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Théorie — Entretiens | François Ascher | Antoine Picon | Peter Weibel |
François Ascher : Entretien avec Andrea Urlberger, le 13 mai 2005 à Paris
François Ascher
Urbaniste et professeur à l’Institut français d’urbanisme (Ifu – Université Paris 8) et président du conseil scientifique et d'orientation de l'Institut pour la ville en mouvement (PSA – Peugeot Citroën), il est l’auteur de nombreuses publications notamment Métapolis ou l'avenir des villes, éditions O. Jacob, 1995 et Les nouveaux principes de l'urbanisme. La fin des villes n'est pas à l'ordre du jour, éditions de l'Aube, 2001, Poche 2004.
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François Ascher — Il y a l’aspect GPS, la possibilité de localiser quelqu’un, il y a l’aspect média, comment on représente la localisation de quelqu’un et puis le troisième, qu’estce qu’on fait de la localisation. Ça, ce sont trois niveaux. Alors je m’imagine du point de vue artistique, on peut se servir de ces trois éléments.
Nous (l’Institut de la ville en mouvement), on a tenté de se servir du GPS pour aider les aveugles à se déplacer. L’aveugle a un gros problème de localisation et de navigation. D’une part, il doit exactement savoir où il est et, d’autre part, il doit avoir une aide à la mobilité. Le GPS, ce n’est pas assez intéressant, parce qu’il n’y a pas assez de précision pour l’aider à savoir où il est précisément. Le problème est de savoir, s’il est à 20 cm du trottoir ou s’il est à 1 m du trottoir. Donc, il y a une localisation, qui est plus générale, qui permet de savoir où aller. Donc on a abandonné parce que, effectivement, les technologies n’étaient pas encore assez avancées et qu’il fallait l’utiliser de façon
couplée à un ordinateur. Il y a quatre ou cinq ans, la technologie n’était pas assez performante. Donc, ça devenait trop lourd et trop complexe parce qu’il fallait se promener avec un PC, avec le GPS, etc. Je pense que les technologies ont changé. Et aujourd’hui, avec la navigation embarquée, on est quand même beaucoup plus mobile.
Andrea Urlberger — La précision dépend aussi de la qualité du récepteur.
F.A. — Oui, et éventuellement, il est nécessaire de compléter les récepteurs avec des antennes fixes. S’il y a des bornes, on arrive à une plus grande précision.
A.U. — Par exemple, dans le port de Rotterdam, tous les bateaux sont dirigés par GPS, mais ça ne suffit pas, donc pour ça, il y a des bornes.
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F.A. — Oui, ce ne sont plus seulement des satellites, mais ce sont des bornes fixes et qui permettent un meilleur repérage. Donc, on a abandonné (au sein de l’Institut de la ville en mouvement). Mais moi, ce qui m’a fasciné, c’est une expérience personnelle, au-delà de l’expérience avec les aveugles. Moi, j’ai un GPS dans ma voiture depuis trois, quatre ans et ça a changé mon rapport au territoire. C’est ça la chose la plus intéressante. Ça a changé mon rapport au territoire parce que quand je mets mon GPS .... . Alors qu’avant j’ai regardé une carte et maintenant, j’ai la même vision que les aveugles. Donc, j’ai la vision de l’itinéraire et je perds la conscience du territoire. Donc, le gros problème avec les aveugles est qu’ils ne se représentent que des lignes et ils ont du mal à se représenter le territoire, ils ont du mal à se représenter des réseaux. Alors moi, je m’aperçois de la même manière, je fais confiance à mon GPS et je le règle à une échelle assez fine de telle manière que donc je vois à deux ou trois cents mètres pas plus et donc je perds la conscience du réseau et donc je perds la représentation du territoire et je fais confiance au réseau. Mais je sais avec précision l’endroit où je suis. Je connais maintenant les noms des rues, parce que les noms des rues s’affichent. Ma perception du territoire s’est complètement transformée en perdant la surface et en gagnant en
intensité sur le point et la ligne. Donc, on revient un peu à la conception de la carte du Moyen Âge ou de la carte chinoise où la carte est le récit d’un parcours et pas la représentation abstraite d’un territoire. Je trouve que c’est assez étonnant.
Un deuxième élément dans ma pratique – je trouvais ça assez intéressant –, c’est, bien sûr, que je ne regarde plus l’itinéraire avant, donc je ne construis plus quelque chose, mais ensuite, si je suis par hasard confronté à un obstacle, à une manifestation, à un embouteillage, à une difficulté, je me livre empiriquement au GPS, c’est-à-dire, je prends une décision impulsive et je sais que le GPS me permettra de m’en sortir. Par exemple, je me suis retrouvé sur l’autoroute du Nord, dimanche soir, un énorme embouteillage. Je me dis, je prends la première sortie. Normalement, il ne faut pas faire ça, sinon, danger, perte, etc. Et là, je sais que je peux faire ça. Le GPS va me permettre d’improviser. Et donc l’autre aspect intéressant est la capacité d’improviser, d’improvisation qu’il permet. Ça, c’est le GPS ancien système. Maintenant, les GPS nouveaux informent sur les embouteillages. Moi, j’ai un ami qui a un GPS plus récent et donc, il voit que l’autoroute est éventuellement embouteillée et qu’il peut prendre un itinéraire de travers. C’est quand même assez étonnant comme modification de la
représentation du territoire.
A.U. — Oui, pour les artistes, c’est la première fois qu’on peut représenter un territoire sans la « main », sans un appareil. C’est calculé. Bien sûr, tout le système est humain, ce n’est pas divin, mais quand on se déplace, c’est calculé. Puis, il y a toute l’idée de la surveillance qui se greffe dessus, l’imaginaire de la surveillance surtout.
F.A. — L’imaginaire de la surveillance, c’est exactement la même chose que la surveillance avec les caméras dans la rue. Je pense que c’est assez intéressant à regarder d’assez près. On accepte la surveillance des gens qui nous regardent, mais on n’accepte pas la surveillance de la caméra. Alors qui est derrière la caméra c’est le problème. La question d’être suivi à la trace, c’est quand même quelque chose d’assez impressionnant. On avait déjà ça. Au début du téléphone mobile, du Bi Bop ou des premiers bips, c’étaient les enfants qui étaient contrôlés par les parents, on est toujours joignables. C’est la première étape du « toujours contrôlable ». Donc c’est un rapport à la communication qui est au centre.
A.U. — Ça rejoint toute la question de la surveillance des prisonniers. Mais à l’intérieur d’une maison, le GPS ne marche pas, donc...
F. A. – ... Oui, ça concerne aussi tous les obsédés sexuels, les délinquants sexuels, pour les empêcher d’approcher un endroit interdit parce qu’il y a des enfants ou le gars qui a des conflits avec sa femme et qui n’a pas le droit d’arriver dans un quartier où sa femme pourrait être.
A.U. — Juliette Marais, l’ingénieur chercheuse de notre équipe m’a raconté que le public a l’impression que le système GPS fonctionne si bien, surveille si bien qu’on lui demande toujours pourquoi elle travaille encore sur cette question.
F.A. — Donc, ça ne marche plus du tout en intérieur ? Parce qu’il n’y a plus de captage ?
A.U. —Non, le GPS, ce sont des ondes… A travers les murs, ça perd en intensité et on ne capte plus.
F.A. — Mais ça peut être relayé quand j’entre dans un tunnel en voiture, un système compense alors. Je continue à savoir où je suis, le satellite ne sait plus où je suis. Avec le GPS, il y a d’une part la possibilité de se localiser soi-même, mais aussi la possibilité de localiser les gens.
A.U. —Votre récepteur GPS envoie un signal ailleurs, c’est pour ça que l’idée de la surveillance est un peu limitée, parce que vous pouvez toujours éteindre votre système. On ne peut que difficilement suivre ses ennemis, on peut suivre ses amis.
F.A. — Mais dès quelqu’un se sert d’un GPS, il peut être suivi. Donc forcément, le satellite sait où je suis et donc quelqu’un peut savoir. Donc, c’est une question de réciprocité... Si moi, je veux me servir d’un GPS et je me localise, évidemment, le satellite m’identifie et donc quelqu’un peut le savoir ? C’est une question de réciprocité.
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A.U. — J’ai rencontré aussi Antoine Picon. Par rapport à la surveillance, il a comparé le GPS au numéro de la Sécurité sociale, c’est le prix à payer...
F.A. — À la différence du numéro de la Sécurité sociale, on ne peut pas l’interrompre, tandis que le GPS, on peut le fermer. Donc, il reste un élément de maîtrise. Mais autre chose, dans sa voiture, on a un GPS pour la sécurité, là, on ne peut plus échapper... Par exemple, il y a maintenant des voitures qui ont une balise GPS pour la panne ou pour le vol. Donc, la voiture est en permanence identifiable.
A.U. — Je pense que les voleurs n’auront aucun problème à l’éteindre comme ils arrivent à ouvrir les
voitures.
F.A. — Oui, mais ça pourrait être protégé... plus ou moins, oui. Tôt ou tard, ils vont pouvoir trouver... C’est l’histoire du gendarme et du voleur, le voleur qui a toujours une longueur d’avance sur le gendarme.
A.U. — La représentation du territoire, c’est vraiment la piste la plus intéressante.
F.A. — De ce point de vue, la représentation du territoire, je ne parle que de mon expérience personnelle, les cartes sont très différentes les unes des autres. C’est-à-dire, les systèmes Siemens, etc. entre les dispositifs et donc... la représentation, ensuite, du choix cartographique, les choix divers.
A.U. — Même les usages peuvent être différents, on peut imaginer collectionner tous les parcours, tous les graphiques et, à la fin, ça devient une carte. Dans l’instant même, on est dans la linéarité de la narration, mais à partir d’une appropriation et d’une collection de vos parcours, ça devient une carte, une carte de vie et une carte des parcours.
F.A. — Bien sûr, si quelqu’un après cartographie les parcours, si c’est une abstraction qui construit, qui cartographie les parcours. Mais les gens n’ont pas cette représentation-là....
A.U. — Ce qui est intéressant avec le GPS, c’est qu’il passe entre cartographie et narration de façon pas trop déterminée. On peut aussi se construire des narrations sur une carte «… Je pars là, j’arrive là, je passe par là... ». Le GPS est, comme peu de choses, à la fois dans la cartographie et dans la narration.
F.A. — Cela dit, le territoire, ça le fait disparaître plus ou moins. Par exemple, moi, j’ai découvert que la Marne passe vraiment pas loin de l’autoroute. Parce que j’ai vu apparaître la rivière alors qu’elle n’est pas visible de l’autoroute. Une ligne de chemin de fer en souterrain, je la vois apparaître sur mon GPS. Donc, le GPS me révèle des choses et je ne le regarde pas forcément comme je regardais une carte avant parce que je regarde mon itinéraire. Donc, ça fait apparaître certains éléments du territoire. Mais la représentation du territoire, ça c’est quand même très, très différent. Par exemple, quand je franchis l’échangeur de la porte de Bercy, je vois un extraordinaire plat de nouilles qui apparaît. Je n’arrive pas à m’imaginer que c’est aussi complexe, aussi incroyable. C’est quand même un révélateur de territoire.
Donc, c’est un aspect assez paradoxal. Il y a aussi... Moi, ce qui me fascine c’est l’automatisation et la robotisation à partir du GPS, c’est-à-dire que les agriculteurs n’ont plus besoin de conduire leur moissonneuse-batteuse. Ça, c’est de l’assistance, mais là, ça permet de robotiser. Par exemple à partir du moment où on a assez de précision, on n’a plus besoin d’un conducteur pour la moissonneuse-batteuse. Donc, il suffit de le programmer et elle peut faire très bien elle-même l’itinéraire, toute seule. Elle marche. C’est-à-dire, à partir du moment où on n’a plus besoin de faire appel à la capacité humaine pour la représentation et pour l’évaluation du territoire. Donc, c’est un événement .... |
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A.U. — Vous pensez que le GPS pourrait entrer dans vos préoccupations sur le territoire ? Qu’il y a des liens possibles ?
F.A. — Pour l’instant, non, mais j’ai toujours eu l’idée qu’il fallait qu’on réfléchisse d’une manière ou d’une autre sur la représentation du mouvement dans le territoire. Je ne sais pas, vous étiez au festival de danse qu’on a organisé ? Non. On a présenté un livre qui s’appelle Le Sens du mouvement dans une école de danse... où on a montré l’écriture chorégraphique de la danse.
Il y a deux systèmes, il y a plusieurs possibilités, là on a montré deux écoles : comment représente-t-on le mouvement de la danse. En fait, c’est une écriture à trois niveaux, il faut écrire la musique, il faut écrire les mouvements du corps et il faut écrire le déplacement du corps dans l’espace. Donc, il faut arriver à formaliser le mouvement du corps dans l’espace, donc il faut superposer ces trois choses en même temps. Pour moi, c’est quelque chose d’intéressant. Et pour analyser la ville en mouvement, les piétons, etc., c’est quand même une technique que les architectes aujourd’hui n’utilisent pas. Et je pense qu’ils ont beaucoup à apprendre de la chorégraphie. Donc, ça c’est une première idée et je dis que par rapport à ça, le GPS peut être une technologie intéressante pour écrire le mouvement, pour décrire le mouvement. C’est un problème de l’échelle et de la représentation de l’échelle et de la précision. L’analyse, la représentation et l’intervention dans le mouvement, il y a peut-être des choses à attendre du GPS.
Je pense qu’un jour, on pourrait. Mais là, on ne peut pas faire trop de choses à la fois. Un jour, on pourrait organiser un séminaire dont le thème serait l’écriture du mouvement. Là, ça serait intéressant d’inviter des architectes, des chorégraphes, des géographes qui travaillent avec le GPS… Écriture et représentation du mouvement.
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A.U. — et son articulation avec l’endroit où le mouvement a lieu ?
F.A. — Bien sûr, tout à fait... Là, on travaille sur un projet sur la rue. Il y a des entreprises qui filment le mouvement des piétons et qui modélisent ensuite ce mouvement des piétons et les pulsations de la foule à une station de métro ; et c’est une première chose qui me paraîtra intéressante, parce que ça pourra susciter des idées, des innovations, des démarches créatrices...
A.U. — Ce qu’on entrevoit de la partie pratique et artistique part un peu dans tous les sens. C’est à prendre dans un sens positif.
F.A. — L’autre chose, c’est, par rapport à ce que je disais sur les aveugles, à partir du moment où on développe ce type d’aide à la mobilité, en clair, ça modifie la représentation du territoire. Ça, ça serait intéressant, parce que je pense qu’on aurait beaucoup à apprendre, dans le sens réflexion cognitive, on aurait beaucoup à apprendre de la pratique des aveugles et de la représentation que les aveugles peuvent avoir du territoire. Ça rappelle, entre autres, la ligne et son contexte. Moi, la métaphore que j’aime bien, c’est l’hypertexte, on peut s’imaginer être en 3D, mais on peut aussi s’imaginer être en hypertexte, c’est-à-dire qu’on est dans une dérive, mais dans un espace à n dimensions. Ça peut aussi concerner des territoires qui ont chacun une épaisseur, ça ne veut pas dire que ce sont des territoires plats. Et l’idée qu’on appartient simultanément à plusieurs territoires. Donc, par rapport à la localisation, ça mériterait qu’on réfléchisse sur la géolocalisation. Quand on a plusieurs territoires, on est simultanément dans plusieurs endroits. Là, je suis avec vous et au téléphone avec ma fille, et je suis en même temps dans un territoire professionnel, donc d’une certaine manière, on me géolocalise partiellement, on ne me localise que dans un de mes territoires.
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