Cette
réflexion d'origine dialectique
illustre la méthode des artistes
de Land art d'appréhender le site.
Leur volonté consiste avant tout
à sortir de l'espace muséal
pour rechercher des nouveaux modèles,
formes et concepts, tout cela dans l'optique
de réinventer l'art. Smithson,
Holt, etc. utilisent donc des supports
provenant de la nature, tels que eau,
l'air, la terre, le fer, etc. Leur intérêt
porte sur l'évolution et la décomposition
organique des matériaux naturels
dont sont issues les oeuvres "earth
works". Décomposées
dans le temps, sans une durée fixe,
elles revendique leur caractère
éphémère et remettent
en question le temps et l'espace réels
de leur création.
Le temps a une présence
physique dans Sun Tunnels
de Nancy Holt, oeuvre réalisée
en 1973-1976 à Great Desert. L'idée
de remettre la Terre sur son axe, de lui
donner une direction dans un lieu précis,
trouve de la réalisation dans une
sorte d'alignement des cylindres en béton,
encastrés à l'intérieur
d'une grande encoche du côté
d'un plateau où les cylindres projettent
leurs ombres pendant toute l'année.
Le trajet de l'ombre projetée saisit
le rapport de la Terre au système
solaire et trace sa rotation de notre
planette. Cette installation en plein
désert ouvre la dimension physique
du temps à travers l'expérience
individuelle de l'artiste. La mesure de
chaque phase à un moment donné
du trajet de l'ombre, détermine
la perception de l'espace dont le déplacement
dessine le site.
Peut-on penser à
une présence physique quant au
site numérique en se référant
au site physique des conceptuels? Vu la
durée indéterminée
de son existence, le site numérique
réside sous la forme d'un concept
mental dont la valeur physique est mathématiquement
codée. Il occupe l'espace vrai
de l'écran et l'espace mental de
son créateur en projetant son contenu
sur l'espace réel du spectateur.
Le spectateur-internaute suit tout un
chemin de passage d'un à plusieurs
espaces, d'un temps à autre, voir
plusieurs temps simultanés de vitesses
variables.
Le spectateur des "earth works"
passe également sans cesse d'un
espace à autre, d'un extérieur
à un intérieur en suivant
le trajet tracé par l'artiste.
Un " va-et-vient " en permanence
crée le rapport aux uvres.
Le Spiral
Jetty de Robert Smithson demande par
exemple au spectateur de faire de nombreux
kilomètres de marche dans le désert
pour l'appréhender. La même
démarche conceptuelle constitue
la logique de visite des sites numériques
sur le web, c'est-à-dire que l'internaute
suit tout un parcours d'opérations
formelles permettant l'accès au
site. La suite de chaque opération
est ordonnée par un ordre formel
nommé arborescence. C'est une sorte
d'architectute virtuelle dont le but est
de créer des repères. L'architecture
dans Land art suppose un récit
ou une fiction narrative tandis que dans
le Web l'arborescence prend une dimension
informative. L'internaute opère
sur l'interface de plusieurs espaces numériques
dont l'interaction lui demande à
agir d'une manière prédéfinie.
Son comportement rentre dans un schéma
de déplacement sur la surface plate
du site via l'écran où les
signes divers échangent leur fonction
de sorte que le monde représenté
devient un ensemble de symboles à
déchiffrer. Identique à
un réseau que les chiffres constituent
comme un système de signes, le
site produit un effet d'aplatissement
proche des plans dont sont issues les
premiers "earth works" dans
les années 60. Les informations
aux moyens de cartes et de photos permettent
aux conceptuels de situer leur site dans
l'espace d'exposition pensé comme
un réseau de surfaces et de lignes.
L'espace virtuel créé autour
des uvres produit un effet de flottement
qui s'exprime sous la forme de navigation
chez les internautes. Le temps et le moment
sont " défaisants ",
d'où le recours à la fiction
chez les artistes de Land art. Les oeuvres
peuvent valoir comme expérience
du corps à travers l'instant ou
comme récit du temps qui peut prendre
la forme d'une histoire, d'un film ou
de la science-fiction.
La dimension fictionnelle de Land art
traduite dans le langage du Web veut dire
faire un monde virtuel à l'appui
des nouvelles technologies. Les artistes
de Land art n'approuvent aucune fascination
pour la technique car elle signifie "l'irrationalité
et le chaos". Néanmoins, le développement
des sites numériques à l'aide
des nouveaux outils informatiques a beaucoup
de points communs avec le concept du site
de Robert Smithson.Enfin, tout est une
question de vocabulaire, de différents
moyens de réalisation, de formes
multiples pour exprimer les mêmes
idées philosophiques, scientifiques
et artistiques. Une comparaison exemplaire
des vocabulaires de Land art et des internautes
montre les points communs entre les deux: |