineux ou d’intensité. Mais la surface du verre dépoli manuellement étant moins régulière, les rayons de lumière produits par mes ampoules seront réfractés de façon moins uniforme. En plus que cette variation sensible de texture de la lumière, l’oeuvre sera visible à travers le stock d’ampoules exposé, et un document écrit, mis à disposition pour le public. Une fois installée, du fait du nombre fini d’ampoules et de leur durée de vie limitée, ce travail cessera lui aussi d’exister un jour. La disparition de l’œuvre de la bibliothèque fera écho à la disparition des ampoules incandescentes d’Europe. Au fur et à mesure de la disparition de l’œuvre, la bibliothèque sera obligée d’avoir recours à la technologie luminaire proposée par le service technique. Et les utilisateurs de la bibliothèque expérimenteront un changement de la lumière qui éclaire l’histoire de l’art contemporain.
Notes
1. McLUHAN, M. (1964). Understanding Media: The Extensions of Man, New York, McGraw-Hill, 359 p.
2. DERBYSHIRE, D, « Revolt! Robbed of their right to buy traditional light bulbs, millions are clearing shelves of last supplies, » The Daily Mail, 7 January, 2009.
3. KJAERULF, F. (1997). « Transforming the CFL Market By Consumer Campaigns” conférence prononcée à Right Light 4, International Association for Energy-Efficient Lighting, Copenhagen, Denmark.
4. GOSSART, C. (2010). « Quand les technologies vertes poussent à la consommation, » Le Monde diplomatique, juillet 2010.
5. “EU ban on incandescent lamps will help consumers and the climate,” Osram: business and financial press; http://www.osram.com, november 2008.•
A roughly circular line, route, or movement. 2011-2012
Sous le même nom générique, deux œuvres de Nicholas Vargelis exposées mardi 25 septembre 2012, aux Open Studios à la Cité Internationale des Arts à Paris. Deux vidéos formant dyptique et une sculpture d’ampoules à incandescence peintes, avec rail, cables noirs et interrupteurs.
«Munir les réverbères de toutes les rues d’interrupteurs; l’éclairage étant à la disposition du public.» «Projets d’embellissements rationnels de la ville de Paris» in Potlatch #23, bulletin d’information de l’Internationale lettriste, 13 octobre 1955.
Nicholas Vargelis. A roughly circular line, route, or movement (the light switch), two channel video loop, 3 mn. © Nicholas Vargelis
Nicholas Vargelis. A roughly circular line, route, or movement (in the metro and on the street), two channel video loop, 3 mn. © Nicholas Vargelis
Nicholas Vargelis, A roughly circular line, route, or movement,
hand painted incandescent light bulbs, electrical track, switches and black cables, dimensions variables. © Jlggb