1. Préambule
Albert Fert est professeur, physicien, prix Nobel en 2007 pour la découverte de la magnétorésistance géante (partagé avec le physicien allemand Peter Grünberg), directeur scientifique au sein de l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales associée à l’Université Paris-Sud 11, membre de l’Académie des Sciences, médaille d’or 2003 du CNRS, lauréat du Japan Prize 2007 et du Wolf Prize 2007. Il a publié près de 300 articles, dont l’un figure dans le « top ten » des articles les plus cités de la revue Physical Review Letters. Ses découvertes dans le domaine des nanosciences sont notamment à l’origine de l’élaboration des têtes de lecture magnétique qui sont employées aujourd’hui dans tous les disques durs. En effet, depuis 1997, les têtes de lecture utilisent la magnétorésistance géante de multicouches magnétiques pour repérer les inscriptions magnétiques du disque. La performance de ces têtes a permis de multiplier par cent le volume d’informations stockées sur une même surface. Plus généralement, son apport à la spintronique, science qui considère l’influence du spin des électrons sur la conduction électrique, a ouvert de nombreuses perspectives dans le domaine de l’informatique et des communications. Les travaux d’Albert Fert et de ses collègues ont donc des conséquences très importantes pour les nouveaux médias qui nous occupent.
2. Discours
Nicolas Sarkozy, Président de la République, a prononcé le jeudi 22 janvier 2009 au Palais de l’Élysée un discours à l’occasion du lancement de la réflexion pour une Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation. Pour en prendre connaissance, on peut télécharger ce discours (pdf) ou bien consulter sur le site de l’Élysée, ce qui est plus instructif encore sur les capacités de mémorisation authentique des disques durs, son enregistrement vidéo : ici. On remarquera que si le texte « imprimé » a conservé le style de l’orateur, il « corrige » de nombreux détails et la plupart des on en nous. Voici deux extraits de ce discours où il est question d’Albert Fert et de son Prix Nobel :
« Nous avons des domaines d’excellence reconnus et enviés dans le monde entier, mathématiques, physique et aux sciences de l’ingénieur. Mais ces admirables chercheurs et ces points forts — j’ose le dire — ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? Ne servent-ils pas parfois d’alibi aux conservateurs de tous poils, que l’on trouve à droite en nombre certain et à gauche en nombres innombrables. »
« Je l’avais appelé de mes vœux lors d’un discours prononcé pour célébrer le prix Nobel Albert Fert, symbole du mariage même de la recherche fondamentale du plus haut niveau et de l’innovation la plus performante. »
Nicolas Sarkozy et Albert Fert, 12 novembre 2007. Reuters.
3. Déclaration
Plusieurs professeurs, scientifiques de renom, dont le professeur Albert Fert, ont publié le 29 janvier 2009 la déclaration suivante :
Réforme des universités et de la recherche : des discours aux actes
Depuis des mois, le gouvernement proclame sa volonté de réformer le système de l’enseignement supérieur et de la recherche pour le hisser au meilleur niveau mondial.
De nombreux représentants de la communauté scientifique, parmi lesquels des signataires de ce texte, ont manifesté un grand intérêt pour ce projet et ont proposé de nombreuses pistes de réflexion. Le ministère les a pieusement écoutés pour ensuite ne tenir aucun compte de leurs suggestions et remarques. Et les orientations finalement retenues, souvent en contradiction avec le but affiché, sont extrêmement préoccupantes.
Ainsi, alors que l’objectif affiché est l’excellence de nos universités et de notre recherche, alors que Mme Pécresse a proclamé sa volonté de porter nos meilleurs établissements aux premiers rangs du fameux classement de Shanghai, comment comprendre que les réductions d’effectifs annoncées touchent notamment les universités les mieux placées dans ce classement ?
Le ministère réplique que ces suppressions de postes pourront être compensées par la possibilité de moduler la charge d’enseignement des universitaires en fonction de leur activité de recherche, possibilité qu’introduit un récent projet de décret. Une modulation des services, dans son principe, pourrait avoir l’intérêt de réduire la lourdeur de la charge d’enseignement qui handicape l’activité de recherche de nombreux universitaires, notamment vis-àvis de certains collègues étrangers. Mais ses modalités de mise en oeuvre en font une mesure dangereuse, hypocrite et contre-productive.
La modulation envisagée est dangereuse : elle dépend du seul pouvoir du président d’université et de son conseil d’administration, nullement liés par l’avis seulement consultatif du Conseil National des Universités. Cet organe représentatif, chargé de l’évaluation des universitaires, tire pourtant sa légitimité de son indépendance à l’égard du pouvoir central (ministère) et des pouvoirs locaux (président et conseils d’université) ainsi que de sa composition, qui garantit une évaluation des universitaires par des pairs compétents, ce qui est indispensable à toute évaluation impartiale et équitable. En le confinant à un rôle subalterne et en conférant des pouvoirs exorbitants aux présidents d’université, la réforme porte gravement atteinte au principe d’indépendance des universitaires. Or ce principe est consacré dans tous les pays dotés d’universités performantes, tout simplement parce que l’indépendance est indispensable à une recherche créative et à un enseignement de qualité. « L’université est une communauté de chercheurs scientifiques libres de suivre leurs idées dans n’importe quel domaine du savoir » a dit un président de l’université Rockfeller, célèbre université privée américaine. Loin d’améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement supérieur, la réforme projetée aboutira ainsi au « clientélisme » et au « localisme » si souvent dénoncés par le ministère.
La modulation envisagée est également hypocrite. Alors qu’on la présente comme un moyen d’améliorer la qualité de la recherche, on doit craindre qu’elle soit seulement un moyen d’alourdir la charge d’enseignement des universitaires. Comment le ministère peut-il supprimer des postes dans de très bonnes universités et soutenir, en même temps, que la modulation servira à alléger les charges d’enseignement de la majorité d’excellents chercheurs de ces universités ? L’érosion du potentiel d’enseignement empêchera de facto la modulation à la baisse et imposera la modulation à la hausse, quel que soit le niveau des Universités et des universitaires.
Et cette modulation s’avèrera ainsi finalement contre-productive. A l’inverse de la volonté affichée par le ministère, cette mesure, si elle aboutit donc à alourdir la charge d’enseignement, affaiblira durablement le potentiel de recherche des universitaires. Le souci de ne pas gaspiller l’argent des contribuables est légitime et nécessaire. Encore faut-il que ces économies s’avèrent productives. A l’heure où l’économie réelle a besoin d’investissements d’avenir aux dires mêmes du président de la République, la politique à courtevue de coupes claires sans discernement dans la recherche et l’enseignement supérieur est suicidaire.
Et là ne résident pas les seules contradictions.
Premier exemple, les « chaires organisme-université ». Ces postes, destinés à attirer les jeunes chercheurs les plus brillants, offrent une meilleure rémunération, des crédits de recherche et un service d’enseignement allégé pendant 5 ou 10 ans. L’idée, si elle ne doit pas cacher la « misère universitaire française », était assurément séduisante. Mais sa mise en oeuvre est désastreuse. Dans la configuration actuelle, en effet, chaque chaire, avec ses crédits de recherche budgétisés avec les salaires, coûte presque autant que deux postes d’enseignant-chercheur ou de chercheur : à budget constant, chaque chaire « consomme » donc deux postes ou presque et conduit ainsi à diminuer le nombre global de postes disponibles. Et le ministère a refusé tous les modes de financement alternatifs, même ceux n’entraînant pas d’augmentation du budget de l’enseignement supérieur. Cette diminution des postes disponibles réduira le nombre global de brillants chercheurs recrutés et ira donc à l’encontre du but recherché : attirer ou retenir les meilleurs. Une bonne idée potentielle a ainsi été travestie en « une idée astucieuse pour rendre des postes à Bercy ».
Deuxième exemple, la réorganisation de la structuration de la recherche. La France doit nombre de ses succès scientifiques aux organismes (CNRS notamment) qui garantissent la cohérence de l’effort national de recherche. La recherche universitaire est particulièrement performante dans les laboratoires dits mixtes, associant en partenariat l’organisme de recherche avec une université ou une entreprise. Il est surprenant d’entendre le président de la République annoncer le 22 janvier la transformation totale du CNRS en agence de moyens, ce qui serait la fin de cette fructueuse mixité, au mépris du plan stratégique de l’organisme pourtant accepté par l’Etat il y a 6 mois. Ce dans un discours où il célèbre l’un de nous, qui effectue sa recherche dans un laboratoire… mixte ! S’il importe de moderniser les Organismes, c’est en instituant un partenariat équilibré avec l’Université. Il faut aussi donner des moyens réels aux Organismes. Or, la réorganisation du CNRS en Instituts s’accompagne de nouvelles missions (notamment le développement de projets transdisciplinaires nationaux) pour lesquelles des moyens supplémentaires n’ont pas été déployés, ce qui handicape sa capacité de soutien aux laboratoires. Sans parler de la baisse du nombre de ses recrutements, dont la qualité est pourtant reconnue, ni du risque d’éclatement pur et simple de l’organisme qui sonnerait le glas d’une vision nationale pluridisciplinaire de la science française.
Troisième exemple, la politique de financement des projets de recherche. Le gouvernement connaît les dangers d’un excès de financement de projets à court terme ou trop ciblés, aux dépens des dotations annuelles des laboratoires et des financements de projets libres (dits blancs). Pourtant, la part réelle des dotations annuelles dans le budget des laboratoires diminue tandis que l’augmentation réelle des projets blancs est dérisoire à l’aune des standards internationaux. La ministre elle-même avait pourtant reconnu la nécessité d’en augmenter significativement la part.
Les enseignants-chercheurs sont, quelle que soit leur affinité politique, largement opposés à la réforme actuellement engagée, incohérente et mal pensée. La gravité de la situation et la stérilité des discussions avec le ministère contraignent le milieu à des actions de protestation inhabituelles dans une atmosphère explosive : appel de la conférence des présidents d’université au président de la République, rétention de notes, signature de pétitions, appel à la grève… Certains envisagent la cessation des responsabilités collectives qu’ils assument.
Nous en appelons au Gouvernement pour une réforme respectueuse des libertés universitaires et soucieuse réellement de la qualité de la recherche française. Madame la ministre, Messieurs les conseillers, la recherche et l’enseignement supérieur valent mieux que des mesures incohérentes et contraires à l’ambition affichée : la performance !
Bruno Chaudret, chimiste, membre de l’Académie des sciences, directeur de recherche, Albert Fert, physicien, prix Nobel 2007, professeur, Yves Laszlo, mathématicien, professeur, Denis Mazeaud, juriste, professeur.
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Il y a déjà une chose qu’il ne faut plus laisser dire, c’est cette « évidence » d’une défaillance de la recherche française. « L’arbre qui cache la forêt », comme dit l’autre. Ce poncif, l’image du fonctionnaire du CNRS qui ne fait rien dans son bureau, a des effets désastreux mais surtout, il est assez loin de la réalité.
Si l’on veut que la recherche française soit « compétitive » internationalement, si c’est vraiment le but recherché, alors il faut sans doute :
– que les français parlent mieux anglais (et donc, publient en anglais, dans les revues scientifiques prises en compte par le fameux classement de Shanghai)
– que l’on soit capable d’accueillir les meilleurs chercheurs indiens, chinois, japonais ou proche-orientaux (et même français d’ailleurs), comme le font les américains
– que les universités aient des services juridiques spécialisés dans le dépôt de brevets et s’en soucient réellement (ce qui se fait déjà beaucoup dans certains domaines)
… Trois mesures qui demandent un investissement soutenu (y compris financier).Pour le reste, il faudrait commencer par se demander quel genre de société on veut bâtir. Et même, sans vouloir être grandiloquent, quel genre d’humanité.
Je crois qu’on a de quoi regretter la fin de la bourgeoisie industrielle du XIXe, elle était ridicule mais elle croyait au savoir, aux arts, aux lettres. L’esprit nouveau riche qui se fait une gloire d’être ignorant est bien plus angoissant. -
Oui.
À sa décharge, on ne peut pas dire qu’on ait été trompés sur la marchandise. Il a promis de gérer le pays avec autant de vision politique qu’un chef de rayon de supérette et il applique le programme… À présent nous pouvons vérifier son incompréhension et même sa haine de la connaissance. Mais lui tout seul, ce n’est rien, ce qui est vraiment grave c’est ce dont il est le symptôme, parce que plus de la moitié du pays partage son horizon grossier et régressif.
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