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Jean-Claude RISSET Art - Science - Technologie |
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Séminaire du 20 mars 2002 |
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Intervenant : Jean-Claude RISSET, spécialiste de l'informatique musicale, Médaille d'OR du CNRS en 1999.
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Introduction.
1 - Création,
recherche.
2 - Son
électrique et recherche musicale.
3 - Mon
cas personnel: chercheur, musicien ?
4 - Mes
recherches.
5 - Mes
musiques.
6 - Les
institutions.
Références.
Notes
biographiques.
Liens & Discographie.
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1
- Création, recherche.
Tout semble séparer recherche et création. Le chercheur
veut connaître, le compositeur veut faire. L'un vise à
dévoiler des mécanismes, l'autre à inventer
des formes sonores nouvelles. L'oeuvre scientifique est collective,
vérifiable, provisoire: elle est amenée à être
corrigée, dépassée, englobée dans le
progrès de la science. L'oeuvre d'art, elle, est individuelle,
subjective, durable - "une fois pour toutes", dit Hugo,
"réelle présence" selon Georges Steiner.
Certes, toute oeuvre d'art suppose une recherche solitaire, liée
au propos de l'artiste, à ce qui le meut et l'émeut:
mais elle ne peut que rarement se communiquer et se partager comme
une recherche scientifique, elle n'apparaît qu'à travers
l'oeuvre d'art elle-même. Souvent la création artistique
interroge la science pour y trouver des méthodes, des suggestions,
des modèles. Il y a là risque de collusion: si la
science peut féconder les domaines artistiques, rien ne l'autorise
à les justifier, à les fonder - elle peut décrire,
non prescrire. Il n'est pas de substitut pour une activité
proprement artistique. La science ou la technologie peuvent produire
de beaux objets, de belles images: mais ce ne sont pas des créations
artistiques - sauf si quelqu'un en assume la responsabilité
artistique. Comme le fait remarquer Jacques Mandelbrojt, physicien
théoricien et peintre, cousin de Benoît Mandelbrot,
le père de la géométrie fractale, les images
fractales ne sont que de beaux objets trouvés, au même
titre qu'un coquillage ou un échantillon minéral.
Mais, qu'elles soient scientifiques ou artistiques, les démarches créatrices naissent d'une impulsion interne, d'une passion. C'est souvent la quête du beau qui meut le scientifique de haut vol: il affronte l'inconnu, l'inexprimé, il crée lui aussi. Il ne se borne pas à découvrir les réponses, il doit inventer les questions. De son côté, l'artiste est souvent animé d'un profond souci de rigueur - "ostinato rigore", disait Léonard de Vinci. La science peut avoir pour lui un pouvoir puissant de suggestion poétique - comme pour les compositeurs Edgard Varèse et Iannis Xenakis. Et l'art peut avoir recours à des moyens dont la maîtrise suppose une recherche véritablement scientifique. C'est le cas pour la musique, qui cherche aujourd'hui à exploiter les possibilités du son numérique.
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2
- Son électrique et recherche musicale.
Depuis l'harmonie des sphères de Pythagore jusqu'à
la synthèse des sons par ordinateur et aux illusions auditives,
la musique a toujours eu partie liée avec la science et la
technologie : on en a donné des exemples dnas le première
partie, "Art, Science, Technologie".
Depuis un siècle, l'électricité a révélé
un nouveau continent sonore. Avant 1875, tous les sons ou presque
(à l'exception de ceux du tonnerre ... et du canon) étaient
provoqués par des vibrations mécaniques: oscillation
des cordes d'un violon, de la membrane d'un tambour, de la colonne
d'air d'une flûte ... Perturbation subtile de l'atmosphère,
le son ne subsistait que le temps de sa propagation. Depuis, avec
l'enregistrement sonore, le traitement électrique, électronique,
puis numérique, nous avons changé tout cela. Certes,
ces progrès ont servi surtout à diffuser le patrimoine
musical existant: mais des musiciens de plus en plus nombreux veulent
en tirer parti pour créer des oeuvres nouvelles. L'invasion
du son électroacoustique et numérique est devenue
presque universelle. La disponibilité d'enregistrements d'origine
variée a brouillé les perspectives historiques. Il
n'y a plus d'unanimité autour d'un "langage" musical
de notre temps. Face à cette situation, une recherche musicale
est nécessaire. Pour une réflexion théorique.
Et plus encore pour la maîtrise musicale du son numérique,
mis en oeuvre en 1957 par Max Mathews et encore à peine exploré.
Le son numérique ouvre au musicien la page blanche du son.
Plus de limitations matérielles. Plutôt que stipuler
des commandes à un instrumentiste, le compositeur doit spécifier
la structure physique du son désiré: l'ordinateur
le construira "sur plans". Traditionnellement, le compositeur
agence les sons dans le temps: le numérique lui permet de
pénétrer dans l'intimité des sons, de faire
jouer le temps dans le son, d'écrire, de composer le son
lui-même.
Mais cet affranchissement est aussi servitude. A l'ordinateur, docile
mais neutre, il faut tout dire, préciser tous les détails,
insuffler une musicalité qui lui est étrangère.
Or, depuis qu'il est possible de calculer les sons, on s'est rendu
compte qu'on ne savait pas grand chose du son musical, qu'on ignorait
à quoi tiennent sa vie, sa souplesse, son identité.
Certains principes qui semblaient évidents ont été
remis en question de façon spectaculaire. Ainsi j'ai pu montrer
que pour certains types de sons la hauteur paraît baisser
lorsqu'on double les fréquences de toutes leurs composantes.
A l'évidence, un projet musical utilisant de tels sons serait
distordu si on le réalisait sans précautions. Il est
impératif de développer un corps de connaissances
permettant de relier le faire et l'entendre et de prévoir
comment produire tel ou tel effet voulu, quels paramètres
physiques
pourraient donner à l'écoute telle ou telle relation
visée.
Pour tirer parti des possibilités nouvelles, une recherche
véritablement scientifique est donc nécessaire - recherche
sonore et musicale, recherche pour la musique plutôt que sur
la musique. Pourquoi ne pas la confier au scientifique, qui deviendrait
ainsi partenaire de l'artiste, chacun gardant son rôle? D'abord
il n'est pas sûr que des chercheurs soient prêts à
faire cette recherche et que les institutions dont ils dépendent
soient prêtes à l'admettre: j'y reviendrai plus bas.
Et les critères d'une recherche musicale ne sont pas seulement
épistémologiques: sa portée est fonction aussi
des possibilités artistiques qu'elle peut susciter, et nul
n'est plus que le musicien à même de l'apprécier
ou de la pressentir. Un matériau sonore différent
pourra se prêter à des architectures musicales neuves:
le compositeur est puissamment motivé par son désir
d'innover, d'explorer un domaine vierge. Sa connaissance profonde
du son et de la musique lui donne des raccourcis, des repères,
son aptitude au projet musical lui suggère des directions
fécondes. Il est le mieux placé pour tirer parti de
l'imprévu de la recherche et des rencontres inattendues qui
peuvent éveiller son appétit musical.
De fait la plupart des chercheurs qui ont fait avancer la recherche musicale de façon décisive - Pierre Schaeffer, Max Mathews, John Chowning, Johan Sundberg, Andy Moorer, Claude Cadoz - sont musiciens : scientifiques ou ingénieurs épris de musique, ou compositeurs insatisfaits de leur instrumentarium.
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3
- Mon cas personnel: chercheur, musicien ?
Je suis quant à moi compositeur et chercheur. Inséparablement. Tout en n'ayant jamais confondu recherche et de création. J'ai reçu séparément une formation scientifique - mathématique et physique - et une formation musicale - piano, écriture, composition avec André Jolivet. Au début des années 60, j'ai commencé des recherches sur la physique nucléaire, puis sur l'audition, tout en écrivant des pièces instrumentales. Malgré mon intérêt brûlant pour le timbre, je ne me suis pas satisfait des démarches "concrète" ou "électronique" alors en faveur à Paris ou à Cologne.
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4
- Mes recherches.
De par ma double formation, j'étais bien placé pour
être accueilli par Max Mathews aux Bell Laboratories: entre
1964 et 1969, j'ai été l'un des premiers à
explorer les possibilités musicales du son de synthèse.
Exploration d'abord décevante: le monde sonore immédiatement
disponible avec l'ordinateur apparaissait terne, sans relief, indifférencié.
Il fallait conquérir les ressources potentielles de la synthèse,
et mieux comprendre les réactions de l'oreille à des
sons de synthèse complexes. Il y a trente ans, on ne savait
pas imiter par synthèse le timbre de certains instruments.
En partant des analyses des manuels d'acoustique, qui assimilaient
le timbre au spectre, on aboutissait à de piteux échecs.
Or une analyse sonore n'est pertinente que si les données
qu'elle fournit permettent de reconstituer un son qui, à
l'oreille, ressemble au son de départ. Aussi ai-je commencé
avec Mathews par étudier les instruments qui résistaient:
sons cuivrés (trompette), sons de cordes frottées
(violon). J'ai effectué des analyses poussées, et
j'en ai testé la validité par le biais de "l'analyse
par synthèse". Mon étude a montré qu'il
était impossible de produire un son cuivré avec un
modèle à spectre fixe, puisque ce qui caractérise
pour l'oreille le caractère "cuivré", c'est
précisément le comportement dynamique du spectre,
s'enrichissant en harmoniques aigus lorsque l'intensité augmente.
J'ai cherché à imiter d'autres instruments: certains
sont faciles à évoquer, mais il faut soigner certains
détails si l'on veut réaliser une simulation convaincante.
En particulier il faut passer au niveau prosodique et modifier les
paramètres d'une note à une autre, dans une ligne
musicale, pour
suggérer un phrasé. L'exploration de la synthèse
montre qu'on ne peut captiver l'oreille en lui livrant des sons
trop simplistes.
J'ai exploré aussi des possibilités sonores plus neuves,
bâtissant des structures harmoniques qui peuvent à
volonté coaguler en harmonies ou se disperser en textures
fluides. Motivé par un projet musical, j'ai réussi
à produire des sons "paradoxaux": un glissando
donnant l'impression d'une descente indéfinie, un autre qui
monte mais qui paraît pourtant plus bas à la fin qu'au
début, des battements rythmés qui ralentissent sans
cesse tout en devenant graduellement plus rapides. Ces illusions
auditives donnent des indications précieuses sur les mécanismes
intimes de la perception. L'ouïe ne mesure pas les paramètres
physiques du son: elle est équipée de mécanismes
performants qui effectuent une véritable enquête sur
la source du son, sa nature, sa direction, sa distance.
J'ai tiré parti de ma recherche dans mes propres oeuvres, mais j'ai pu aussi en communiquer les résultats. Sous la forme de publications scientifiques, mais aussi d'un "catalogue de sons". Ce catalogue, publié en 1969, réunit l'enregistrement de divers sons que j'ai synthétisés - imitation d'instruments, développements sonores, illusions auditives - et, pour chaque son, la "partition" de synthèse, qui est à la fois une recette pour reconstituer le son et une description exhaustive de sa structure physique. Ce catalogue a servi à des musiciens aussi bien qu'à des chercheurs. Ainsi, à partir de ma synthèse de trompette, Robert Moog a pu obtenir des sons cuivrés avec des synthétiseurs, et John Chowning a pris mieux conscience de l'immense potentiel de sa méthode de synthèse par modulation de fréquence. Mes recettes de synthèse ont servi de point de départ pour des oeuvres de Stanley Haynes, Gilbert Amy, Charles Dodge et bien d'autres.
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5
- Mes musiques.
Mes recherches musicales s'éprouvent et s'expriment dans
des oeuvres qui prétendent être des produits finis
et non des expériences. Elles m'ont permis de résoudre
certaines énigmes et d'atteindre certains buts musicaux auxquels
j'aspirais: créer un univers sonore illusoire, voire paradoxal,
dont l'identité est ancrée dans nos perceptions plutôt
que dans le monde réel, et qui, à l'image du rêve,
est malléable et labile (Little Boy, Mutations, Songes);
mettre en scène des rencontres de ce monde rêvé
avec le monde extérieur, "réel", visible
et palpable (Dialogues, Passages,Voilements ou Sud); préserver
une dimension harmonique qui se prolonge dans le timbre lui-même.
L'imitation des instruments ne m'a pas simplement fourni des ersatz:
j'ai pu composer des pseudo-gongs comme on compose des accords (Dialogues),
diffracter des harmoniques comme un prisme disperse la lumière
(Little Boy), transformer des objets sonores percussifs en textures
fluides (Inharmonique). J'ai aussi réalisé des "oeuvres
à programme" d'inspiration scientifique (Moments newtoniens,
Attracteurs étranges,Electron-Positron ).
En 1989, compositeur en résidence au Media Lab du M.I.T.,
à Cambridge (Mass., USA), j'ai mis en oeuvre une interaction
piano-ordinateur qui m'a permis de réaliser des Duos pour
un pianiste: Sur le même piano acoustique, spécialement
équipé - un Yamaha Disklavier - l'ordinateur ajoute
sa propre partie, qui dépend de ce que joue le pianiste et
de la façon dont il joue. Au jeu du pianiste répond
donc celui d'un partenaire invisible, virtuel, programmé
sans doute, mais sensible, et qui peut être double, clone,
miroir, écho ou résonance.
Si ma recherche a nourri ma création, j'ai cependant vécu le conflit entre des activités différentes dans leurs finalités, leurs méthodes, leur tempo. Ce conflit se transpose au niveau institutionnel.
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6
- Les institutions.
La recherche musicale n'est tout-à-fait chez elle dans aucune
institution, qu'elle soit musicale ou scientifique. Toute institution
a une raison d'être dominante, une mission primordiale, un
ministère de tutelle. Si l'un des propos - musique ou recherche
- est au premier plan, l'autre ne peut qu'être
subordonné. Or l'antagonisme entre recherche et création
apparaît lorsqu'on veut établir entre ces activités
une relation ancillaire ou un rapport hiérarchique: il y
a alors tension, risque de conflit ou d'étouffement. D'un
côté ou de l'autre, contraintes et obstacles ne sont
pas les mêmes, mais dans tous les cas, on est sur la corde
raide: il faut convaincre les uns, rassurer les autres, dans un
langage et avec des arguments propres à chacun. Il y a peu
de relations et encore moins de compréhension entre les ministères
de tutelle de l'éducation, de la recherche et de la culture.
En France, les arts et la musique ont été longtemps
exclus des universités : ils y ont fait leur entrée
dans la lancée de mai 1968, mais sans bénéficier
d'une vraie reconnaissance et sans obtenir les moyens nécessaires.
De plus l'aspect patrimonial a été privilégié,
aux dépens de la modernité et de la création.
A cet égard, l'Université Paris VIII constitue une
exception remarquable : je crois qu'on peut dire que c'est la seule
université française qui ait laissé une place
à l'activité de création artistique.
Pour moi, recherche et création ont été parfois
en conflit: mais elles se sont nourries l'une de l'autre, et toutes
deux ont été en fin de compte reconnues professionnellement.
J'ai été chercheur au C.N.R.S., mais c'est en tant
que compositeur que j'ai de 1975 à 1979 dirigé le
Département Ordinateur de l'IRCAM. J'ai été
invité au titre de musicien ou de chercheur dans divers pays
étrangers, et j'ai reçu des distinctions au titre
de la musique aussi bien que de la recherche: prix Ars Electronica
1987, Grand Prix National de la Musique 1990, médaille d'ordu
CNRS en 1999. Cette
dernière récompense atteste qu'une activité
musicale peut inspirer une recherche scientifique : néanmoins
il faut toujours se battre pour défendre la recherche musicale.
Bien avant moi, les pionniers de la recherche musicale en ont fait
la pénible expérience. Edgard Varèse tenta
sa vie durant d'exploiter musicalement la "révolution
électrique" (Hugues Dufourt): c'est en vain qu'il s'efforça
dans les années 20 et 30 d'obtenir le soutien des Bell Laboratories,
alors dirigés par Harvey Fletcher, acousticien de talent
mais redoutablement conservateur dans ses goûts musicaux,
ou des entreprises d'Hollywood, trop préocuppées de
rentabilité immédiate. Trente ans plus tard, c'est
aux Bell Labs que Max Mathews a mis en oeuvre l'enregistrement numérique
et la synthèse des sons par ordinateur.
Il faut savoir gré à Pierre Schaeffer d'avoir, le
premier sans doute, réussi à asseoir institutionellement
l'institution "impossible mais nécessaire" d'un
groupe de recherche musicale: son titre d'Ingénieur du corps
des Télécommunications lui conférait un certain
pouvoir dans l'institution de la radio d'Etat française.
Pierre Boulez avait tenté de persuader l'Institut Max Planck
de Göttingen d'ouvrir un Département de recherche musicale,
mais il s'est heurté à l'opposition du grand physicien
Werner Heisenberg, féru de musique de chambre et hostile
à l'intrusion de la science dans son jardin secret. La décision
prise par Georges Pompidou vers 1970 de créer l'IRCAM (Institut
de Recherche et de Coordination Acoustique Musique) a été
le fait du prince - le prince comme mécène: grâce
à son poids politique - lié à sa réputation
artistique et non à son engagement vis-à-vis de telle
ou telle tendance politique - Pierre Boulez a pu obtenir du Président
de la République française la création d'un
institut important de recherche musicale, au lieu de l'orchestre
symphonique que Georges Pompidou lui avait proposé pour le
faire revenir en France. Il n'y a pas d'institution équivalente
à l'IRCAM pour les Arts plastiques.
L'IRCAM a "démarginalisé" la recherche musicale,
et elle a permis à des compositeurs l'accès à
des moyens lourds. Aux débuts de l'IRCAM, de 1975 à
1979, j'étais responsable artistique du Département
Ordinateur: comme je le prévoyais, l'informatique a graduellement
diffusé dans presque toutes les activités. L'IRCAM
est exceptionnellement bien doté et très actif. Revers
de la médaille, il lui faut justifier publiquement cette
dotation, produire sans attendre des résultats, des oeuvres.
Or l'assimilation de moyens nouveaux de création demande
du temps, et les oeuvres les plus novatrices peuvent échapper
à l'attention à raison même de leur nouveauté;
la recherche ne se fait pas à la hâte et ne se juge
pas à l'applaudimètre. Aussi est-il essentiel de diversifier
les contextes de recherche, car la pression publique peut être
préjudiciable à certaines investigations.
J'ai choisi quant à moi de poursuivre mon activité
de recherche et de création musicale dans une institution
scientifique : j'ai créé à la Faculté
des Sciences de Marseille-Luminy une Equipe d'Informatique Musicale
qui est maintenant rattachée au Laboratoire de Mécanique
et d'Acoustique du CNRS et dirigée par Daniel Arfib. On y
est plus conscient du long terme nécessaire à la recherche,
et on y reste plus proche des développement nouveaux. Mais
les critères et les enjeux musicaux y sont souvent mal compris.
Aussi y faut-il satisfaire aussi à des critères proprement
scientifiques.
Les critères de la recherche musicale sont multiples: la
valeur d'une recherche réside aussi dans la portée
des oeuvres musicales auxquelles ell donne lieu ... ou donnera lieu
un jour, peut-être. Un critère bien évasif pour
une institution de recherche scientifique. Cependant une idée
ancienne refait son chemin: la musique constitue un champ d'étude
fertile, susceptible d'inspirer la science et pas seulement d'en
bénéficier. DepuisPythagore, les exigences musicales
ont suscité des progrès scientifiques et techniques
significatifs - l'invention de la touche, du clavier, la notation,
la synthèse additive dans l'orgue, les séries de Farey,
et récemment la mise en oeuvre du son numérique et
l'élucidation de l'organisation auditive. C'est pour des
raisons musicales que notre Equipe d'Informatique musicale a contribué
depuis 1984 au développement des possibilités de la
"transformation en ondelettes". Il s'agit d'un nouveau
paradigme d'analyse des signaux, qui sont décomposés
en ondelettes, petites ondes dont la durée d'oscillation
est limitée dans le temps: cela permet de rendre compte plus
naturellement de l'évolution temporelle des signaux, essentielle
dans le cas des sons musicaux. (La méthode classique d'analyse
de Fourier décompose les signaux en sinusoïdes, ondes
périodiques indéfinies dans le temps).
La compréhension bienveillante de certains scientifiques
est essentielle pour que la recherche musicale puisse exercer un
rôle fécond dans les institutions scientifiques. J'ai
ainsi bénéficié dans mon activité "indisciplinée"
du soutien de Pierre Grivet, John Pierce, Max Mathews, Daniel Kastler,Mohammed
Mebkhout, Bernard Nayroles. Symétriquement, l'intérêt
des instances culturelles est décisif. La Direction de la
Musique du Ministère de la Culture, sous l'impulsion de Maurice
Fleuret et Michel Decoust, a entrepris de soutenir la recherche
musicale, ce qui est précieux pour encourager des thèmes
mal accueillis dans les institutions scientifiques. C'est ainsi
qu'a pu se développer l'activité originale de l'ACROE
(Association pour la Création et la Recherche sur les Outils
d'Expression), équipe qui a depuis quinze ans joué
un rôle de pionnier dans le domaine des "réalités
virtuelles": on y simule sur ordinateur les processus physiques
des instruments dans les modalités sonores, visuelles et
même tactiles.
Aujourd'hui chacun peut disposer individuellement des moyens de création musicale: le coût d'un studio numérique personnel est du même ordre que celui d'un piano. La recherche musicale reste plus importante que jamais: mais le rôle des institutions s'est déplacé. Il leur faut insister sur les exigences musicales pour imposer des standards de qualité à une industrie de la musique guidée par des impératifs mercantiles. Continuer deproposer des possibilités nouvelles, mais surtout les répandre chez les musiciens: faire savoir le savoir-faire. Et, bien sûr, assurer la diffusion des nouvelles musiques, qui risquent d'être englouties dans la vague déferlante du marché, et qui sont pourtant aventureuses, curieuses, innovantes: la recherche musicale est un laboratoire du futur. L'art et la science sont deux formes de connaissance, qui plus que jamais doivent se compléter harmonieusement si l'homme veut échapper à la massification et à la castration par l'unidimensionnel.
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Références
H. Dufourt (1991). Musique, pouvoir, écriture. C. Bourgois,
Paris.
Rapport Art-Science-Technologie (1998)
www.education.gouv.fr/rapport/risset, www.edutel.fr/rapport/risset
J.C. Risset (1985). Le compositeur et ses machines - de la recherche
musicale. In Esprit (numéro spécial "Musique
contemporaine"), 59-76.
J.C. Risset (1986). Arte y scienza: musica elettroacoustica numerica.
Nuova Atlantide, Biennale di Venezai 1986, 103-120.
J.C. Risset (1987). Musica, calcolatore, ricerca. I Profili del
suono. Musica verticale/Galzerano, Salerno, 11-20.
J.C. Risset (1992). Musique, recherche, théorie, espace,
chaos. Inharmoniques 8/9, 273-316.
J.C. Risset (1996). Composing sounds, bridging gaps -the musical role of the computer in my music. In "Musik und Technik", Helga de la Motte-Haber & Rudolf Frisius, ed., Schott, Mainz, 152-181.
J.C. Risset & S.C. Van Duyne (1996). Real-time performance interaction
with a computer-controlled acoustic piano (avec 10 minutes d'exemples
sonores sur disque compact joint au journal). Computer Music Journal,
20 n° 1, 62-75.
J.C. Risset & D.L. Wessel (1999). Exploration of timbre by analysis
and synthesis. In Diana Deutsch, editor, The Psychology of Music
(second edition), Academic Press Series in
J.C. Risset (2000). Perception of Musical Sound : Simulacra and
Illusions. In Tsutomu Nakada, ed., Integrated Human Brain Science
: Theory,
Method, Application (Music). Elsevier, pp. 279-289 (with 20 sound examples on CD attached to the book).
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Note
biographique
Jean-Claude RISSET a mené parallèlement une carrière de chercheur et de compositeur. Pionnier de la synthèse des sons avec Max MATHEWS aux Bell Laboratoires dans les années 60, il a effectué des recherches sur le son musical et sa perception pour exploiter musicalement ses ressources nouvelles : synthèses imitatives, composition du son, musiques mixtes, paradoxes et illusions acoustiques. Ses compositions et ses recherches lui ont valu les plus hautes récompenses françaises - Grand Prix National de la Musique en 1990, médaille d'or du CNRS en 1999 - ainsi que le Prix ArsElectronica 1987. Sa composition Sud sera en 2002 la première oeuvre électroacoustique proposée à l'option musique du baccalauréat.
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Liens :
www.olats.org (Rubrique "pionniers
et précurseurs")
www.ina.fr/grm/acousmaline/polychromes/
(sur "Sud")
Discographie :
D. Arfib.Le souffle du doux. C.D. Wergo 2022-50 (Computer Music Currents 2) (avec Davidovsky, Lorrai, Ghent, Rush)).
J.M. Chowning. Sabelith, Turenas, Stria, Phone. C.D. Wergo 2012-50.
M. Decoust. Interphone. C.D. Wergo 2024-50 (Computer Music Currents 4) (avec Barrière, Dodge,Wishart, Reynolds, Jones).
C. Dodge. Profile. C.D. Neuma 450-73: Electro Acoustic Music 1 (avec Lansky, Boulanger, Risset, Saariaho, Warner).
J.C. Risset. Songes, Little Boy, Passages, Sud. C.D. Wergo2013-50.
J.C. Risset. Sud, Dialogues, Inharmonique, Mutations. C.D. INA C1003.
J.C. Risset. Elementa, Avel, Lurai, Trois études en duo pour un pianiste, Invisible Irène. C.D. INA C1019.
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