Extraits du d.e.a., octobre 1997.

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13.
Réflexion


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Un geste, réel ou simulé, peut-être appelé « effectif » quand il provoque ce qu'on appelle un reflet. Un reflet, c'est à la fois une simulation et une re-présentation de ce qui se trouve devant. C'est la logique du miroir. Il ne pose pas la question « réel, simulé ? » ; il produit son réel de façon déictique : voici ce qui m'est présenté. Dans le domaine de l'interactivité, un geste simulé peut devenir un geste effectif soit du côté de l'inter-acteur soit du côté de l'ordinateur. Tout ce qu'il faut savoir c'est : qui a actualisé le geste ? Si l'ordinateur simule une flamme qu'il me lance à la figure et que je me penche pour l'éviter, son geste simulé est devenu effectif. C'est mon corps qui l'a actualisé. Sans moi pour l'actualiser, ce n'est pas un geste effectif, mais plutôt une image qui scintille sur l'écran. De même, si je bouge la souris et que l'ordinateur répond par un déplacement du curseur, je peux dire alors qu'il a réfléchi mon geste. L'intérêt de l'interface graphique (GUI ou Graphical User Interface) inventée par le Xerox PARC dans les années soixante-dix et incarnée plus récemment par l'interface Macintosh, n'est pas seulement d'avoir inventé la manipulation spatiale (souris-curseur), mais également d'avoir créé un véritable miroir gestuel. L'interface, ce n'est pas une « fenêtre », mais un miroir gestuel déformant. Le corps du sujet se trouve dans le miroir. La plupart du temps, ce miroir s'articule à l'échelle 1:1 (c'est-à-dire sans déformation) et c'est pour cette raison qu'il ne fait rien d'autre que remplacer le clavier : puisque mon curseur répond fidèlement à chaque déplacement comme un pointeur de précision, je peux mettre sur son trajet des boutons de tous genres qui reconstituent le clavier de façon virtuelle (menus déroulants, boutons d'activation, liens hypertextuels, etc.). Mais avant d'être un pointeur, mon curseur a dû devenir une réflexion de mes gestes de souris. Et rien ne nous empêche d'introduire des miroirs concaves, convexes et aux alouettes, là où on ne nous représente pour l'instant que des miroirs plans. Ces réflexions déformantes peuvent avoir lieu du côté du son aussi bien que du côté de l'image. Le miroir nous propose alors une inversion, par rapport à un des axes spatiaux qu'il transforme (ex : gauche devient droite, droite gauche) ainsi que par rapport à l'axe de réflexion lui-même (me voici en train de me regarder, le miroir inverse ma relation au monde). En dernière instance, la déformation et l'inversion réfléchissantes peuvent se passer dans le temps. Le miroir construit un rapport avec le corps de l'interacteur (relation déictique), et introduit un décalage dans ses facultés de proprioception. Dans ce sens, le miroir déformant qu'est l'interactivité travaille le corps de l'interacteur comme une prothèse, et lui propose une nouvelle image de son corps.