http://www.ubu.com/film/graham_performer.html)Dan Graham, Performer/Audience/Mirror, 1975, 23 minutes (cf.
Dan Graham écrit :
« Through the use of the mirror the audience is able to instantaneously perceive itself as a public mass (as a unity), offsetting its definition by the performer (‘s discourse). The audience sees itself reflected by the mirror instantly while the performer’s comments are slightly delayed. First, a person in the audience sees himself ‘objectively’ (‘subjectively’) perceived by himself, next he hears himself described ‘objectively’ (‘subjectively’) in terms of the performer’s perception. »
A performer faces a seated audience. Behind the performer, covering the back wall (parallel to the frontal view of the seated audience), is a mirror reflecting the audience.
PROCEDURE:
Stage 1: The performer looks in the general direction of the audience. He begins a continuous description of the external movements and the attitudes he believes are signified y this behavior for about 5 minutes. The audience hears the performer and sees a mirrorview reverse to the performer’s view.
Stage 2: The performer continues facing he audience. Looking directly at them, he continuously describes their external behavior for bout 5 minutes.
Stage 3: The performer faces the mirror (his back being turned to the audience). For about 5 minutes he continuously describes his front body’s gestures and the attitudes it may signify. He is free to move about, to change his distance relative to the mirror, in order to better see aspects of his body’s movements. When he sees and describes his front, the audience, inversely, sees his back (and their front). The performer is facing the same direction as the audience, seeing the same mirror-view. The audience can not see (the position of) the performer’s eyes.
Stage 4: The performer remains turned, facing the mirror. For about 5 minutes he observes and continuously describes the audience who he can see mirror-reversed from Stage 2 (their right and left now being the same as his). He freely moves about relative to the mirror in order to view different aspects of the audience’s behavior. His change of position produces a changing visual perspective which is correspondingly reflected in the description. The audience’s view remains fixed; they are not (conventionally) free to move from their seats in relation to the mirror covering the front staging area.
NOTES
Sur Dan Graham, la performance, l’« esthétique de la relation » et le « temps réel », voir deux articles précédents de ce blog AdNM :
http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=985
http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=1193
Deux exemples de la postérité de cette performance historique de Dan Graham :
Walker Art Center (Minneapolis, États Unis), 12 mars 2009.
Choreographers Olive Bieringa and Otto Ramstad (aka the Body Cartography Project) are known for combining dance, video, and public space. Join them for a movement-based tour of the work of Dan Graham, whose art shares a similar sensibility.
Performer/Audience/Remake sample part 1 from Adad Hannah on Vimeo.
This is an excerpt from a 22-minute video consisting of twelve two minute shots of people performing tableaux vivants of a performance titled Performer/Audience/Mirror originally performed by American artist Dan Graham in 1975. My version was produced in 2008 and is called Performer/Audience/Remake.
Un texte de référence par Thierry de Duve :
Extrait du texte de Thierry de Duve, « Dan Graham et la critique de l’autonomie artistique », in Dan Graham, Pavilions, Kunsthalle Bern, 12 März – 17 April 1983, pp. 45-73.
3. Performer/Audience Mirror 1977
« Un performer fait face un public assis. Derrière le performer, couvrant le mur du fond (et parallèle à la vue frontale du public assis), se trouve un miroir réfléchissant le public. »
Il existe une version « améliorée » de Performer/Audience Sequence, dans laquelle un grand miroir a été placé derrière le performer, face au public. Sa fonction, comme celle du miroir latéral dans Present Continuous Past(s), est avant tout de permettre au public la production et l’enregistrement d’un maintenant de référence qui est l’idée d’un point de départ historique, l’impératif qui prescrit à chacun la responsabilité de faire l’histoire, c’est-à-dire d’en juger.
La performance comporte quatre phases qui peuvent se répéter, d’une durée approximative de cinq minutes chacune. Les deux premières sont identiques à ce qui se passe dans Performer/Audience Sequence : face au public, le performer se décrit lui-même, puis décrit le public. Les deux dernières sont la répétition des deux premières, à ceci près que le performer s’est retourné vers le miroir. Il peut donc se décrire en se voyant; et lorsqu’il décrit le public, il décrit en fait son image virtuelle inversée latéralement. Parmi bien d’autres aspects qui distinguent cette performance de Performer/Audience Sequence, il y a ceux-ci sur lesquels Dan Graham insiste: «Grâce à l’usage d’un miroir, le public est capable de se percevoir instantanément comme faisant corps, publiquement (comme une unité), compensant sa définition par le performer. Ceci lui donne dans la performance un pouvoir équivalent à celui du performer.» Si l’on ajoute à cela que dans les deux dernières phases «le performer est tourné dans la même direction que le public, regardant la même vue dans le miroir», on se rend compte que l’allégorie politique de Performer/Audience Sequence, est nettement déplacée. Le performer y était comme un député en campagne électorale. Tourné dans la même direction que le public, il apparaît plus encore légitimé dans ce rôle, comme s’il avait été délégué par le groupe pour être son porte-parole. De plus, le public dispose maintenant d’une surface de projection où l’image de soi que lui réverbère le performer peut être comparée à son propre imaginaire. L’allégorie se fait utopique: si les médias renvoyaient immédiatement à la masse l’image qu’elle a d’elle-même, le contrôle démocratique serait moins incertain, l’homéostasie moins coûteuse, le pouvoir plus légitime et plus transparent. A une allégorie pessimiste succède une allégorie optimiste qui place l’autonomie au bout de l’homéostasie.
Mais Dan Graham remarque aussi que lorsque le performer décrit le public, «le public se voit instantanément réfléchi dans le miroir, alors que les commentaires du performer sont légèrement retardés et suivent, puisqu’ils sont un discours verbal, un flux temporel qui s’avance en continu. Ceci engendre pour le public une interprétation en termes de cause et d’effet. (…) La description verbale du performer, légèrement décalée, mine en s’y superposant la vue présente (entièrement présente) qu’un membre du public a de lui-même et du groupe dans le miroir; ce qui peut influencer l’interprétation ultérieure de ce qu’il voit.» Le modèle de la démocratie utopique est donc impur. Plus le processus régulateur approche de l’autonomie, plus flagrantes sont les manipulations qui y président, et plus grand est le doute vis-à-vis de l’immédiateté du feedback. Dans le meilleur des cas, une démocratie parfaitement auto-régulée serait encore en retard sur elle-même.
Enfin, Dan Graham souligne que le performer «est libre de se mouvoir, de changer sa distance relativement au miroir, afin de mieux voir certains aspects de ses mouvements corporels» (lorsqu’il se décrit) et «afin de visionner différents aspects du comportement du public» (lorsqu’il le décrit). «Son changement de position produit un changement de perspective visuelle qui est ainsi reflété dans sa description. Le point de vue du public demeure fixe; ils ne sont pas libres (par convention) de bouger de leur siège par rapport au miroir qui couvre la scène frontale.» Ici les pouvoirs du performer et du public sont nettement dissymétriques. Le performer —par allégorie: le député, le législateur— peut se déplacer, il a l’illusion (ce n’est qu’une illusion puisqu’il regarde le miroir) de pouvoir occuper tour à tour des points de vue représentatifs des divers membres du public. Le public —la masse, le peuple— n’a pas le choix du point de vue, il est collectivement cloué à son destin social. Chaque membre dispose d’une image du groupe, mais cette image collective et publique diffère de celle du voisin. Les points de vue qui la constituent sont privés et individuels, c’est à chacun en particulier que le législateur, que la loi s’adressent.
La leçon politique de cette fable allégorique, c’est que la production d’un imaginaire de groupe, —conscience de classe ou convivialité hippie, peu importe— ne saurait résulter en une vision du monde cohérente énoncée d’un point de vue commun. C’est là une critique sévère de toute philosophie politique captive de l’idéal autonomiste. La démocratie parlementaire, même les Soviets, vivent du fantasme de la représentativité. L’organisation politique suppose, au moins idéalement, que les divers points de vue qui s’expriment dans la société puissent être rassemblés en un point de vue unique d’où le représentant du peuple parle au nom de tous, ici et maintenant. Le modèle auto-gestionnaire s’est débarrassé de la représentativité, mais il s’accroche d’autant plus fermement, sous peine d’anarchie, au fantasme du point de vue commun. La commune autarcique écologiste ou hippie n’est liée que par le rêve d’une grande togetherness. Quant au socialisme à la française, dans la mesure où il vise à l’autogestion, il s’efforce par tous les moyens de forger idéologiquement le consensus. Bref pour l’idéal autonomiste, le nous dans le miroir reflète le nous de la salle. L’auto-institution de la société est bien imaginaire, elle passe bien là-bas par un «miroir» comme elle passe par le discours de l’autre, il faut encore qu’elle se recueille ici, là ou je, tu, il et elle peuvent dire je ensemble, c’est-à-dire nous. L’autogestion, et plus généralement l’autonomie, nécessitent les invariants spatio-temporels de l’expérience politique. Sans eux, c’est le règne de l’hétéronomie comme aliénation et la soumission de tous à la grande machine auto-régulée du marché et de l’Etat, seule à être apparemment douée d’autonomie, seule à faire «sujet».
Or, Performer/Audience Sequence avait déjà montré qu’il fallait renoncer à cet horizon de l’autonomie. L’expérience de la performance s’effaçait comme expérience, et nulle part du nous n’arrivait à s’enregistrer. Le performer et le public paraissaient également aliénés. Present Continuous Past(s) montrait la contrepartie de cette aliénation, transférant tout le pouvoir énonciateur du nous aux médias, à la bureaucratie, à la machinerie sociale auto-régulée. Mais ce faisant, elle montrait aussi les limites du modèle de l’autonomie et de l’aliénation. Dès lors que la machine enregistreuse fonctionne à perte, elle est elle-même hétéronome. Dès lors qu’elle ne fonctionne pas toute seule, mais qu’elle a besoin d’une source de bruit, son auto-régulation ne signifie pas son autonomie. Il ne suffit pas de dire comme Marx et tant d’autres après lui que la machine du Capital est aussi aliénée que ceux qu’elle aliène. C’est l’horizon d’un sujet non aliéné qu’il faut abandonner, et avec lui l’horizon de l’autonomie. Car cet horizon reste celui de la pensée spéculative, c’est-à-dire après Adorno, de la pensée désespérée. Present Continuous Past(s) enseignait plus encore. La praxis politique ne s’affranchira du spéculatif que si elle rompt tout ensemble avec l’histoire comme totalisation du passé et avec l’histoire comme réserve d’avenir. Ni le paradis perdu ni le grand soir. Le début et la fin de l’histoire sont maintenant. Ce maintenant n’est pas une donnée de l’expérience, il n’est pas le sol d’une praxis accrochée au passé qu’elle mémorise ou efface, happée par l’avenir qu’elle anticipe ou redoute. Il est l’idée que la praxis doit supposer de manière à se donner sa propre finalité, il est l’idée historique elle-même. Performer/Audience Mirror montre quel est son enjeu: inscrire le lien social à même le dissentiment et faire de la nécessité de juger, chacun pour soi, la maxime des temps qui courent. En effet, le nous dans le miroir ne reflète pas le nous dans la salle. Dans la salle il n’y a en apparence que des moi. L’imaginaire de groupe —conscience de classe ou togetherness— ne se produit que là-bas dans le miroir, en temps réel peut-être, ou en légère désynchronisation, il ne s’enregistre pas de ce côté-ci du miroir dans l’ipséité d’un nous. S’il s’enregistre — et c’est là un de ses enjeux, il faut que le lien social s’inscrive— ce sera dans une multitude de points de vue inéchangeables.
Ces points de vue sont-ils bien des points de vue? Les membres du public ont-ils pris position dans la salle? Non, ils ont été placés, ou se sont placés au petit bonheur, le dispositif optique a distribué au hasard ses pyramides visuelles. De même pour le social que la salle allégorise: les agents sociaux y ont été placés par les hasards de la naissance ou les déterminismes de leur classe. Leur «vision» de la société dépendra bien sûr de ces hasards ou de ces déterminations. L’important est qu’une fois sa place et son point de vue assignés, chacun y entendra néanmoins la même histoire: ce que le performer raconte de lui-même ou du public, ce que le député, le législateur, relatent de leurs réalisations passées ou de leurs promesses futures. Chacun y entendra le performer agir sur le comportement du public et le représentant du peuple prescrire la loi que le peuple, prétendûment autonome, s’est donnée à lui-même. Sensée être la même pour tous, la loi parle et s’adresse à chacun individuellement. Ce ne sont pas des moi que la multiplicité des pyramides visuelles positionnent mais des tu. Si le nous n’est pas donné d’avance, si l’autonomie n’est pas acquise —et elle ne le sera jamais— je ne suis pas le sujet énonciateur de la loi, même par délégation, mais son récipiendaire. Et on ne fait pas du nous en additionnant des tu, seulement du vous. Si le peuple est cette somme, alors il ne sera jamais qu’un agrégat, masse anonyme sous la loi anonyme, sommée d’entendre un même sommateur. Le performer n’est pas son représentant, il risque bien d’être son Fürher. Pour la praxis politique qui doit répondre à ce danger, le lien social n’est ni un nous ni un vous, il est la prescription faite à chacun d’assumer ou de rejeter la loi en son nom propre, et de juger de la loi sans s’en référer au miroir de la conscience de classe, du consensus idéologique ou de la convivialité. Ce jugement n’est pas beaucoup plus qu’un accusé de réception, mais il instancie la loi sur le nom du récipiendaire et sur le maintenant dans lequel comme le disait Benjamin, «pour sa propre personne il écrit l’histoire».
Mais il faut encore que l’histoire soit transmise pour qu’elle fasse lien, il faut encore que le récit historique soit enchaîné latéralement, sur les bancs du public, sans qu’il ne passe par le miroir. Dans Performer/Audience Mirror, il vient toujours un moment où l’attention se détache de ce que dit le performer, où les têtes se détournent du miroir et se tournent les unes vers les autres, comme si l’image projetée du groupe perdait de sa crédibilité, comme si le groupe cherchait à se reconstituer comme tel à travers une propagation latérale. Ce qui se propage alors est le rire, rien qui fasse un accord, encore moins une opinion publique, rien que l’agitation de la santé secouant de soi le grand soupçon.
Le miroir dans Performer/Audience Mirror a l’emplacement, la forme et le format d’un écran de cinéma. Mais le «film» se déroule en temps réel, il se fabrique même hic et nunc sans enregistrement préalable ni retard de projection (comme dans les pièces-vidéo). Sa «bande son» vient du performer présent en chair et en os sur l’estrade. Par contraste avec l’art du film, l’immédiateté apparente de la performance souligne son aspect théâtral. L’écran-miroir est un espace inhabitable comme le sont les fonds de scène en trompe-l’œil ou les constructions illusionnistes de la scène serlienne. Comme l’acteur serlien, le performer ne peut «jouer» que sur le proscenium, dans ce no-man’s land entre la salle (par métonymie, la ville) et la scène (par métaphore, la ville idéale). Mais contrairement au dispositif serlien, son jeu n’est pas orienté vers la désignation du point de vue unique. Le miroir ne renvoie pas à l’apex d’une seule pyramide visuelle, ce lieu privilégié qui sera, peu après Serlio, la loge royale d’où l’histoire sera à la fois faite, dite, vue et montrée, en un mot projetée. Les perspectives sont multiples, chaque spectateur occupe la place du roi ou la place de personne, il occupe aussi bien, par rapport au miroir-écran, la position d’une «cabine de projection» décentrée et individuelle. C’est à chacun de produire son maintenant historique à partir d’un ici qui lui a été donné. Loin d’aller de soi, l’immédiateté de la performance n’en appelle à des références faites à l’histoire du théâtre illusionniste que par contraste avec la médiateté du film qui est, dit Dan Graham, la seule forme artistique «à travers laquelle il est encore possible de regarder le théâtre». Il pense ici à Rossellini, plus encore à Straub, et en particulier à un film de Warhol dont la ressemblance avec Performer/Audience Mirror est frappante. Ce film est la version filmée d’une pièce de théâtre de Ron Tavel, The Life of Juanita Castro. Au lieu de jouer la pièce, «les acteurs lisent leur texte vautrés sur des gradins et photographiés pendant toute la durée du film à partir d’un même angle décentré et oblique, renversant comme en miroir l’expérience accessible aux membres du public lorsqu’ils détournent leurs yeux de l’écran pour observer la réaction également «distancée» du reste du public.
Dans ce film, note encore Dan Graham, c’est la première fois que Warhol quitte le tournage frontal qui caractérisait ses films précédents et déplace la caméra vers un point de vue oblique. Cela crée chez le spectateur l’attente d’un mouvement de caméra qui n’arrive pas et le provoque finalement, par exaspération, à tourner lui-même la tête, mimant le mouvement des acteurs dans le film. Acteurs et spectateurs ont échangé leurs rôles, la performance est dans la salle autant que sur l’écran. Dans Performer/Audience Mirror, Dan Graham adopte ce renversement et le réalise en le restituant à la prétendue immédiateté du théâtre. L’écran est un miroir, les acteurs dans l’écran sont les spectateurs dans la salle. On comprend mieux comment Dan Graham déplace la pensée de l’aliénation quand on se rend compte qu’il accomplit ici la réciproque d’une remarque de Walter Benjamin sur l’acteur de cinéma: «L’interprète de film se sent étranger devant l’image de lui-même que lui présente la caméra. Ce sentiment ressemble, d’entrée de jeu, à celui qu’éprouve tout homme quand il se regarde dans la glace. Mais désormais son image dans le miroir se sépare de lui, elle est devenue transportable. Et où la transporte-t-on? Devant le public.» Une fois supprimé l’enregistrement, une fois matérialisée la métaphore de l’écran-miroir, une fois le public devenu acteur et ramené devant la glace, ce n’est pas à une «rédemption du réel», comme disait Kracauer, ni à une désaliénation du performer qu’on assiste. L’immédiateté du théâtre, son irreproductibilité ou sa non-transportabilité, n’est qu’une idéologie qu’on ne peut plus commenter qu’à travers une reconnaissance explicite de la culture filmique. En retour cette reconnaissance appelle une stratégie qui, pour ne pas se soumettre au point de vue unique de la reproductibilité, doit rétablir la nécessité et l’urgence d’un jugement qui produise du maintenant tel que le film, la télévision ou les médias ne puissent l’enregistrer.