|
« Une esthétique paradoxale du temps réel dans le cinéma d’animation » |
|
Festival international du film d’animation Annecy 6>11 juin 2005 |
|
|
Sites
Festival international du film d’animation Annecy
|
Dans le cadre des rencontres professionnelles du Festival, jeudi 9 juin 2005, la conférence
« L’Animation demain : les enjeux du temps réel/ les nouvelles interfaces pour l’animation » réunissait Sébastien Doumic, producteur, OUAT Entertainment, France; Hugh Hancock, directeur artistique, Strange company, Grande Bretagne, Écosse; Frédéric Merlot, animateur, Ubisoft, Annecy. Le modérateur était Stéphane Singier, directeur de production, TECDEV, France. Zoran Popovic, professeur, Université de Washington n’interviendra que le lendemain.
|
|
Si les arts interactifs considèrent d’emblée le temps réel comme composante de la réception de l’œuvre, ils peuvent donner aussi à percevoir une interactivité qui a eu lieu au stade de la création. C’est en ce sens que l’on est conduit à voir l’interactivité comme processus de figuration des relations, y compris d’interactions qui ont été en quelque sorte saisies sur le réel et qui se trouve par conséquent en homogénéité avec les opérations de prise de vue.
Il est possible également de concevoir une interactivité qui reste interne à l’image et de traiter alors du spectacle de l’interactivité qui se joue dans l’apparition et le fonctionnement de l’œuvre. C’est une version de l’animation et du comportement au présent qui reste notamment ouverte à la variation aléatoire. Une œuvre s’apprécie toujours, à un degré ou l’autre, dans la perception de son processus de fabrication, y compris, dans ce dernier cas, de la manière dont elles’autogénère.
Mais il est un degré encore dans la distance à l’interaction effective qui préserve malgré tout une dimension esthétique qui relève de l’interactivité, c’est celui de l’enregistrement de ce processus. Le cinéma est le lieu par excellence de ce paradoxe, dès l’instant où ce qu’il donne à voir s’attache à garder la trace des artifices de sa fabrication. D’une façon générale, l’esthétique du cinéma d’animation, y compris celle des techniques classiques et manuelles qui mettent en œuvre des séries de dessins ou des objets manipulés, peut aujourd’hui être analysée à partir de cette idée de la trace de la saisie de gestes que l’on reconnaît comme ayant eu lieu.
L’exemple le plus frappant d’une telle démarche est repérable dans le phénomène désigné par Machinima. Au Festival d’Annecy de 2005, Hugh Hancock, de Strange Company, (http://www.machinima.com/) en a présenté les principes et quelques exemples. Il s’agit de films, délibérément linéaires, réalisés à partir des moteurs de jeux, à l’intérieur même de jeux numériques. Machinima s’affirme comme un mouvement de cinéastes indépendants, hakers d’un nouveau genre. Ce qui est à la fois troublant et passionnant est précisément de constater que les univers complexes, hautement interactifs des jeux vidéo en 3D, sont suffisamment vivants pour donner lieu à des “tournages” qui relèvent aussi bien de la mise en scène d’un cinéma résolument fictionnel que de l’ “observation participante” du cinéma ethnographique. On parle d’un demi million de spectateurs, de milliers de films ainsi produits, et, il faut souligner ce trait essentiel du phénomène, visibles essentiellement sur Internet. Hugh Hancock s’amuse à dire que c’est une manière d’Hollywood sans argent.
|
Machinima |
|
|
Dans le Machinima, la notion de jeu — celui du passionné et expert des jeux vidéos — rejoint les significations du mot jeu qui sont attachées aux acteurs, aux interprètes, aux metteurs en scènes. Autre aspect de l’inversion paradoxale que nous cherchons à commenter ici, le film Machinima est d’abord l’enregistrement de ce qu’a affiché l’écran. Mais cette singularité peut sans doute être relativisée si l’on veut bien voir tout film comme l’enregistrement de ce qui s’est affiché dans un viseur ou sur un écran de contrôle. Il s’agissait en effet de rendre compte de la performance même de l’exercice du jeu. Le cinéma n’a-t-il pas eu d’emblée cette fonction de témoignage et de preuve ? On peut parler aussi d’un art de la “démo” et il y a bel et bien un public pour cela, y compris celui des joueurs potentiels pour qui de tels films sont de véritables documentaires. Dès 1996, la pratique de filmer son jeu est apparue dans Quake. Puis des outils ont été développés autour de Quake 2, permettant une maîtrise effective des placements et mouvements de caméras. Dans beaucoup de jeux vidéos, les joueurs se projettent dans des personnages bénéficiant d’une vision subjective; voilà exactement la place d’un preneur de vues, d’un cinéaste possible. À voir plusieurs des exemples projetés, on ne peut qu’être convaincu de l’apport fictionnel et des visions d’auteur qu’implique le processus. C’est une autre version du paradoxe : dans ces mondes totalement prédéterminés par la programmation, on peut découvrir une manière de récit singulier, des comportements, des attitudes, des psychologies de personnages qui ne sont pas livrés d’emblée par le jeu d’origine lui-même. Il y a probablement là une rencontre entre la tradition de l’écriture filmique spécifique et la part d’inconnu que préserve la “saisie” interactive dont nous parlons plus haut, un réel qui s’est infiltré dans le programme et qu’il s’agit de révéler. On pense par exemple à la motion-capture, aux gestes authentiques des animateurs, aux détails de textures “naturelles”, etc.
Au demeurant, la même session des rencontre professionnelles d’Annecy accueillait plusieurs experts de l’animation en temps réel. Le cinéma d’animation peut désormais être vu comme le récit d’un jeu qui aurait comme seuls véritables utilisateurs ou témoins actifs les auteurs du film. Frédéric Merlot, d’Ubisoft Annecy, soulignait ainsi la convergence entre effets spéciaux du cinéma, animation et industrie du jeu. La technique de “motion builder” est un outil en temps réel basé sur une capture de mouvement différente de la motion capture car elle met en œuvre un feed-back en temps réel qui est tout simplement celui de la souris ou de la palette graphique. Cela se confirme, la capture de mouvement peut concerner prioritairement les gestes d’un auteur-animateur. On disait l’animation désincarnée par l’ordinateur; c’est à un retour d’une dramaturgie de la corporéité auquel on assiste. Dans le même ordre de constatation, un visage s’anime à l’ “écoute” de la voix qu’il va interpréter. Sébastien Doumic, de OUAT entertainment, souligne l’influence de l’interactivité sur les écritures linéaires. Pour un joueur, le temps réel ne se distingue pas du temps qu’il passe. Si un tel temps réel est une contrainte qui ne s’allie pas forcément à l’économie actuelle du cinéma, il peut apporter une sorte de mode narratif car le joueur construit son mode. Il devient possible de mettre en avant une perception du temps réel qui appartient autant le joueur qu’au réalisateur. Le jeu installe un champ de possibilités. Si le programme se génère lui-même, il s’agit pour le cinéaste d’être au bon endroit, au bon moment.
2005. B + T
|
|