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Avant
détudier de façon plus approfondie les développements
en art interactif, permettez--moi un retour aux événements
du 11 septembre. Afin daborder la question, jaimerais,
par respect pour la tristesse et le chagrin de plusieurs milliers
daméricains, tout dabord parler de façon
modérée de ce quon peut appeler contre-interactivité.
Car cela est sûrement au centre, et constitue en une grande
partie la cause, du massacre du mardi 11 septembre. La terreur en
tant que moyen dune stratégie conçue aux dimensions
planétaires ; un modèle du haut vers le bas, un projet
sanctionné, dans la tête des fanatiques psychologiquement
déséquilibrés, par le grand architecte des
cieux ou par celui quils considèrent son agent autorisé
sur la terre. En fait, ce dont on est le témoin, ce sont
deux conceptions (designs) du monde différentes, fondamentalement
opposées à toute interaction entre elles-mêmes,
deux réalités séparées, incapables de
fusionner et qui sont contre tout dialogue. Durant plusieurs décennies,
il y a eu, dans une mesure différente, de la violence et
de la cruauté de deux côtés. À moins
que la sagesse ne prédomine, cela entraînera des événements
encore plus horrifiants. Comment est-ce quon peut concevoir
un travail dartiste en tant quartistes et non
pas en tant que pamphlétaires, travailleurs sociaux esthétisés
ou experts politiques qui puisse contribuer à une
réconciliation, un respect et une compréhension mutuels
auxquels ces réalités mélangées doivent
parvenir ?
La terreur, que produit-elle (designs) ? Ou, plus exactement, comment
est-ce que le monde se re-produit (is re-designed) par la terreur
? En deux mots, il sagit de la manière dont le design
opère toujours à travers la création
et la manipulation (ou leffacement) de symboles, de puissantes
métaphores. Dans le cas de Twin Towers, cétait
nous qui avions créé le symbole. Son effacement était
lobjet de la terreur. Notre réponse doit, je crois,
être de combattre la métaphore avec la métaphore.
Ce qui a été attaqué le mardi 11 septembre,
cest ce que les terroristes et leurs partisans considéraient
comme des métaphores de force et de domination, massives
et invincibles. Ceci ne veut pas dire ignorer la réalité
effrayante de leur grotesque carnage dinnocents ; pourtant,
la signification symbolique de la destruction de ces métaphores
proéminentes dans la tête des terroristes est trop
manifeste. Nous, en tant quartistes, nous sommes avant tout
et surtout des faiseurs de métaphores. Ici, je me réfère
évidemment à la métaphore dans son sens le
plus puissant : métaphore structurale, comportementale et
spirituelle. Nous créons des métaphores, nous critiquons
des métaphores, nous sommes toujours attentifs, comme nous
la rappelé Richard Rorty, à ces métaphores
qui, ayant survécu à leur vie décorative, sont
en danger de se scléroser en tant que vérités.
Le traité pragmatique de ce philosophe américain sur
la Contingence, lIronie et la Solidarité (Contingency
Irony and Solidarity) demeure une leçon de grande valeur
pour lartiste des médias, puisquil montre comment
le postmodernisme relativiste peut être dissocié de
manière constructive de la négativité et du
pessimisme qui a fait baisser la créativité de tant
de ses adhérents. Cest Nietzsche qui a le premier clairement
proposé quon renonce une fois pour toutes à
lidée de " connaître " la vérité.
Sa définition de la vérité comme " une
multitude mouvante de métaphores " équivalait
à dire que toute idée de " représenter
la réalité " par le langage, et ainsi toute idée
de trouver un seul contexte pour toute vie humaine doit être
abandonnée. Une telle pensée aide à décrire
le contexte dans lequel lart numérique le plus significatif
(c-à-d, non-ornemental) doit se produire. Il y a plusieurs
prises de vue sur la réalité et plusieurs manières
de les exprimer. Pourtant, là où lart était
le serviteur de cette expression, il devient dorénavant plus
impliqué dans le processus de création de cette réalité,
de construction de mondes, légitimant ainsi, en un sens,
nos propres réalités alternatives. Ainsi, lart
est un agent de Devenir
un processus constructif, plus expressif
que décoratif. Lartiste est prêt à faire
appel à tout système, organique ou technologique,
qui pourrait contribuer au développement de ce processus.
Pour cette même raison, il doit être préparé
à chercher partout, dans toute discipline, scientifique ou
spirituelle, dans toute conception du monde même banale ou
obscure, dans toute culture, immédiate ou distante, afin
de trouver les processus qui vont engendrer ce devenir. Dans mon
propre travail, par exemple, la cybernétique et le shamanisme
peuvent co-exister joyeusement dans ce domaine multidimensionnel
de connaissance et dans ses structures associatives. Cela réclame
une disposition générale à loptimisme,
décrite comme " télénoïa " (la
célébration de la connectivité et de la collaboration
ouverte) qui peut remplacer la paranoïa, la grande inquiétude,
laliénation et la solitude de lancienne ère
industrielle et matérialiste.
Une telle ambition redéfinit le travail de lartiste
et lui donne de la pertinence dans le contexte politique aussi.
Cela remplace le sens historique du rôle de lartiste
comme un " métier honorable " par lidée
du travail en tant que " vocation transformatrice " -
un concept qui est central à la théorie sociale de
Roberto Unger, un penseur brésilien et professeur de droit
à lUniversité de Harvard. Son programme de reconstruction
sociale constitue une alternative radicale au Marxisme dun
côté et à la " démocratie sociale
" de lautre. Il montre comment, contre lidée
du travail comme purement instrumental ou comme métier honorable,
une troisième idée a fait son apparition dans le monde.
" Cela lie laccomplissement de soi et la transformation
: le changement de tout aspect du cadre pratique ou imaginatif de
la vie de lindividu. Selon cette conception, afin dêtre
pleinement une personne, on doit simpliquer dans une lutte
contre les défauts et les limites de la société
existante ou de la connaissance disponible ". (Politics: the
Central Texts, Theory against Fate. Londres: Verso. 1997).
Considérons alors la valeur de lidée de la Conscience
Planétaire. Les questions de la conscience ont une place
importante dans le monde de lart et de la technologie, dans
la formation de la culture post-biologique à laquelle nous
contribuons. On na pas le temps de retracer le cours de son
histoire à travers lart du dernier siècle :
juste assez peut-être pour citer luvre de Kandinsky,
Boccioni, Duchamp, chez lesquels les questions de la conscience,
de lesprit et du spirituel étaient prédominantes.
La conscience est un grand mysterium qui incite artistes et scientifiques
à entrer dans son domaine. Elle constitue la frontière
ultime de la recherche dans plusieurs champs. Cest probablement
une véritable recherche transdisciplinaire qui seule va nous
permettre de couvrir les lacunes explicatives ou de naviguer à
travers ses divers plans et de re-encadrer nos perceptions et expériences
pour sexprimer selon nos termes dartistes. Cest
dans la conscience que travaille notre imagination et cest
dans limagination que lon mélange dabord
les réalités de lactuel et du virtuel.
Là où la conscience évolue au niveau planétaire,
une nouvelle sensibilité, une nouvelle manière dévaluer
ses attitudes et actions, émane. Cela émanait déjà
de notre compréhension des processus du vivant, du mouvement
et du flux de la nature, du continuum transformateur des énergies
aux échelles à la fois cosmique et quantique, qui
conditionnent et nos états matériaux et notre sens
dexister. Les technologies assistées par ordinateur
nous ont permis de regarder de façon plus approfondie dans
la matière et dans lespace, de reconnaître des
modèles signifiants, des rythmes, des cycles, des correspondances,
des interrelations et des dépendances à tout niveau.
Les systèmes computationnels nous ont amenés à
une meilleure compréhension du design comme un processus
émergeant qui remplace lancienne approche du haut vers
le bas par une méthodologie du bas vers le haut. Les systèmes
télématiques nous ont rendu capables de nous auto-diffuser
en multiples locations, de multiplier nos identités et détendre
notre portée à des distances formidables et à
une vitesse formidable. Nous avons appris que tout est connecté
et nous sommes occupés avec le processus technologique qui
vise à tout connecter. Mais très souvent nous oublions
que la connectivité doit être véritablement
ubiquitaire et complète pour être cohérente
et humaine, et que pour maintenir son ubiquité, elle doit
être protégée et entretenue, une règle
qui ne s applique évidemment pas uniquement aux réseaux
télématiques et communicationnels mais doit être
généreusement étendue entre tous les êtres
humains. Notre décision doublier ou dignorer
collectivement tellement de peuples et de cultures dans le monde
et, dans certains cas, dactivement entraver la communication
avec eux, de réduire au silence leurs voix, souvent par simple
indifférence mais aussi par avidité ou par méchanceté,
joue un grand rôle dans la situation à laquelle nous
sommes confrontés aujourdhui.
Dans lhistoire récente, doù vient la notion
de conscience planétaire et de conscience de lespèce
? Bien sûr Marx la utilisée dans Propriété
privée et Communisme en 1844 et plus récemment cela
a été de nouveau accrédité par divers
écrivains du New Age allant de soi disant info-mystiques
jusquà des scientifiques plus orthodoxes comme le physicien
de Pittsburg Oliver Reiser et son Psi-field en 1966. Peter Russelin
avec son The Awakening Earth en 1982 a argumenté pour son
émergence à partir de la complexité de nos
télécommunications. Dautre termes ont aussi
fait leur apparence dans ce contexte. Pierre Lévy a publié
LIntelligence Collective en 1994 et Derrick de Kerckhove,
partisan inlassable du village planétaire de McLuhan, a publié
Connected Intelligence en 1997. Aldous Huxley parlait dun
Esprit - du - grand- large (Mind at large) dans le
Doors of Perception en 1954 comme la aussi fait Gregory Bateson
dans Steps towards an Ecology of Mind (1972). La noosphère
de Pierre Teilhard de Chardin y a apporté une dimension spirituelle
plus complète. En fin, personne ne peut oublier la vision
planétaire de Buckminster Fuller.
En ce qui me concerne, jai proposé une Matrice dArt
Cybernétique (Cybernetic Art Matrix) dans Behaviourist Art
and the Cybernetic Vision en 1964, qui voyait dans la communication
planétaire un conduit nécessaire pour lart devenant
de plus en plus fluide, centré sur le processus, et transformationnel.
À la fin des années soixante-dix, le National Endowment
for the Arts à Washington ma donné, chose extraordinaire,
de largent pour mettre en scène le premier projet dart
télématique, Terminal Art, qui liait des artistes
de deux continents. Au même moment, Kit Galloway et Sherrie
Rabinowitz ont créé leur uvre historique, Hole
in Space, un satellite de communication en temps réel qui
connectait visuellement les gens dans les rues de New York et ceux
qui étaient dans les rues de Los Angeles. Les implications
planétaires étaient claires. La plissure du texte
: a planetary Fairy Tale était le titre du projet que jai
créé pour lexposition Electra de Frank Popper
au Musée dArt Moderne de la Ville de Paris en 1983.
Des artistes se trouvant à 14 nuds à travers
le monde prenaient lidentité des personnages de contes
de fée et créaient une narration non-linéaire
à travers les réseaux. La perspective planétaire
a été célébrée dans Planetary
Network : Laboratory UBIQUA (Biennale de Venise) en 1984 que jai
organisé en tant que commissaire international en collaboration
avec Don Foresta et Tom Sherman. Dans Aspects of Gaia : digital
pathways across the whole earth (Linz, 1989), jai créé
une réalité plus mélangée. Et jai
introduit pour la première fois le concept d hyper
cortex et de lesprit global (global mind) à Art Futura
à Madrid et à FAUST à Toulouse en 1991.
Assez dhistoire ; même si je crois que cest très
important de montrer que la conscience planétaire en tant
que idéal, en tant que rêve, nous a déjà
longtemps accompagné. Mais, je pense que maintenant nous
devons travailler dans la direction de son émergence réelle
et que cest une question de nécessité. Les réseaux
soutiennent et promeuvent lintimité et, tout comme
la technologie de lempathie, peuvent fournir les conditions
pour lamour et la compassion. Dans ce contexte, je trouve
le fait que mon texte Is there love in the telematic embrace ? soit
très largement consulté dans les campus américains
et ailleurs, très intéressant. De mon point de vue,
le rapprochement des médias télématiques et
de la technologie de Mixed Reality constitue un pas très
important aussi bien en ce qui concerne la métaphore puissante
que cela va apporter que en ce qui concerne le contenu que les utilisateurs
puissent générer à travers les contextes que
les artistes fourniront.
Pourtant, la conscience planétaire na pas seulement
besoin du dynamisme expansif des réseaux télématiques.
Une sensibilité aux cultures qui se trouvent en dehors du
paradigme occidental est essentielle. Ici, malgré la référence
évidente aux cultures islamiques (jutilise le pluriel
avec grande emphase) dont nous devons clairement nous approcher
pour les comprendre plus intimement, je me réfère
aux cultures " exotiques ", indigènes, de lAmérique
du Nord et de lAustralie, quon ignore largement. Là
se trouve une sorte de connaissance que trop souvent nous ignorons
ou méprisons avec une attitude techno-aristocratique (contenant
peut-être autant de peur que de démesure). Ici aussi
le résultat est une réalité mélangée,
dans laquelle les perceptions " ordinaires ", la réalité
ordinaire et le mode dêtre ordinaire, se trouvent traversés,
entrelacés, en conversion avec des états de vigilance
et des états non-locaux de conscience. Tout comme en Occident,
ici aussi cest une technologie qui sert dinstrument
à la production de la condition de réalité
mélangée : mais cest plutôt une technologie
végétale quune technologie numérique
qui y est à luvre. Il ne faut pas se tromper
là-dessus ; les capacités technologiques, les méthodologies
et linstrumentalité du shaman - guérisseur,
qui est un mystique et un homme de lettres (et qui peut aussi être
une femme, comme cest le cas aujourdhui en Corée
et comme cela a toujours été le cas dans lhémisphère
sud) constituant ce que lOccident classifierait sous
les noms de pharmacologie, botanique, biologie et psychologie
reviennent à une base de connaissance certainement aussi
extensive et complexe que ce quon prise dans la science occidentale.
Tout comme cela arrive avec les outils avancés de lOccident,
les deux réalités du shaman se mélangent sur
le plan de limagination et leur convergence offre le potentiel
de nouvelles manières dêtre, de percevoir et
de se comporter. Mon sentiment est quon peut apprendre de
ces cultures la façon dintégrer la technologie
de Réalité Mélangée dans notre vie en
tant quenvironnement, et non pas uniquement en tant quoutil
aussi efficace et profitable que cela puisse être en chirurgie,
en architecture, en ingénierie ou en spectacle. Nous avons,
en effet, beaucoup à apprendre de ces cultures, dans le sens
le plus large et le plus approfondi ; entre autres, comment arriver
à gérer létat de la double conscience,
de lidentité multiple et de la réalité
mélangée. Bien sûr, les instruments sont différents
dans le premier cas, pris de la nature, dans le second, fournis
dans notre monde post-biologique, dans lequel la technologie a assimilé
ou parfois même remplacé le processus naturel.
Mardi 11 septembre 2001 : un jour dhorreur et de barbarie
extrêmes. Alors que cest clair que la vie ne sera plus
jamais la même pour nous tous, voire plus courte quon
ne le croyait, nous devons, en tant quartistes et citoyens,
attentivement réfléchir sur la dynamique de la situation
que nous confrontons et rechercher la sagesse dans nos réactions
et futures actions. Sous la lumière de la terreur répandue,
le sens peut facilement échapper de la vie des gens. Notre
métier en tant quartistes nest pas dapporter
du nouveau sens mais de proposer les contextes dans lesquels du
nouveau sens peut être construit ou en émerger.
Mon sentiment est que le canon de lart digital, nos valeurs
et aspirations esthétiques, peuvent proposer un modèle
utile à la société civile face au terrorisme
qui la menace de lintérieur et de lextérieur.
Cest un art dialogique que le nôtre. Jai fait
allusion au " quintuple chemin " de la Connectivité,
de lImmersion, de lInteraction, de la Transformation
et de lÉmergence. Le sens est créé par
linteraction, et le dialogue peut transformer les attitudes
et les comportements. Cest comme si lart, lart
des médias, devait souligner plus clairement son caractère
unique et communiquer ses valeurs plus largement dans le monde.
Car ces principes appliqués avec sagesse pourraient rendre
possible lémergence dun monde politique plus
intégré et cohérent. Il ne faut pas se tromper
là-dessus. Mon argument nest pas de dire que lart
peut effectuer ces changements de façon directe. Lart,
de quelque genre que ça soit, opère toujours, et cest
quainsi que la société ladmet, au niveau
symbolique, à travers la construction de modèles et
de métaphores puissants. Il peut nous permettre de naviguer
entre les nouveaux échelons de la conscience. En interaction
avec le participant, lartiste peut rendre possible lémergence
de nouveaux sens et expériences en créant des paradigmes
de construction et de perception qui influenceront ultérieurement
les événements ou les aspirations du monde social,
politique et industriel. Pourtant, la relation est indirecte ; ce
qui protège lartiste et qui permet à nos rêves
et visions dêtre crédible et de survivre.
La réalité mélangée va constituer le
centre autour duquel jaimerais encadrer cette discussion sur
une vigilance tech-noétique ainsi que ma description des
pas à prendre, dans le cadre de lart et de la recherche,
pour développer lhypercortex et rendre possible lémergence
fructueuse de la conscience planétaire et de la conscience
de lespèce.
Lémergence de la technologie de la Réalité
Mélangée indique un pas de plus dans notre quête
de contrôler notre propre évolution, de redéfinir
ce que cest que dêtre humain et de devenir activement
responsables de la construction de nos propres réalités.
Cest cette quête qui nous distingue des générations
passées qui étaient soit prisonnières des superstitions
soit sous lemprise du déterminisme scientifique.
La Réalité mélangée, en faisant converger
des événements dans lespace actuel et dans lespace
virtuel, trouve un équivalent à la convergence de
nano-structures et de systèmes vivants dans le monde matériel.
Elle fournit une métaphore pour la convergence des cultures
dont on a désespéramment besoin. Nous avons besoin
de la capacité de vivre dans des réalités,
des ethnies, des cultures mélangées tout en développant
laptitude de changer de centre dintérêt
sans pour autant perdre de vue lensemble planétaire.
Dans sa forme strictement technologique, la Réalité
Mélangée est sous plusieurs aspects une répétition
préparant aux véritablement énormes changements
qui nous attendent pendant que les "sèches" (dry)
technologies numériques convergent avec le biologiquement
" humide " et produisent ce que jappelle les "médias
humides" (moistmedia).
Les moistmedia émanent de la convergence de Bits, dAtomes,
de Neurones et de Gènes: le "Big B.A.N.G." de notre
univers post-biologique. Comme exemple, on peut prendre le nano-bull
de Osaka (un modèle de taureau tri-dimensionnel de 10 micromètres
de longueur presque la taille dun globule rouge. Dolly,
lagneau du Roslin Institute, Alba, le lapin fluorescent de
Eduardo Kac, Robokoneko, le chaton de Starlab, ou Lucy, le robot
bébé orang-outang de Steve Grand. Les travaux de Oron
Catts et de Ionat Zurr du Tissue Culture Art à Perth, en
Australie, et de Ulrike Gabriel à Berlin peuvent aussi être
mentionnés dans ce cadre. Ce sont les signes annonciateurs
de la re-matérialisation dune culture, quon a
cru auparavant immatérielle et virtuelle. Cest une
question de "adieu Baudrillard". En plus, on peut ajouter
que, au niveau de Hollywood, le film IA ne doit pas être ignoré
grâce à cette phrase: "son amour est réel,
mais lui, il ne lest pa ".
La valeur esthétique, ainsi que pragmatique, de la technologie
de Réalité Mélangée ne doit pas pour
autant cacher le fait que ce qui est habituellement vu comme une
réalité "directe" et "directement appréhendée"
est une construction au même titre que la réalité
virtuelle avec laquelle elle fusionne de manière technologique.
Si lon considère les outils de la Réalité
Mélangée comme des extensions de nos propres systèmes
organiques de perception et de cognition (constituant ensemble une
faculté émergente ou cyberception), on peut plus facilement
comprendre le flux global des événements dans ce domaine
essentiellement tech-noétique.
En tout, on peut prévoir le développement dune
Réalité Mélangée qui sera composée
de trois parties essentielles, quon peut appeler les Trois
R :
La Réalité Validée,
concernant une technologie réactive et mécanique dans
un monde prosaïque et newtonien,
La Réalité Virtuelle,
concernant une technologie interactive et digitale dans un monde
télématique et immersif, et
La Réalité Végétale,
concernant des installations techniques psychoactives dans un monde
enthéogénique (inspiré, généré
par le divin) et spirituel.
Réalité Végétale ?! La question ne peut
manquer dêtre posée : quelle sorte de relation
signifiante peut bien exister entre les pratiques spirituelles de
la forêt amazonienne et le matérialisme de la Silicon
Valley ou les labos de biologie moléculaire ? Le lien réside
peut-être dans le domaine de la recherche de lADN. Jeremy
Narby, dans son livre Cosmic Serpent : ADN and the Origins of Knowledge,
suggère que les visions du shaman proviennent de sa communication
avec son propre ADN. On doit se rappeler quon ne sait toujours
pas pourquoi notre ADN est là. Seul 3 % justifie toute la
diversité de la vie. Narby croit que les informations du
shaman viennent de cet ADN " inutile ", ce 97 % quon
ne peut pas justifier. LADN dune cellule échange
des signaux avec celui dune autre cellule. Narby suggère
que quand quelquun senfonce dans son propre ADN, cela
peut alors communiquer à travers les organismes et les espèces
même à travers la frontière qui sépare
les plantes et les animaux et que la totalité de tout
lADN dans le monde forme une sorte de matrice. Cela est une
autre manière de rencontrer la conscience planétaire.
Cette transmission de signaux entre les différentes cellules
est effectuée par lémission de photons les signaux
sont en forme de lumière et leur longueur donde est
visible par les humains.
Lhypothèse de travail de Narby est que les shamans
peuvent amener leur conscience au niveau moléculaire et ainsi
accéder à linformation liée à
lADN, qui selon leurs termes sont des " essences animées
" ou des " esprits ". Il écrit : " Là,
ils voient des doubles hélices, des échelles tordues
et des formes de chromosomes. De cette manière, les cultures
shamanistes savent depuis des milliers dannées que
tous les êtres vivants partagent le même principe vital
et que sa forme ressemble à deux serpents entrelacés
(ou à une plante grimpante, à une corde, une échelle
).
LADN est la source de leur savoir botanique et médicinal,
qui peut être seulement atteint dans des états dé-focalisés
et non-rationnels de conscience même si ses résultats
sont empiriquement vérifiables. Les mythes de ces cultures
sont très riches en imagerie biologique. Et les explications
métaphoriques des shamans correspondent de façon tout
à fait aux descriptions que les biologistes commencent à
fournir ".
Avant décarter de façon critique ces idées
comme " simplement métaphoriques " cest-à-dire,
comme non réelles selon les sciences génétique
ou biologique, on doit se rappeler que peut-être la guerre
de linterprétation en physique quantique a été
gagnée au moyen de la métaphore par Neil Bohr et son
école de Copenhague, comme Mara Beller, du Hebrew University
of Jerusalem, le montre dans son livre récent Quantum Dialogue
; the making of a revolution. Tout comme elle parle en faveur du
discours dialogique et contre le dogme paradigmatique en science,
moi, je crois quon doit tenter de construire un discours dialogique
entre la science occidentale et les corpus de connaissances natifs.
Alors, il se pourrait que lémission hautement cohérente
de photons de lADN explique la luminescence des images hallucinatoires
du shaman ainsi que leur aspect tri-dimensionnel ou holographique.
Sur la base de cette liaison, Narby a imaginé un mécanisme
neurologique pour son hypothèse. Les molécules de
la nicotine, ou di-methyl-tryptamine, que contient layahuasca,
la matière psychoactive préférée de
la plupart des guérisseurs de lAmérique du Sud,
activent leurs récepteurs respectifs, ce qui déclenche
une cascade de réactions électrochimiques dans les
neurones conduisant à une stimulation de lADN et, plus
particulièrement, à son émission dondes
visibles que les shamans perçoivent comme " hallucinations
". Là, il conclut, réside la source de la connaissance
: en lADN, qui vit dans leau et émeut des photons,
comme un dragon aquatique qui crache du feu.
Je crois que cela vaut la peine de présenter ce compte-rendu
du travail de Narby car cela amplifie lintuition quil
y a beaucoup à gagner, dans les sciences biologiques et dans
les arts, dune recherche qui sintéresse aux correspondances
et aux collaborations entre les deux technologies, de plantes et
de machines, à lintérieur de lespace natrificiel
des Trois RV ; la virtuelle, la validée et la végétale.
En effet, lidée pourrait être avancée
que le mouvement écologique tout entier aurait beaucoup à
gagner si un dialogue constructif avec la technologie sinstituait
afin détudier les correspondances profondes entre la
science occidentale et la connaissance archaïque. Le problème
nest pas la science mais le rejet de la partie éminente
de la science en faveur de lancien paradigme scientifique,
celui qui, par exemple, refuse aussi les implications spirituelles
de la physique quantique, ou même lintelligence des
plantes que la biologie moléculaire va peut-être révéler.
À travers ces propos, jai essayé dindiquer certaines de nombreuses questions qui demandent à être étudiées, réfléchies et pratiquées de façon innovante et élucidées de façon théorique, si lon veut que lart des médias mûrisse et trouve sa place dans le monde. Si lon doit construire des images, des environnements, des systèmes et des structures puissantes, capables de défier les orthodoxies contraignantes de la pensée et du comportement, qui sont maintenant de plus en plus soutenues par la violence, et qui peuvent être soit ouvertement fondamentalistes soit secrètement répressives de nos libertés, des nouvelles conditions pour la pratique créative, linteraction critique et la recherche transdisciplinaire, doivent être établies et maintenues. Lorthodoxie des universités et des académies dart entrave plus ou moins, quand ils ne lexcluent pas en tant quillégitime, cette même transdisciplinarité. Des nouveaux instruments et organismes sont fortement nécessaires. CAiiA-STAR est une telle proposition dinnovation.
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