Borislava Simova
bobislava@hotmail.com

 
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05|Joël Bartolomeo, La caméra vidéo réduite à un objet de quotidien
#Petites scènes de la vie ordinaire
#La vache qui parle, 1992

#La tarte au citron
#L'appareil photo, 1993/1994
#A 4 ans je dessinais comme Picasso
#Tout le monde mort, 1991
Dans le système socio-politique actuel, le monde est devenu un lieu d'instrumentalité industrielle dans l'espace public du marché. Les extensions économiques sans limites, créent une relation impossible entre l'individu et le monde déjà fait. Le non-lien entre l'individu (sujet) et le monde (objet) fait écho à l'impossibilité du sujet de faire le monde. L'alternative de passer à la relation au monde "non-fait" vient d'être proposée par les artistes qui échappent à toute identification de la représentation à travers une mise à distance du monde. Leurs oeuvres s'inscrivent dans l'art de la description et non pas au registre de la représentation. John Searle fait reconnaissance à l'existence des mondes subjectifsauxquels nous nous rapportons selon différentes modalités logiques:
"affirmer ou contester l'existence des faits, adhÈrer ý des valeurs ou les rejeter, exprimer des attitudes subjectives" [Rainer Rochlitz, L'art au banc d'essai, Esthétique et critique, nrf essais, Gallimard, 1988]. Le monde subjectif susceptible d'Ítre partagÈ, prÈsente une analogie avec le monde social qui n'est accessible qu'au point de vue de l'observateur des objets et des comportements, et ce, dans un contexte artistique. L'observation descriptive a ses propres positions dans la pratique de l'ethnologue, celui qui observe les múurs, les rites, auxquels il ne participe d'une maniËre performative en distance. L'intÈrÍt de l'ethnologue porte sur l'autre culturel et/ou Èthique. La problÈmatique de l'altÈritÈ, de moi et de l'Autre, de moi et de ce qui n'est pas moi, fondamentale dans l'anthropologie, devient objet de recherches dans les pratiques artistiques contemporaines.
De la manière d'anthropologue, les vidéos de Jöel Bartoloméo présentent une sorte d'enquête sur le terrain de la vie quotidienne, ordinaire et banale; elles sondent les comportements humains dans un contexte domestique. Sa position d'observateur de sa vie familiale se traduit par le dispositif de travail: une sorte d'écriture vidéographique de type amateur. Les caractéristiques techniques de ses séquences: zooming intempestif, bougés, flous, etc. s'inscrivent au registre des films classés dans la pratique amateur. L'artiste utilise la caméra d'une manière simple, non-sophistiquée, en la réduisant à un objet de quotidien positionné quelque part par terre, sur la table ou ailleurs. La caméra fixe la réalité dans son état brut, coupe des tranches de vie de quelques minutes sur des plans arrêtés. Ce sont des séquences vidéo, prises sur le vif, englobant la sphère intime dans le monde modeste des petites choses: un repas avec sa femme Lili et ses enfants, un départ pour les vacances, etc. Bartoloméo filme son intimité et n' intervient en aucun cas lors du tournage pour éviter les coupures inutiles. [Xavier Franceschi, Autres directions, Expo Brétigny-sur-Orge : espace Jules Vernes, 1994]. C'est sa "non-présence" qu'il est en train de filmer à l'exemple d'une image hors champ. Un déplacement vers un monde isolé, l'espace privé de l'artiste en dehors de l'espace public, vient de se manifester. Ce territoire détaché du monde extérieur, auquel l'individu s'identifie est tout d'abord l'environnement culturel: la famille, l'éducation, etc. Ce ne sont que des signifiants fluides composant la production de subjectivité. Selon Gauttari, " la subjectivité ne saurait exister d'une manière autonome, et en aucun cas fonder l'existence du sujet ". Bartoloméo vise l'optique du retrait de lui même comme sujet. Le repli sur soi entraîne sa coupure avec le monde. Son rapport au monde, n'est donc plus présent. Cela produit un hiatus entre soi et l'autre dans la perspective d'une mise à distance du monde.
L'individu s'enferme dans l'identité de son petit monde isolé. Néanmoins, l'individu ne peut se construire comme sujet dans un espace séparé du monde car le sujet n'existe pas en dehors de son action à la relation au monde. Enfin, à la rencontre de l'espace public, l'artiste devient un non-sujet, incapable de raconter une histoire mais aussi incapable de faire sa propre histoire. Au sens de Hal Foster, cela serait "la fin de son histoire" [Hal FOSTER, L'artiste comme ethnographe, ou la " fin de l'Histoire " signifie-t-elle le retour à l'anthropologie ?, in Face à l'histoire, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996] comme une sorte de retour à l'anthropologie ou à l'art de la description. Il s'agit donc d'un "décollage" du sujet non seulement du monde extérieur mais aussi de son contexte subjectif. Une certaine forme de subjectivité sans existence du sujet, s'établit dans l'oeuvre de Bartoloméo, traduite par l'absence de volonté de montrer sa relation avec les autres. Le vidéaste opère donc une introspection qui menace son existence mais le spectateur voit quand même qu'elle s'y faite.
Même s'il n'y a aucune intervention de sa part, les personnages se sentent en péril dans leur intimité comme dans la bande de 91 où Lili dit "arrête de filmer". Le spectateur devine cette fausse présence hors cadre, de l'opérateur dont l'objectif final vise de ne pas tout révéler. Finalement, le choix de certaines tranches de vie reste lié au point de vue avant tout esthétique. " J'espère toujours que la scène sera vue d'un bon angle… " avoue Bartoloméo à propos de ses cadrages [Vincent Lavoie, Joël Bartoloméo/ Paul Pouvreau, Des thèmes domestiques et quotidiens pour ce photographe et ce vidéaste, Compte rendu de l'expo, F.R.A.C - Limousin, Limoges, 1996]. Les œuvres évoquées relèvent donc la problématique du déficit du sujet et de ses limites à se construire dans un espace séparé du monde. La perte du sujet se manifeste en termes de subjectivité et d'identité. L'individu est devenu tel qu'il se retire dans son espace privé en dehors de l'espace public à cause de l'impossibilité de se constituer dans le monde extérieur.
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