Nan GOLDIN | 11 oct 10 déc 2001 | Centre Georges Pompidou |
Souvent qualifié de provocant ou de scandaleux, son travail raconte, à la manière d'un journal intime, l'histoire de sa vie au coeur de la contre-culture américaine, ainsi qu'au cours de ces nombreux séjours en Europe. Le plus souvent, ses images donnent à voir une scène privée, d'un réalisme brutal, qui se joue dans un décor d'intérieur. L'intensité de ces moments est amplifiée par le « style » même de Nan GOLDIN: la prise de vue en gros plan, le mélange de couleurs saturées et de lumière artificielle, qui confèrent à ses clichés une grande sensualité. Avec plus de 320 oeuvres, dont 200 pièces inédites, des années 70 aux travaux les plus récents, cette manifestation d'envergure internationale mêle le « vintage », « slide-shows », ainsi qu'une oeuvre nouvelle, « extatic love », produite pour le Centre Pompidou à cette occasion.
OBSERVATIONS: Certes, les oeuvres sont d'une grande intensité, mais malheureusement, tombent vite dans le mal-sain, la perversité. Les trois premières salles se laissent voir sans grands soucis ; l'intimité de l'artiste, même qu'elle ne soit pas banale, ne choque pas outre mesures. (personnellement !) Je dirais même que ces images arrivent à être touchantes, quand l'artiste, par exemple, nous fait vivre l'évolution de la vie de Cookie, ou encore celle de ses deux amis homosexuels atteints du SIDA. Après ces clichés, justement touchants, on attend quelque chose de positif, mais elle nous donne simplement à voir des photographies de reliques. La salle suivante est trop théâtralisée, trop mise en scène, le scénario trop travaillé. Ensuite elle nous donne à voir du trash, supportable. C'est après que tout dérive. On se retrouve face à des oeuvres mêlant des enfants aux ébats amoureux de leurs parents. Là, on tombe dans le mal-sain, le pervers, et ce jusqu'à la fin de l'exposition.
Au fil des salles, on s'aperçoit aussi qu'une lassitude s'installe. Toujours après la salle où elle nous présente ses amis homos, on commence à souffler, à passer plus rapidement devant les oeuvres. Le sujet est compris, le spectateur a envie d'autre chose ; avec la suite il sera servi. Choqué, indigné, ou satisfait, il ne peut rester indifférent devant ces dernières photographies. Dans l'ensemble, les clichés en eux-même sont esthétiquement beaux, après vient le sujet controversé de cette exposition, mais malgré tout, selon la série d'images, diverses sensations surgissent, et je pense que c'est là le point fort de ces oeuvres : elles ont la faculté d'amener le spectateur, non pas forcément à entrer dans l'intimité de l'artiste, de ces amis, de ces proches, mais plutôt à faire réagir, tant positivement que négativement. Et ainsi se sentir plus fort en sortant, parce que vivant, décalé et loin de ce monde trash, qu'il nous plaise ou non.
1////ESTHETISATION DE LA MARGINALITE ET DE LA DIFFERENCE SEXUELLE
Larry CLARK:
Larry CLARK est étudiant entre 1961 et 1962 à la Layton School of Art de Milwaukee.Sa réputation s'établit avec Tulsa, un livre de photographies publié en 1971, qui est un témoignage de la vie des marginaux, entre la prostitution et la drogue.Ses oeuvres photographiques de 1980 réitèrent les thèmes avec les enfants et les adolescents de la 42e rue de New -York. A l'encontre de la tradition de la photographie humaniste, Larry CLARK ne peut-être considéré comme un photojournaliste. Ni moraliste ni dénonciatrice, son oeuvre produit une esthétisation de la marginalité, de la différence sociale ou sexuelle. Ses photographies sont conservées dans les collections américaines du Metropolitan, du M.O.M.A, du musée de Philadelphie. Il est l'auteur du film Kids (1995).
Citation: "Lorsque dans les années 60, j'ai commencé à prendre des photos des gens autour de moi, je me fabriquais ma propre mythologie, mon propre univers. Il s'agissait déjà d'un mélange entre réalité et fiction, entre ce que je voyais devant moi et ce que je voulais formuler à partir de cette réalité."
Points communs avec Nan GOLDIN: Artiste culte, ses photographies de paumés, de junkies, d'adolescents livrés à eux-mêmes, ont marqué depuis les années 1970 toute une génération d'artiste, réalisateurs et photographes.
De ces deux artistes, on note qu'outre l'esthétisme propre à leurs photographies, un point commun ressort: la mort: aboutissement de leur travail. (Tentative de suicide de Nan GOLDIN) Tantôt elle transparaît dans la condition homosexuelle, sous les traits du sida toujours possible, comme le montre Nan GOLDIN avec l'une de ses séries photographiques. Toutefois, même s'il n'apparaît pas explicitement, il transparaît implicitement. Tantôt dans l'esthétisme de la photo elle-même, des clichés sombres, réalistes dans la posture des personnages, marginaux issus d'un milieu underground qui ne nous est pas familier, voir totalement étranger. Les photographies nous le rendent pourtant commun, en nous plaçant en position de voyeur face à l'intime.
2//// LA MORT, INTRODUCTION A L'INTIMITE
Félix GONZALEZ-TORRES
Félix GONZALEZ-TORRES ne fait pas partie de ces "artistes voyeurs", c'est un militant homosexuel, malade du sida, qui est décédé en 1996. Il a fait de l'art et de sa position d'artiste l'expression de la réalité de sa propre vie à l'intérieur de la société. Son travail est basé sur l'absence de l'autre, pas le vide ou la perte, mais plutôt sur l'absence pleine d'émotion laissée par un passage. Tout est en légèreté, réduit à un minimum qui excède la pudeur. Il réside dans oeuvres un sentiment de fête, une incroyable énergie positive face à l'expérience de l'oubli, de la précarité, de la perte et de la disparition. C'est un plaisir comme forme de lutte ultime face au déni et à la mort. A cet artiste on pourrait opposer un autre photographe de l'intime, qui lui ne joue pas sur le côté esthétique, mais plutôt sur le trash, Richard BILLINGHAM. Il n'hésite pas à présenter sa réalité familiale sans l'enjoliver.
Sophie CALLE
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Citation: "J'avais six ans et j'habitais rue Rosa-Bonheur chez mes grands-parents. Le rituel quotidien voulait que je me déshabille tous les soirs dans l'ascenseur de l'immeuble et arrive ainsi toute nue au sixième étage. Puis je traversais à toute allure le couloir et, sitôt dans l'appartement, je me mettais au lit. Vingt ans plus tard, c'est sur la scène d'une baraque foraine donnant sur le boulevard, à Pigalle, que je me déshabillais chaque soir, coiffée d'une perruque blonde, au cas où mes grands-parents qui habitaient le quartier viendraient à passer."
"Le lundi 16 février 1981, je réussis, après une année de démarches et d'attente, à me faire engager comme femme de chambre pour un remplacement de trois semaines dans un hôtel vénitien. On me confia douze chambres du quatrième étage. Au cours de mes heures de ménage, j'examinai les effets personnels des voyageurs, les signes de l'installation provisoire de certains clients, leur succession dans une même chambre. J'observai par le détail des vies qui me restaient étrangères."
Pierre MOLINIER
Artiste fétichiste et travesti, réalisera des photographies dont la quantité d'auto-portraits, d'une sophistication extrême, couvrant toutes les formes de l'autoérotisme.
CONCLUSION
Comme nous l'avons démontré, la photographie se justifie ici dans l'instantané de l'intime, du quotidien, du banal, sans pour autant devenir du photojournalisme, du milieu underground. Cependant l'esthétique contenue dans les photographies n'est pas sans message, sans laisser transparaître des émotions liées: - à la mythologie personnelle, - à la marginalité, - à la sexualité, - à la mort,- à l'auto-portrait, puisqu'elles nous entraînent dans l'intime, en nous positionnant comme voyeur. Elles sont donc source de réactions, comme l'exposition de Nan GOLDIN, qui nous oblige à prendre partie, qu'il soit positif ou négatif, appréciation ou dénégation, on ne peut pas rester passif.