Google maps sur iPhone et données mémorisées du déplacement de ce téléphone.
Lors d’un récent voyage en TGV de Paris vers le Sud-Est, ayant placé mon téléphone sur la tablette, je me plaisais à surveiller la bille bleue transparente qui marque notre position sur la carte Google Maps. Par le jeu de la combinaison du repérage GPS et d’autres indications de position liées aux réseau téléphonique et aux antennes Wifi, le repère est assez précis pour circuler sur la ligne qui figure la voie. Voyant simultanément le paysage et le petit écran, j’ai une intuition : le paysage lit la carte, lit ma carte. C’est lui l’élément actif puisque le territoire est constitué désormais de balises émettrices et réceptrices, de satellites, de réseaux. La superposition de la carte et du territoire n’est pas nouvelle. Si la topographie et la toponymie visent une restitution du réel, la cartographie s’est déployée en bornes, en pancartes, en lignes peintes sur les routes. La notion même de paysage ne renvoie-t-elle pas à une hybridation du réel et de ses représentations ? Cependant, la période récente a vu une construction virtuelle s’hybrider à l’espace-temps du réel, lui ajoutant une série de strates interconnectées, dotées de mémoire, douées de capacités de simulation, de comportement et d’innovation, qui interagissent avec une infinité de dispositifs électroniques et mécaniques aussi bien qu’avec les vivants. Nous vivons dans des mondes de cartes-bases de données qui tendent à nous lire et à s’enrichir elles-mêmes de cette lecture.
En avril 2011, des chercheurs américains, Alasdair Allan et Pete Warden, ont mis au point le logiciel iPhone Tracker qui révèlait la mise en mémoire, par les téléphones iPhone et les tablettes iPad, de toutes les informations de localisation de ces appareils. La preuve n’était pas faite du transfert et du stockage centralisés de ces données. L’affaire provoqua un certain bruit mais s’estompa vite. Peu de temps auparavant, en Allemagne, Malte Spitz, un jeune responsable politique écologiste, avait obtenu, par un procès fait à la compagnie Deutsche Telekom, le détail des données qu’elle conservait sur ses déplacements. Dans une période de six mois, du 31 août 2009 au 28 février 2010, il avait été localisé 35 831 fois à partir de son téléphone portable. Une fois cartographiées et mises en scène dans leur chronologie, ces données feront figure d’œuvre d’art. Il y a en effet des précédents qui croisent une approche d’observation positiviste de l’espace urbain et l’ambition de s’inscrire dans la tradition des représentations artistiques et cartographiques. Ainsi, le projet Real Time Rome, conçu au sein du Sensible City Lab du MIT, qui s’attachait à rendre visible, en temps réel, les flux de déplacement de tous les téléphones portables de la ville de Rome, fut exposé à la Biennale de Venise de 2006. Depuis le GPS et les appareils portables géolocalisés, nombre d’artistes ont travaillé un certain rapport de la carte au territoire devenu technologique, une cartographie dite subjective, dans l’optique de récits autobiographiques et d’explorations participatives et poétiques. Je fais allusion par exemple à Masaki Fujihata, à Janett Cardiff, à Esther Polack, à Christian Nold, à Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin.
Jean-Louis Boissier, extrait du texte « les immobiles », à paraître dans Habiter les aéroports – Paradoxes d’une nouvelle urbanité
(ci-dessous)
Andrea Urlberger (sous la direction de)
Habiter les aéroports – Paradoxes d’une nouvelle urbanité
MētisPresses, Genève, 2012
17 x 24 cm, 128 pages, 150 images, graphiques, plans, en couleurs
ISBN: 978-2-94-0406-49-4. Prix: 32 € / 42 CHF