2000-2002 |
Fabien VANDAMME | Anthony KEYEUX |
La musique électronique in et hors arts plastiques |
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Doc.txt.3
Le packaging | Anthony KEYEUX | 1998 |

Les maisons de disque sous-estiment la capacité du public à comprendre le design conceptuel, alors qu’en réalité la conscience collective assimile des messages de plus en plus complexes et que sa capacité à comprendre des modes de communication abstraits s’affine constamment: The Designers Republic

La complexité des rapports entretenus par l’image et le son au sein du diptyque disque/pochette sont d’une telle nature que l’objet disque ne peut plus être défini par une simple approche musicale. Pour de nombreux artistes, la musique est aujourd’hui autant une affaire visuelle que sonore. C’est pourquoi, afin de mieux saisir l’importance du travail plastique au service du disque, il est utile d’aborder l’évolution du packaging musical et de ses signes, afin de mieux cerner les préoccupations qui l’animent. (On entend par packaging l’ensemble des éléments qui constituent l’accompagnement visuel et l’emballage d’un disque, et qui font l’objet d’un travail de design - boîtier, pochette, livret, face non enregistrée du CD, etc.).

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Si au début du siècle la pochette de disque n'arbore que le simple emblème de la firme (on a tous en tête les pochettes en papier kraft des 78 tours Columbia ou Pathé), il en est tout autre depuis l’apparition des musiques alternatives (celles des labels indépendants), pour lesquelles l’image véhiculée par les artistes est d’une importance capitale. Il ne s’agit pourtant pas d’un culte de l’apparence – essentiel pour justifier la musique des boys bands – il s’agit plutôt, chez des artistes comme Kraftwerk d’être visuellement et physiquement en total accord avec leur musique. Dans ce sens on peut affirmer que l’image, au même titre que le son, est à la fois symptôme et produit d’un même mode de pensée.


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Kraftwerk célèbre un certain progrès, une certaine avant-garde à mi-chemin entre des visions futuristes pertinentes et un certain kitsch « an 2000-iste ». Avec les albums Radioactivity (1975), Autobahn (1976), Trans Europe Express (1977), The Man Machine (1978), Computer World (1982) et Electric Cafe (1986), les pionniers du Krautrock allemand élaborent et affinent leur rapport à la technologie. Les pochettes de ces albums en sont les parfaits témoins : références au constructivisme russe, à l’industrie, à l’énergie  électrique, au nucléaire, à la vitesse; le tout dans une austérité quasi militaire chargée de connotations historiques et politiques. Sur scène comme en privé les membres du groupe portent les mêmes chemises rouges cintrées, les mêmes cravates et pantalons noirs.

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Malheureusement, pertinence musicale et souci esthétique ne vont pas toujours de paire. Les labels de musique dite "contemporaine" ne se préoccupent que très peu de l’imagerie qui sert leurs disques. Et si en la matière, il existe tout de même certains codes visuels, ils ne sont que le fruit du désintérêt des labels quant à ce type de question. En effet, rares sont les véritables effort de design sur les disques de Boulez ou de Berio. Généralement, le logo du label ou le nom de la collection y sont  dominants, aussi bien sur la face avant de la pochette que sur sa tranche ou son dos. Tout est mis en œuvre pour renseigner clairement et rapidement l’auditeur, au détriment de l’image et de la typographie. Il est tentant d'attribuer ce laisser-aller à plusieurs facteurs : Nous avons affaire à une musique qui n’est généralement pas composée pour le support disque mais davantage pour l’exécution scénique. Le disque est dans ce cas relégué au rang de simple témoin de la prestation de l’orchestre. Il permet au mélomane de se faire une idée relativement fiable de l’œuvre. D’autre part, la musique contemporaine est en un point semblable à la musique classique : Elle ignore les contraintes liées aux limites de durée d’enregistrement d’un CD. Actuellement, en ne garantissant pas l’excellence du pressage, on est capable d’enregistrer quatre-vingt minutes de son sur un CD. Or, un artiste comme Stockhausen travaille depuis plus de vingt ans sur une œuvre (Licht) dont la durée s’étalera sur une semaine. 
On imagine mal cette œuvre contenue sur plus de cent trente compact discs. On comprend aisément dans ce cas que le support disque et par conséquent l’esthétique qu’il suppose, ne passionne que moyennement ce type de musiciens et les labels qui les diffusent.


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Hélas on peut également voir une explication moins positive à ce désintéressement esthétique. Adorno, dans son ouvrage Philosophie de la Nouvelle Musique (1979), avance qu’il n’est de véritable musique que la musique écrite, par opposition aux musiques populaires qui n’aurait pas de réelle valeur artistique. Aussi, de nombreux musiciens semblent encore partager cet avis et souhaitent se démarquer des bricolages électroniques d’Aphex Twin ou d’Autechre. Dans le magazine The Wire, Stockhausen déclarait au sujet d’Aphex Twin: La musique est le fruit du plus haut de l’intelligence humaine et des sens capitaux: ceux de l’ouïe, de l’imagination et de l’intuition. Et dès qu’elle devient une simple proposition d’ambiance ou d’environnement, la musique n’est plus qu’une putain. On ne devrait pas s’autoriser cela… Dès lors, il n’est pas étonnant que tout ce qui rattache l’œuvre de Stockhausen au monde matériel, au domaine du visuel et de l’apparence, soit totalement banni. Aussi, lorsqu’il attribue à l’enregistrement de son œuvre Pole une pochette reprenant la partition de celle-ci, c’est une manière non pas de confirmer un univers, mais bien d’affirmer le caractère écrit de sa musique. De même que le fait de savoir qu'un peintre abstrait sait représenter le réel à la perfection (ce qu’on entend par « savoir dessiner ») rassure le spectateur et lui permet d’accréditer l'abstraction, savoir que la musique de Stockhausen est soutenue par l’écriture, apporte à l’auditeur et à l’artiste lui-même, une certaine assurance.

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Avec la fin de la production en masse du 33 tours au début des années quatre-vingt-dix, est arrivé le règne quasi absolu du compact-disc. Ce support, par sa petite taille, offre des possibilités très différentes de celles du vinyle. A son apparition, vers 1984, le CD ne se risque pas à de grandes expérimentations en matière de packaging et tout est mis en œuvre pour vanter les qualités fonctionnelles de ce nouveau support. Il est petit, peut contenir la durée d’enregistrement de deux 33 tours, et se range dans un boîtier protecteur dit « cristal » comme la cassette audio. C’est alors que dans l’empressement des rééditions en CD de leur back catalogue respectifs, les maisons de disques se lancent dans une adaptation souvent grossière et bâclée des pochettes de 33 tours au format CD.


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Ne disposant généralement plus des travaux plastiques originaux, les services « maquette » des majors se contentent de photographier ou de scanner la face avant de la pochette d’un 33 tours et de la réduire aux dimensions du CD. Il en va de même pour l’intérieur et la face arrière des pochettes lorsque par chance les maquettistes ont tenu compte de leur existence. Car en effet, nombre de rééditions CD ont vu disparaître certaines parties de leur visuel original. Le plus souvent dans ce cas, la tranche du boîtier arbore désormais les couleurs de la maison de disque et la face arrière énumère le track listing dont l’ordre est matérialisé par de gros chiffres encadrés qui symbolisent chaque plage enregistrée. Lorsqu’on ouvre le boîtier, une information sur les précautions à observer pour l’entretien du CD se trouve déclinée en quatre langues sur la partie gauche du boitier ouvert. Le CD lui-même est rarement coloré et se contente de répéter les informations de base (artiste, titre, etc.). Le plus surprenant, c’est que ce travail plastique exécuté à la chaîne implique tout de même un effort minimum de la part du maquettiste.


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Il eut été tout aussi rapide et économique de faire un travail d’adaptation sobre et correct. On ne peut une fois de plus que constater le laxisme des majors. Non pas qu’elles aient la volonté de nuire aux artistes ou aux mélomanes. Simplement, elles s’en fichent ou n’ont pas conscience qu’une minorité non négligeable de personnes attachent un intérêt capital à la pertinence d’un packaging. Sans grande surprise, les labels indépendants sont encore une fois les premiers à avoir pris conscience de l’étendue des possibilités offertes par le packaging du CD. Aujourd’hui, le modèle déposé Digipack ainsi que les différents modèles de pochettes ouvrantes cartonnées, proposent des alternatives intéressantes aux traditionnels boîtiers « cristal ». Bien sûr il n’est pas toujours évident de faire la différence entre souci esthétique et procédé marketing. On peut tout de même faire la distinction de la manière suivante : Tout ce qui est vendu en tant qu’édition limitée ou collector est forcement un abus commercial. Car, outre ses qualités plastiques, c’est souvent son caractère limité, et donc rare, qui fait vendre ce qui deviendra un collector.


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Loin de ces considérations mercantiles, de nombreux labels ne proposent aujourd’hui qu’une seule et unique édition de leurs disques, soignée comme une édition limitée, mais à un prix identique ou inférieur à ceux pratiqués par les majors. Le label Mo Wax par exemple ne réalise que des pochettes cartonnées sur le principe de celles des vinyles, mais en taille CD. Ce packaging est généralement très sophistiqué (doubles, voir triples pochettes gigognes) et volontairement moins commode d’utilisation que le boîtier « cristal ». Ce parti pris reprend le propos général des musiciens du label (DJ Shadow, Attica Blues, Money Mark…) qui vouent un culte sans borne au vinyle et à sa culture en lui attribuant des qualités uniques et essentielles à la bonne appréhension de la musique. Il faut d’abord prendre en compte « l’effort physique » qu’implique l’écoute d’un vinyle : sa taille encombrante, la complexité de son packaging (pochette + sous-pochette), la taille et la fragilité du matériel nécessaire à son écoute, sont autant de gestes et de signes qui constituent un rituel, témoin d’une appréhension quasi sacrée de la gestuelle de l’écoute d’un disque. C’est donc cette approche particulière du disque que Mo Wax tente de restituer dans sa conception du packaging CD.

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Pourtant dans le paysage fleurissant des belles collections et des éditions de luxe, il est un label qui bouscule les conventions tout en attachant un soin particulier au packaging. En effet, depuis le début de ses activités, le label anglais Rephlex créé par Richard James (Aphex Twin) entretient un rapport particulier avec le packaging et le design de ses disques. Les artistes de ce label, pour la plupart âgés de vingt-cinq à trente ans, ont pour politique commune de mettre à profit un bagage, encore peu exploité, généré par la télévision et les « cheap cultures » de leur enfance et de leur adolescence (années soixante-dix et quatre-vingt-dix). Des références aussi diverses en origines qu’en qualités sont donc à prendre en compte à l’écoute des disques de DMX Krew, Global Goon ou Mike & Rich.

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Pour ce qui est du packaging, Rephlex se livre à une exploration minutieuse de toutes les possibilités qu’offrent les supports CD et vinyle. Avec l’incohérence et l’absence totale d’unité comme partis pris, le label fait l’inventaire de toutes les fantaisies possibles dans ce domaine. Dès ses premières références, Rephlex se distingue par des ronds de disques (l’étiquette ronde au centre des 33 et 45 tours) disproportionnés, empiétant ainsi sur la surface enregistrable du vinyle. Il s’agit en fait pour ce nouveau label d’imposer une image forte et atypique dès le début de ses agissements pour se distinguer de la masse considérable des labels de musique électronique. Et Rephlex y parvient à merveille. L’image de cancre revendiquée par l’équipage Rephlex se retrouve tant dans l'imgerie que dans les productions musicales du label.

Ainsi, les mélodies kitsch et les rythmes crétins (pour certains à base de samples de rots) de Mike & Rich (Mike Paradinas alias µ-Ziq et Richard James alias Aphex Twin), trouveront leur parfait écho dans leur pochette reprenant le design de la célèbre boîte du jeu MB « Dix de chute ». Sur la face avant de la pochette, on assiste à une partie de Dix de chute entre Mike et Richard. La photo des deux joueurs reprend les caractéristiques de la boîte d’origine: Contours des personnages découpés grossièrement sur fond orange, logo MR identique au logo MB, ainsi qu’un résumé de la règle du jeu: Manoeuvrez intelligemment votre disque sur la platine et écoutez les titres dans le bon ordre pour gagner ! Mais ATTENTION ! Les titres sont différents sur chaque face. Vous pourriez avantager votre adversaire à la moindre erreur de votre part.

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Chez DMX Krew, il est question de la « sous-culture » des « booms », du « Top 50 », du « Smurf », de la période Rock it d’Herbie Hancock, de Giorgio Moroder ou des premiers jeux Nintendo… En appliquant rigoureusement les

« recettes » élaborées dans les années quatre-vingt, DMX Krew crée des « tubes » potentiels, des chansons qui,
si elles étaient sorties il y quinze ou vingt ans, auraient étés de véritables « hits » comparables au Holiday de Madonna. Mais l’exercice auquel se livre l’artiste dépasse de loin la parodie ou le phénomène nostalgique. Il s’agit plutôt de porter un regard ironique sur une culture morte en la reproduisant fidèlement hors de son contexte temporel. Le résultat participe à la fois d’une étude sociologique et de l’expérimentation. Il s’agit également de décomplexer la musique électronique d’une manière générale, de montrer qu’on peut tirer un enseignement du pire.

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Pour son 3ème album (Nu Romantix), DMX Krew, avec la complicité de Rephlex enregistre l’album (8 titres) deux fois de suite sur le CD (qui contient donc 16 titres). Ainsi, une fois l’album terminé, il est instantanément joué une deuxième fois. Une telle initiative résume assez bien les intentions des artistes Rephlex : Distiller, de la musique au packaging, un mélange d’enfantillages, de cynisme et d’ironie qui symbolise un certain désarroi de l’artiste qui, à la manière de Claude Closky, pose la question du « Que faire en art aujourd’hui ? » Une question désabusée qui, par le refus des problématiques contemporaines surexploitées (Le corps, l’identité, l’intime, le multimédia, le cyber…), ne peut trouver sa réponse que dans la littéralité et l’apparente gratuité des propositions artistiques : Claude Closky installe des logiques décalées et des rapports vains révélant ainsi les différentes formes de la stupidité domestique (Comme par exemple en regroupant sous le titre « En Avant ! », des « travellings avant » empruntés à des films existants et mis bout à bout.), alors que DMX Krew fait consciemment de la musique morte, enregistrée sur des disques au design hasardeux, comme pour souligner, non sans humour, la vanité de son travail. Il s’agit dans les deux cas d’un déploiement d’énergie désespéré qui rappelle celui généré par Gasiorowsky lorsqu’il peint sa série des Croûtes. L'artiste peint alors ce que l’on peint lorsqu’il n’y a plus rien à peindre. Une démarche que le label Rephlex semble avoir fait sienne, aussi bien sur le plan sonore que visuel.


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C’est pourquoi le travail des artistes Rephlex ne doit pas être perçu comme une vulgaire pitrerie ou une simple déclinaison des possibilités offertes par les supports CD et vinyle. Il s’agit plutôt d’une réflexion sur la musique actuelle et sur sa raison d’être.

Aussi, pour la première fois la pochette a une véritable double fonction : Dans un premier temps elle se doit d’être en parfait accord avec la musique, mais aussi et surtout, parce qu’elle a fait l’objet d’une réflexion aussi poussée que la musique qu’elle accompagne, elle acquiert également une certaine autonomie. C’est à dire qu’elle a sa propre vie sur le plan conceptuel et qu’on peut s’y intéresser simplement en tant que produit du travail de recherche et de réflexion mené par le label dans sa globalité. D’une pochette à l’autre, d’un artiste Rephlex à l’autre, c’est toujours le même travail qui est mené, à chaque fois plus loin ou simplement différemment. Dès lors on peut enfin véritablement acheter un disque uniquement pour sa pochette.

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Comme nous l’avons vu avec l’arrivée du CD vers 1984, c’est en grande partie le progrès scientifique qui, entraînant l’utilisation de nouveaux procédés techniques, oblige les designers à prendre en compte des contraintes visuelles inédites qui, une fois adoptées, constituent pour leur travail, une nouvelle matière. Parmi ces nouveaux éléments imposés, le code barre constitue en soi une petite révolution plastique et culturelle. C'est au milieu des années quatre-vingt, que le curieux motif arrive sur tous nos produits de consommation. De la boîte de conserve au livre, le message linéaire se répand et intrigue. Le disque n’échappera pas à la règle. Et dès 1986, des codes barre apparaissent au dos des vinyles, CD et cassettes. Très vite, certains labels indépendants réagissent en prenant parti contre le code barre. C’est à cette époque 4AD, associé aux designer V23 qui manifeste le plus d’hostilité envers le code barre. Les raisons invoquées sont légitimes : D’une part le code barre est un parasite indésirable au design des disques. Et d’autre part, une œuvre d’art ne saurait être matriculée comme n’importe quel produit de consommation. Hélas, de tels propos ne tiendront pas longtemps tête aux exigences du marché international. En 1988, 4AD, en pleine croissance, s’installe aux USA et son comportement s’apparente de plus en plus à celui d’une major. Le code barre apparaît donc sur les nouvelles sorties du label. Les designers V23 s’efforceront d’insérer aux mieux l’intrus, mais ne parviendront que rarement à un résultat pertinent.


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Dans la lignée des « farouchement contre », le label Kranky (Chicago, USA), persiste encore aujourd’hui dans son engagement en apposant à ses disques des codes barre autocollants, destinés à être ôtés.
Mais les attitudes les plus intéressantes face au code barre ne passent pas par son rejet catégorique. Une fois de plus, c’est le label Rephlex qui bouscule les conventions en ridiculisant le parasite qui devient alors un motif récurrent. Ainsi par exemple, l’album de Sam & Valley, My Favorite Clinic (1997), arbore neuf fois le même code barre dans des tailles différentes. Sur l’album Module 2 de Bochum Welt (1996), le code barre est situé dans un endroit habituel, en bas à droite, au verso de la pochette, mais il est bien trop petit pour être lisible par un lecteur optique. De la même manière, sur l’édition vinyle de l’album Goon de Global Goon (1996), le code barre est cette fois trop grand pour être utilisable. Plus simplement, sur la compilation de Cylob, Previously unavailable on compact disc (1998), le code barre se trouve sur la tranche du boîtier, ce qui rend son utilisation peu commode.

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Chez Warp, les Designers Republic ont adopté le code barre en tant qu’élément esthétique. Pour cela, ils ont dissocié les chiffres et les barres qui le composent. Les barres sont agencées normalement à un endroit précis de la pochette et les chiffres sont insérés aux données de présentation du disque, à la suite de sa référence, et précédé de la mention : « Barcode ». A côté du code barre, son sens de lecture (de gauche à droite) est ironiquement précisé (« Read L?R »). Ainsi, nous constatons d’une manière générale, que l’appropriation du code barre en tant qu’élément plastique fluctue selon les engagements artistiques des labels. De parasite rejeté en bloc par l’austère Kranky, il passe par le stade de l’autodérision chez le subversif label Rephlex, avant que son intérêt plastique soit enfin pleinement révélé et exploité par les Designers Republic de Warp.Depuis quelques années, le code barre n’est plus le seul motif imposé dont les designer cherchent à tirer parti.

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Les logos « Compact Disc Digital Audio » ou « Parental Advisory » font également l’objet de mauvais traitements et de détournements. Rephlex ira jusqu’à répéter sept fois le logo « Compact Disc » sur un même CD. Aphex Twin agrandit ce même logo pour qu’il recouvre la totalité de son CD I care because you do. Quant aux Designers Republic, ils iront jusqu’à réinventer des logos pour les supports vinyle et la cassette qui en étaient dépourvus. Puis, soucieux de leur constant renouvellement, les Designers Republic, reviennent régulièrement sur leurs acquis. Dernièrement, le logo Warp n’apparaît plus sur certains disques du label, comme par exemple le single Windowlicker d’Aphex Twin, sur lequel la simple mention « Warp Records logo » remplace le logo lui-même. Autant de détails qui, s’ils semblent a priori anecdotiques, reflètent pourtant l’importance du moindre élément visuel aux yeux des musiciens. L’intégrité artistique passe très souvent par de telles voies, trop souvent jugées secondaires par les maisons de disques et les artistes eux-mêmes.

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Contrairement aux labels indépendants que nous venons d’évoquer, les majors, à cause d’une méconnaissance profonde des problématiques artistiques contemporaines, ne sont plus prêtes à répondre aux attentes des musiciens en matière de packaging. Et lorsqu’elles semblent faire des efforts en la matière, c’est dans une optique de marketing. Or, si nous voulons envisager le mélomane comme un amateur d’art et non comme un « consommateur de produits culturels », il est facile de constater qu’il est souvent amené à nourrir une relation privilégiée avec ses disques. Nombreux sont les auditeurs qui lorsqu’ils sont allés acheter un disque, profitent du chemin du retour, dans les transports en communs, pour examiner leur nouvelle acquisition dans ses moindres détails, avant même de l’avoir écoutée. Tout est passé au peigne fin : Le nom des musiciens et du producteur, le label, le distributeur, le lieu et l’année de l’enregistrement, l’origine du pressage, les titres des morceaux… Autant d’informations qui constituent une matière première au travail des designers. Le mélomane n’est donc pas insensible aux efforts des designers en matière de packaging.

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A l’heure où les majors enregistrent une baisse sensible de leurs ventes à cause du piratage des CD par les particuliers, (Rappelons qu’aujourd’hui, un graveur de CD pour ordinateur ne dépasse pas les deux mille francs et qu’un CD vierge coûte moins d'une dizaine de francs), le packaging est un argument de vente hors pairs. Un argument qui peut justifier l’achat d’un disque, même si l’auditeur à l’opportunité de copier le disque en question. En effet, même une photocopie couleur ne peut remplacer parfaitement la pochette d’un disque. Un argument dont les Anglais et les Japonais semblent avoir saisi toute la portée en favorisant les éditions soignée en Digipack, en utilisant des papiers de qualité pour l’impression des pochettes, en évitant la surabondance de logos et de références, en apposant des codes barres de petites taille… Les Français, en revanche, s’entêtent à formater au maximum le produit disque. Tous les détails que nous venons de mentionner disparaissent au profit d’une édition en papier glacé et boîtier cristal plus « passe partout » et plus facile à manier. Ce nivellement par le bas est regrettable et est symptomatique d’une négligence de l’auditeur et d’un irrespect total des volontés de l’artiste. Lorsque le pressage français d’un CD s’apparente déjà à une mauvaise copie du CD original, pourquoi se priver de le copier à bas prix ?

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Indépendamment de tout effet marketing, l’auditeur est attaché au contexte de l’œuvre. Comme nous l’avons vu, ce contexte est matérialisé par la pochette du disque. Les maisons de disques et les commerciaux le savent et n’hésitent pas à s’en servir.On peut évoquer par exemple les méthodes de vente de certains hypermarchés qui, pour ne pas respecter la date officielle de sortie mondiale d’un disque (imposée par les majors), propose de vendre, en avant première, sa pochette vide au public, quelques jours avant sa sortie. L'hypermarché garantit ainsi la possession dudit disque, le matin même de sa sortie, en s'y présentant muni de sa pochette vide et de son ticket de caisse. Bien évidemment, une telle manœuvre est réservée aux stars de la variété internationale. Mais elle témoigne justement de l’importance de la matérialité – ou plutôt de la matérialisation – de la musique, même chez le consommateur lambda. Dans le cas présent, d’une certaine manière, posséder l’image, c’est posséder le son.

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Ainsi, le packaging du disque, quel que soit son format, est aujourd’hui autant porteur de sens que la musique qu’il accompagne. A tel point que la pochette de disque acquière une réelle autonomie et qu’elle peut presque justifier à elle seule, l’achat d’un disque. Indépendamment de toute considération mercantiles, les artistes ont compris l’intérêt d’un packaging pertinent et y voient un moyen d’expression complémentaire à leur musique, et, au-delà d’un simple travail d’illustration, une manière d’affirmer leur propos musical par une voie plastique. C’est pour cette raison que la collaboration entre musiciens et designers est aujourd’hui accrue, et notamment en ce qui concerne la musique expérimentale, qui, comme le travail de design, suppose une importante recherche et un constant renouveau. Et si les détracteurs du CD, émettent encore quelques inquiétudes fondées sur la perte d’une approche de la musique spécifique au format vinyle, des labels comme Mo Wax et surtout Rephlex ont su explorer intelligemment les possibilités offertes par le packaging du CD et prouver que la pertinence visuelle naît souvent du détournement des codes imposés.

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L’ubiquité du disque le différencie de l’œuvre d’art conventionnelle mais ne remet pas en question son statut d’œuvre. Toutefois, depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nombreux musiciens et labels proposent des alternatives pertinentes au design industrialisé du disque. Parmi eux, le label 555 de Leeds (Angleterre) qui réalise entièrement à la main des pochettes uniques. En effet, pour chacune de ses sorties, une série de pochettes toutes différentes les unes des autres est confectionnée à la main par les musiciens eux-mêmes. Pour le single The Weight de Hood, par exemple, de grandes peintures réalisées par le groupe ont étés découpées pour que chaque single en reçoive un morceau en guise de pochette. Quelques plus rares exemplaires du disques arborent en plus une véritable photo originale prise par un membre de Hood.


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Il s’agit bien sûr pour ces artistes d’affirmer une sensibilité artistique globale, tout en s’assurant un contrôle absolu sur leur production. Un procédé qui participe également d’une volonté de nier tout ce qui est de l’ordre du marketing en créant des pièces totalement uniques et donc difficiles à promouvoir sur une grande échelle.
En définitive, ces différentes attitudes constituent autant d'aboutissements possibles à la longue évolution des comportements artistiques au sein des musiques électroniques et alternatives. Il s’agit bien de démarches significatives des aspirations artistiques "globalisantes" des musiciens et de leur volonté d'assurer un controle total sur toutes les phases de leur production.

texte extrait de la maîtrise ''musique et art contemporain : une hybridation croissante". 1998.
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