JEAN_BAPTISTE FARKAS • L'ATELIER DE PRODUCTION IKHEA • [6 décembre 2001-27 janvier 2002]
à l'Espace d'art contemporain, 55 rue du Montparnasse, 75014 Paris. ikéha@mageos.com




1. Paul Eder : Ikhéa : expliquez-nous le principe de cette entreprise. Je vous propose ensuite d’en faire l’historique.
1. Le directeur : J’ai entendu dire qu’en musique, un certain nombre d’artistes tentent d’instaurer un nouveau type de rapports avec leur public : le dialogue prend une place prioritaire dans la fabrication de l’œuvre telle qu’ils la conçoivent. Leur technique de travail consiste à tenir compte, en temps réel, des réactions des auditeurs en présence desquels ils jouent. Et d’intégrer ces réactions à l’œuvre en cours. Ils explorent les possibilités d’un face à face qui présente à coups sûr plus de risques qu’un travail qui aurait vu le jour dans des conditions plus traditionnelles (ils auraient pu travailler en studio). Même si cette expérience entraîne derrière elle un certain nombre d’inconnues qu’il faudra gérer à un moment ou à un autre du processus de réalisation, pourquoi ne pas l’appliquer à toute autre forme de production ? Et, plutôt que de se tourner systématiquement vers l’objet fini, pourquoi ne pas se pencher d’avantage sur le processus pris pour lui-même ? On critique ce genre de méthodes parce qu’elles n’ont souvent laissé que du vent derrière elles. Or ce qui autorise et rend crédible une possible évolution des méthodes de production dans ce sens, s’intéresser au processus plutôt qu’aux objets qui en sont issus, réside dans l’incroyable puissance des outils de sauvegarde dont nous disposons aujourd’hui. La trace enregistrée acquière un statut qu’aucune autre époque n’aurait pu lui accorder. A partir de ce fait en grande partie technologique, un processus de travail n’a pas forcément besoin d’aboutir pour nous intéresser. Chacune de ses étapes nous interpelle dès qu’elle est mise en mémoire. Que peut donc bien nous apporter un processus s’il n’aboutit pas ? Cette question résume à peu près toutes les directions empruntées jusqu’à maintenant par Ikhéa. Inopérance, inefficacité, improductivité ont-elles aussi droit à la visibilité et à l’existence. Assumer ce principe relève essentiellement d’un point de vue moral : vais-je me faire du mal si je ne montre que des choses qui ne marchent pas et si je laisse de côté toutes celles qui avaient une chance d’exister ? Comme tout dans la vie ne finit pas forcément bien et qu’à partir d’un moment on le sait, quand une mise en œuvre devient par principe improductive, on peut tout de même y voir une espèce d’hommage rendu à la nature (rires). Je fais sans doute partie des gens pour qui la complexité joue un rôle important. Je ne peux me résoudre à être simpliste.

2. P.E. : Et l’historique ?
2. Le directeur : A l’origine d’Ikhéa, il y a quelque chose qui est presque de l’ordre d’une révélation : le doute nous est soudainement apparu comme une matière première dont il y a un nombre incalculable de choses originales à tirer. Mais ceci n’est pas très neuf, car le doute a de tout temps été un moteur aussi valable qu’un autre pour permettre le travail, une source d’inspiration. Peut-être, par contre, n’avait-il jamais pris autant de place (presque tout, je dois dire), dans une production.

3. P.E. : Adopter un point de vue critique n’aurait-il pas suffi ?
3. Le directeur : : Le doute présente l’intérêt de n’être pas quantifiable tandis que le point de vue critique est une construction très rigide dont il est difficile de sortir quand on en a envie. L’intérêt d’une pratique, outre les multiples propositions qu’elle contient, réside aussi dans ce qu’elle transmet de peu compréhensible, dans sa partie cachée. Le doute, ce qu’il y a de doute dans une pratique et qui néanmoins lui est irréductible nous révèle quelque chose de fort. C’est aussi un flux qui rend difficile tout contrôle et perturbe durablement son propriétaire. Le sentiment de la faute, l’absence de choix fermes, une certaine forme de dépersonnalisation (un peu comme un flou), le principe de surabondance, l’absence totale de justification du travail et sa gratuité manifeste, le fait d’avoir recours à des techniques et des modes d’intervention toujours nouveaux sans jamais les hiérarchiser ni leur donner un ordre logique et donner à tout l’apparence d’un tas, inventer des modes d’emplois sans applications possibles… autant de moyens entrepris pour explorer cet état infiniment riche comme on le ferait d’un lieu. Il a fallu progressivement savoir se servir de tout ça un peu comme d’un clavier. Je crois y être en grande partie arrivé aujourd’hui.

4. P.E. : Le plus étonnant reste la volonté d’en faire découler des produits, bref, d’en faire un fond de commerce. " Ikhéa présente : le doute, fond de commerce ! " ?
4. Le directeur : Oui, mais tout dépend de ce qu’on entend par produits. Ikhéa a justement toujours mis en œuvre un grand nombre de procédés (souvent improvisés) débouchant sur des formes mais ne prenant jamais la forme elle-même comme point de départ. Ce qui suppose une très grande permissivité à tout ce qui se présente. En ce sens, notre orientation, je dirais presque depuis le départ, a toujours été de considérer toute chose (fait, intention, atmosphère, moment) comme un produit exploitable de bien des manières et pouvant avoir de nombreuses applications. Vous trouverez cette idée sûrement un peu banale, elle l’est devenue aujourd’hui, mais elle nous a parfois entraînés dans des situations très extrêmes et finalement originales. Et nous ne nous sommes jamais écartés de cette perspective parce qu’elle offre un certain nombre de libertés qu’une plus grande clarté quant aux buts à atteindre, une plus grande stabilité apportée par des paramètres fixés une fois pour toutes interdirait. Certain y voient un au-delà. Mais c’est faire un contresens.

5. P.E. : L instabilité, un autre fond de commerce en somme ?
5. Le directeur :: Non, il ne s’agit pas de ça. Dire ça, c’est encore se positionner par rapport à un dessein. Tandis qu’Ikhéa a si peu de motifs d’exister et de se répandre... Très nettement hors de la forme et continuellement à la dérive, cette entreprise existe néanmoins et se répand. En fait, ceci est rendu possible parce qu’elle situe ses enjeux hors de la permanence. En empruntant des apparences très variables, le logotype Ikhéa concrétise cette idée d’instabilité productive. Celui-ci est réinventé autant de fois qu’il entre de nouveaux intervenants dans notre entreprise. Il est continuellement reformulé, sert de nouveaux plans et exprime, en définitive, non pas une identité aux contours nettement délimités, mais une multitude de personnalités, une constellation. Aucune d’elle n’en contredit une autre ou elles se contredisent toutes entre elles. Mais ceci n’est pas grave, car le débat se situe ailleurs. Nous sommes loin de ce qu’on peut attendre d’un logotype qui exprimerait un sens une fois pour toutes : c’est dans sa re formulation continuelle que réside son efficience. J’espère que nous avons enterré des standards éculés comme : " La forme exprime le fond. " etc. Car tout ce dont nous parlons ici est en cours de réalisation et veut perpétuellement le rester. Et peu nous importe de savoir ce que nous avons devant les yeux, si cette chose est en vie et se développe en temps réel. C’est l’aptitude à douter de la notion même d’unité, qui, paradoxalement, rend à la production un statut qu’il lui est souvent interdit par un certain nombre de conventions. Par les irrégularités et un certain sens du déséquilibre, Ikhéa tente de mettre en place des conditions qui favorisent une prise de risque. Cette apparente ambiguité (le doute poussé à ses extrémités pousse à produire) ouvre un débat et l’enrichit sans cesse de nouvelles informations. Peu nous importe le point d’arrivée : c’est assurément ce qu’il y de plus radical dans Ikhéa. En fait, je crois que nous étions surtout dégoûtés par les limites, par tous les cloisonnements. Ikhéa tente une espèce de correction maladroite de ce côté-là, cette correction est une brèche qui peut un jour ébranler tout un édifice.

6. P.E. : Selon vous, tout a une fin ? Vous nous parlez très peu des moyens entrepris pour réaliser vos objectifs. Pourtant, il me semble que la pratique tient une place primordiale dans toutes les réalisations Ikhéa. C’est comme si vous évitiez d’aborder des faits plus concrets...
6. Le directeur :: Chaque entreprise a un fantasme et parmi toutes les choses qu’elle communique, et spécialement parmi toutes les choses qu’elle communique inconsciemment, elle transmet aussi ce phantasme. Je dirais que celui d’Ikhéa consiste à laisser penser tous les gens qui y participent qu’il est possible de produire une forme d’énergie qui pourrait échapper à tout contrôle. Et à toute économie (je prends ce mot dans son sens le plus large). Ce sera sans doute possible dès que les producteurs se tourneront plus vers un mode polyphonique de création, qu’ils s’intéresseront à beaucoup d’autres choses que le domaine qui les concerne et s’écarteront d’ambitions trop strictement personnelles. Chez nous, la posture prend nettement le dessus sur la pratique. Aborder des faits plus réels devient donc difficile. Cette posture consiste à questionner le monde qui nous entoure et à penser que peu de choses vont de soi. Il s’agit par exemple de signaler pourquoi ce qu’on nous propose dans la vie ne satisfait pas forcément nos désirs ou de montrer comment une partie des choses qui s’imposent comme des changements naturels ou nécessaires à la société peuvent être en réalité une stratégie servant un groupe d’individus. Ikhéa est contestataire. Il est très difficile de dire : Ikhéa, c’est ceci ou cela. C’est actuellement le seul moyen que nous avons trouvé pour nous protéger de la chasse au contenu qui limite nécessairement toute production et la glace une fois pour toutes. Nommer prend toujours trop d’importance : beaucoup de créations ont vu le jour sans avoir de nom. Il faut aussi refuser toute explication d’un travail, au risque d’être incompris ou simplement de lasser. Se soucier d’un assez grand nombre de problèmes en restant indifférents à leurs solutions. Ne plus se soucier d’efficacité. Comme très peu de recours ont étés mis en place pour dire non, une de nos priorités consiste à offrir ce type d’espaces à la pensée. La société nous impose un plein soleil permanent auquel il convient d’opposer des zones d’obscurité. Pour se préserver d’une trop grande transparence, Ikhéa se chargera d’aménager ces bulles d’opacité. Tout ne doit pas se voir.

7. P.E. : J’aimerais que vous nous parliez maintenant de la partie la plus visible du travail : le détournement. Vous l’appliquez autant à l’objet qu’à toute autre forme de produit ?
7. Le directeur : Détournement et recyclage, à mon avis, il faut parler des deux. Oui, détourner, d’abord, du point de vue d’une entreprise, c’est exister à l’ombre de... s’autoproclamer sans vraiment en avoir le droit et parfois au détriment d’une structure ou d’une organisation qui existe déjà. Détourner un objet ensuite (et tout autre chose qu’un objet), c’est apporter un coup fatal à son statut. D’abord, il n’est plus ce qu’il était. Ensuite, reste à savoir ce qu’il est devenu et ce qu’on va vouloir en faire. L’objet obtenu par détournement n’est pas transparent, évident, il est complexe et brisé. Il n’est jamais élémentaire. Il nous déçoit un peu parce qu’il n’est pas pur, mais nous nous familiarisons avec lui et lui cherchons une deuxième nature plus en accord avec nos désirs. Sa nature trouble (et double) rend possible presque toute projection. C’est un véhicule. Nous l’utilisons beaucoup dans le travail parce qu’il produit du sens sans rien ajouter (en terme de matière) à ce qui existe déjà. Les possibilités du détournement sont presque infinies. C’est un mode de pensée très adapté à la société industrialisée dans laquelle nous vivons et qui touche à un très grand nombre de domaines. Tout se détourne : il ne tient qu’à nous de retrouver une part de contrôle dans ce qui nous contrôle. A propos de la notion de recyclage, elle prédomine dans Ikhéa et a valeur de manifeste : tout ce qui est formulé peut être reformulé. Cette règle touche à l’absurde mais c’est elle qui autorise un mode d’implication très spontané et très sincère dans l’œuvre en cours. Il faut faire un grand effort pour s’extraire de toute idée de permanence et travailler sans se soucier d’un but à atteindre. Toute chose issue du processus Ikhéa peut y être introduite de nouveau. C’est sans fin. Par rapport au statut des intervenants, cette idée joue vraiment un grand rôle. C’est tout ce qui tourne autour de la propriété du créateur sur l’objet qu’il crée qui s’en trouve fragilisée. Il existe des groupes d’intellectuels qui interrogent le copyright. Nous, nous vivons ce questionnement dans la pratique. C’est dégagé en partie de sa responsabilité d’auteur qu’un intervenant se tourne davantage vers son désir. Il faut créer des conditions propices à l’échange et donc s’attendre à ce que le voisin apporte son grain de sel à ce que nous réalisons ou qu’il reprenne à son compte une construction appartenant à une toute autre logique que la sienne. Ces intuitions successives viennent s’ajouter les unes aux autres comme des strates géologiques. Un objet Ikhéa offre donc simultanément au regard plusieurs moments de son élaboration, plusieurs natures. Je fais une petite parenthèse sur l’objet : avec tout ce qu’on nous a mis dans la tête, comment pourrions nous le concevoir autrement que comme une entité autoritaire destinée à vivre indéfiniment à nos côtés ? En le replaçant en pensée dans le processus qui l’a fait naître ! Tous les efforts de Ikhéa vont dans le sens du processus. C’est surtout une position à tenir pendant le travail. Pour un spectateur un peu planant, rien ne change, ça reste de l’ordre du sempiternel dialogue entre un homme et un matériau. Il se passe pourtant beaucoup de choses à ce moment là qui vaudraient la peine d’être entendues. Trop d’objets sont réalisés sans cette conscience. Au mieux, ils peuvent nous surprendre, mais ils ne seront jamais vraiment plus que de simples volumes sur lesquels poser le regard !

8. P.E. : Par rapport à l’utilisation que vous faîtes des slogans, que faut-il y voir ? Ironie, perversion d’un système ou déclinaisons sincères des concepts qui structurent le projet Ikhéa ?
8. Le directeur : L’effort entrepris pour rendre un travail visible est si grand qu’il prend presque toute l’énergie d’un producteur. Ceci s’explique sans doute par la multitude de propositions qui font surface à chaque minute dans tous les pays du monde. Comment rendre visible une démarche, un travail, une méthode, des produits? D’autant que cette bataille pour la visibilité du travail rend toute concentration et repli sur soi quasiment impossibles. Il n’est pas inutile de repenser cette situation en incluant le concept de visibilité dans le produit lui-même. Voire de s’approprier la visibilité au point d’en faire un des principes du produit. Cette problématique peut provoquer des hasards heureux et modifier tout le contenu d’une production en l’ouvrant sur l’extérieur. Les slogans nous aident à dialoguer avec notre public. Ce sont des liens. Le souci de la visibilité est omniprésent dans la production Ikhéa [une chose peut-elle exister sans être visible ?] : le soulignage quasi systématique de nos créations par des phrases emblématiques sur les lieux d’exposition en est l’exemple le plus approprié. Il arrive même que certains de nos objets reposent en grande partie sur les mots. Ce statut hybride ne facilite souvent pas la compréhension et nous attire des critiques assez dures. Néanmoins un regard un peu plus approfondi sur notre manière d’utiliser les mots montre notre souci d’imiter, de parodier et de contrefaire les procédés de la télévision qui nous dit sans cesse ce que nous devons penser. Pour ma part, j’accorde au slogan un pouvoir. Il crée un face à face assez unique entre le producteur et le consommateur. Au demeurant, le slogan est une recette vieille comme le monde. Ce qui évolue, c’est l’utilisation qu’on en fait.

9. P.E. : Faut-il conclure que le plus important pour Ikhéa est de faire connaître et reconnaître son existence et ses pratiques et d’orienter dès lors tous ses efforts vers la communication ? Parler et faire parler du projet Ikhéa devenant plus important que le projet Ikhéa lui-même ? N’est-ce pas une certaine forme d’appauvrissement ? Certains voient dans la tournure de plus en plus immatérielle que prennent certains modes de production une dérive plus qu’une issue. Que faut-il attendre, effectivement, d’une façon de construire de plus en plus tournée vers le vide ?
9. Le directeur : Ces gens confondent sans doute processus et vide. En présence d’un travail en cours de réalisation, laissé inachevé, ils pensent qu’on leur a caché ce qu’il y a de plus important à voir. Ils veulent se laisser surprendre par ce qu’ils connaissent déjà. Mais cette blague ne peut être répétée qu’un certain nombre de fois avant que l’ennui s’installe et vienne moisir le tout. Ikhéa se trouve du côté des utopies. Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé de meilleur moyen pour contrer des méthodes de production entièrement soumises à l’idée du profit et parfois cyniques. Le cynisme tue ! Les utopies n’ont pas besoin de remplir de grands espaces vides pour être pertinentes. Une phrase suffit parfois à mettre en branle tout un système. Le nôtre, celui de la société dans laquelle nous vivons, qui par/grâce au principe de la concurrence rend banale toutes formes de violence, supportera difficilement qu’on lui tourne le dos. C’est pourtant sur ce point faible que doit compter toute personne qui désire communiquer un message plus personnel que celui qu’on lui propose et qui assume l’idée d’avoir à bouleverser une grande partie des repères qui lui ont été donnés. Cette personne à sa place dans Ikhéa. Mais je reconnais qu’il est très difficile d’être autonome et de se consacrer à la réalisation d’un travail qui ne rapportera pas immédiatement de résultats quand presque tout ce que nous vivons au quotidien se résume à lutter pour des positions et les avantages évidents qu’elles offrent. L’homme peut beaucoup. Néanmoins, la course pour les positions continue de prendre le pas sur les compétences, l’engagement personnel, l’imagination...

10. P.E. : L’imagination au pouvoir ?
10. Le directeur : Cette échelle de valeur pour laquelle nous sacrifions si généreusement presque tout ce que nous sommes n’est pourtant qu’un des modèles possibles d’organisation de l’activité dans notre société. Dans une autre structure, les positions occupées prendraient un tout autre sens. Ikhéa fait comme si une autre échelle de valeur était déjà en place. Je ne vois donc aucune forme d’appauvrissement dans notre travail et surtout qu’il n’est à la recherche d’aucune issue.

11. P.E. : On pourrait vous reprocher d’avoir un ton un peu professoral, comme si vous étiez persuadé d’apporter quelque chose de nouveau à la définition du travail et à sa diffusion. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’un nouvel agencement de ce qui est déjà contenu à l’intérieur du champ dans lequel vous travaillez plutôt que d’une avant-garde ? Enfin, que pensez vous apporter de vraiment nouveau ?
11. Le directeur : De nouveau ? Rien! De quoi suis-je l’ami ? Je peux essayer de décrire Ikhéa en une seule phrase : engager un très grand nombre d’efforts dans le sens d’une production d’énergie qui échappe à tout contrôle. Qu’importe le résultat ! Le tout tient dans le processus dont l’image est si complexe qu’elle fait travailler la perception beaucoup plus que d’habitude, la porte à ébullition. Le malheur est que cette formidable production d’énergie anormale doive un jour se figer et la pensée expérimentale finir en produit. Ikhéa, c’est le gommage de la notion de propriété (qu’importe qui fait quoi), une remise en question radicale de l’idée de résultat, la création d’un environnement à l’intérieur duquel les notions d’échec, de ratage, d’inopérance tiennent une place prépondérante, la mise en lumière du processus au détriment des objets qui en sont issus et, enfin, un certain goût pour la dérive et les interférences, les distorsions qui naissent entre un programme et sa réalisation. Nos priorités sont toujours restées les mêmes : éviter à tout prix de s’entendre dire c’est comme ça !

12. P.E. : A propos du nom, Ikhéa ?
12. Le directeur : Oui, le nom fait référence à l’atmosphère des nouvelles de science fiction. A une histoire du genre : il existe, beaucoup plus près de nous que nous le pensions, une dimension en tout point identique à la notre. Un double parfait, à quelques subtilités près. Même planète, même configurations, même noms, même pays, même maisons, même personnes, à quelques subtilités près. Arrivé au milieu de la nouvelle, on suppose qu’intervertir ne serait-ce qu’un élément d’une dimension à l’autre pourrait causer des dégâts irréparables. Ikhéa laisse supposer que ça s’est fait.