| Artifices 4 | du 6 novembre au 5 décembre 1996 | Salle de la Légion d'Honneur, Saint-Denis |

Le laboratoire théorique: Incidence des modèles technologiques sur l'art contemporain

      mardi 19 novembre 1996

      La question de l'exposition: Jean-Louis Boissier, Jérôme Glicenstein, Christophe Durand-Ruel, Simon Lamunière, Georges Rey, Sabine Jamme et Emmanuel Lagarrigue (L'Index).

      Avertissement: les retranscriptions des interventions de Jérôme Glicenstein, Christophe Durand-Ruel, Simon Lamunière ont été revus par leurs auteurs. Celles de Jean-Louis Boissier, Georges Rey, Sabine Jamme et Emmanuel Lagarrigue sont des retranscriptions non revues, à ce jour, par leurs auteurs.

      Présentation et modération de Jérôme Glicenstein


Jérôme Glicenstein:

Nous allons traiter la question de l'exposition avec nos invités:
Simon Lamunière est l'un des responsables du Centre de l'image contemporaine de Saint-Gervais-Genève et il nous parlera du site internet qu'il doit mettre au point pour la Documenta X de 1997.
Georges Rey, professeur à l'école des beaux-arts de Grenoble a été l'un des commissaires de la Biennale de Lyon 1995 consacrée aux nouveaux médias,et prépare une exposition sur internet pour le musée d'art contemporain de Lyon en 1997.
Christophe Durand-Ruel, directeur de la galerie des Archives, à Paris, se considère un peu comme un néophyte dans le domaine des nouveaux médias mais y est confronté et vous en parlera.
Sabine Jamme et Emmanuel Lagarrigue ont mis au point un catalogue interactif, l'Index, présenté dans l'exposition. Ils vous parleront de cette expérience.
Jean-Louis Boissier, professeur au département Arts plastiques de l'université Paris 8, commissaire avec Anne-Marie Duguet, professeur au département Arts plastiques de l'université Paris 1, de la biennale Artifices, et directeur artistique d'Artifices 4, vous en parlera.

J'ai prévu quelques remarques touchant au problème de l'exposition, des expositions sur les réseaux et au problème que pose l'exposition d'oeuvres d'art sur internet Je partirai d'une expérience qui est celle qu'en 1972-73 propose l'artiste conceptuel Robert Barry avec une oeuvre intitulée Invitation Piece qui consiste en l'envoi mensuel d'une succession de cartons d'invitation.
Le premier est libellé ainsi: "Paul Maenz vous invite à une exposition de Robert Barry à la galerie Art & Projects à Amsterdam durant le mois de novembre 1972."
Le deuxième comporte la mention suivante: "Art & Projects vous invite à une exposition de Robert Barry à la Jack Wendler de Londres durant le mois de décembre 1972."
Le troisième est rédigé ainsi: "Jack Wendler vous invite à une exposition de Robert Barry à la galerie Léo Castelli de New York durant le mois de janvier 1973."
Le suivant: "Léo Castelli vous invite à une exposition de Robert Barry à la galerie Yvon Lambert de Paris durant le mois de février 1973."
Et ainsi de suite, de New York à Paris, de Paris à Bruxelles, de Bruxelles à Milan, de Milan à Turin et de Turin à la galerie Paul Maenz de Cologne, qui était le point de départ du circuit. L'itinéraire retenu correspond à la fois au temps d'une saison artistique et au voyage accompli par l'artiste-voyageur. Il n'y a évidemment rien à voir dans ces expositions mais ce n'est pas non plus le but. Au contraire, il s'agit alors de montrer que le monde de l'art se limite en général à la distribution sur un échiquier mondial d'un certain nombre d'oeuvres, d'artistes, d'expositions. Toutes choses qui n'ont finalement que peu d'importance comparé au dispositif lui-même qui évolue en circuit fermé: le système de l'art.

L'exposition d'oeuvres issues du réseau évoque assez facilement le même genre de problématique. En effet, toute personne ayant accès à Internet pourra se passer de venir voir l'exposition Artifices puisque les oeuvres auxquelles il a accès de chez lui, sont identiques à celles qu'il verra sur le lieu d'exposition; qui plus est, l'intimité et la maîtrise du temps en moins. Comme l'a fait remarquer Jean-Louis Boissier, l'exposition dans le cas de ces oeuvres sur réseau tient dans l'adresse qui figure au catalogue. Adresse qui pourrait d'ailleurs simplement être renvoyée à telle date, sur carton d'invitation comme dans le cas de Robert Barry ou encore mieux, par courrier électronique. Ainsi la fréquentation d'une exposition virtuelle sur un réseau "potentiellement mondial" met en évidence, tout à la fois le caractère global de l'art contemporain, tout en rappelant en quoi celui-ci fonctionne dans une logique de micro-communauté mondiale.

Ce même constat pourrait être amplifié par l'apport des dispositifs de recherche automatique. En effet, il suffit aujourd'hui de configurer un agent intelligent de manière à lui faire rechercher systématiquement le type de création artistique qui nous intéresse sur le réseau. Ainsi de la même manière qu'un agent intelligent va s'intéresser à nos goûts en matière de journaux ou de produits commerciaux, on peut envisager pour un futur proche (si cela n'existe pas déjà), des moteurs de recherches sur Internet spécialisés dans la recherche de sites artistiques adaptés à nos goûts et à nos intérêts.

Ce que je viens de décrire pose cependant de nombreuses questions quant à la notion d'exposition. On a pu penser il y a quelques années, que les problèmes liés à l'exposition d'oeuvres utilisant les nouveaux médias, d'oeuvres interactives, que ces problèmes se limitaient à l'aménagement de l'espace ou à l'accès. On voit aujourd'hui que ces problèmes peuvent être éventuellement résolus grâce aux réseaux, au réseau Internet, par exemple. D'autres questions se font alors le jour: que deviennent les notions d'exemplarité, d'exposition, la notion de communion collective sous le signe de l'art universel, la notion de critique? L'information artistique pourra-t-elle alors se diffuser hors du cercle restreint des amateurs du monde l'art? Ces questions (je crois) restent ouvertes.
Donc, je vais passer la parole à Jean-Louis Boissier qui va revenir sans doute sur l'élaboration et le montage de l'exposition Artifices et peut-être ajouter quelques commentaires touchant aux problèmes liés à la monstration, au fait, de valider une exposition dans le domaine des nouveaux médias.


Jean-Louis Boissier:

Je ne vais pas vous raconter ce qu'ont été Artifices 1,2,3 et 4, cela prendrait trop de temps mais en même temps cela pourrait être une façon de montrer comment les choses ont changé et peut-être aussi n'ont-elles pas changé complètement. Quelques remarques, simplement peut-être pour resituer ma position d'une part, on m'a signalé que samedi une personne qui était entrée dans l'exposition, peut-on dire, avait demandé le remboursement de sa place. C'est-à-dire qu'elle se trouvait déçue de ne pas avoir de place assise devant un ordinateur. Je crois que cela montre bien l'ambiguité dans laquelle nous sommes: un exposition est un côté, une place comme au théâtre par exemple ou au cinéma où on n'aurait pas pu voir le film. Je considère cela malgré tout comme un symptôme extrêmement intéressant sinon positif de ce que deviennent les expositions y compris dans la mesure où elles sont contestées voire annulées. Pour compléter ce que disait Jérôme, c'est vrai qu'aujourd'hui une adresse, un nom de site, c'est le site lui-même et faire le catalogue c'est faire l'exposition, enfin à peu de chose près. Ce qu'on peut signaler c'est qu'en fait, à partir du moment où le logiciel, où l'on capte quelque chose qui ressemble à une adresse, le logiciel de navigation sur Internet(?) et le lien se fait automatiquement (?) http etc. c'est déjà un lieu, c'est déjà le lieu à la chose (?). Deuxième remarque: la question qui est posée est ce que c'est finalement d'exposer les nouvelles technologies, ce qui est un problème sur lequel on pourrait donner un certain nombre de témoignages, exposer les arts des nouvelles technologies, si toutefois ils existent, ou bien, est-ce que c'est une question plus générale, pour ne reprendre le titre de l'ensemble du cycle de tables rondes est ce que c'est l'incidence du modèle des nouvelles technologies sur l'exposition. Je crois à vrai dire que nous sommes plutôt dans la deuxième problématique, on a ess&yé ces dernières années de, tout en continuant à garder le principe d'Artifices à savoir exposer ici des choses qui sont faites avec des ordinateurs pour dire ça très rapidement, garder ces critères techniques en même temps un peu croisés avec des critères plus classiquement artistiquement mais je crois qu'en fin de compte, aujourd'hui, la question est beaucoup plus de savoir, de reconnaître que l'art contemporain est dans un univers marqué de toute les façons par les aspects de ces nouvelles technologies et que donc faire une exposition aujourd'hui c'est composer avec cet espace disons des nouvelles technologies.
Quand on a fait, je reviens un tout petit peu sur l'histoire (?) d'Artifices, quand on a créé Artifices en 1990 en fait on va dire qu'on y avait pensé dès 1987. On avait en tête un certain nombre de modèles qui était déjà d'ailleurs marqué par l'apparition des nouvelles technologies que ça soit les Immatériaux au Centre Georges Pompidou en 1985 ou bien que ce soit Electra en 1983 au Musée d'art moderne de la ville de paris, ou bien pour moi Cinétisme, spectacle, environnement, qui était en 1968 à Grenoble. Et déjà il y avait l'idée du spectacle si vous voulez dans les expositions. Alors, pourrait-on dire que l'histoire se répète mais aussi faut-il avoir, je crois, conscience du fait que les choses ne sont pas nouvelles là où le croit mais accepter la nouveauté là où elle est. Dans l'exposition de 1990, on avait une diagonale qui était en fait un trottoir qui allait d'un point à un autre (pour moi c'est facile puisque on est dans l'espace), on avait un trottoir qui allait d'un point à un autre de la salle et on avait littéralement branché les propositions sur ce trottoir qui était en même temps une alimentation électrique. En fait, on avait fait quelque chose qui relevait beaucoup plus de l'accrochage, on se réclamait. La question implicite était "qu'est devenue la peinture, la sculpture avec l'ordinateur?". Et donc, c'était un accrochage de tableaux vidéos finalement, ce n'était que ça. Simplement, un certain nombre de pièces était interactive et donc parmi les espaces ou les choses branchées sur ce trottoir, il y avait déjà la Ville Lisible de Jeffrey Shaw. En 1992, Artifices 2 on avait un nombre restreint de pièces qui étaient, disons plutôt, des oeuvres environnementales et le modèle retenu était finalement celui du théâtre on avait dit puisque le spectateur devient acteur proposons lui une série de petits théâtres et les travaux de Kowalski, Gilardi, Vasulka évidemment puisque que c'était le théâtre des automates hybrides, etc. étaient conçus de la sorte. En 1994, avec Artifices 3, on avait ce thème de la mémoire, on avait déjà abordé pour tout un pan, finalement toute l'exposition était marquée par le modèle de la bibliothèque, de la consultation, j'y reviendrai, simplement en même temps on reconnaissait le fait que les artistes prenaient en charge, comme déjà en 1992 leur propre scénographie en grande mesure c'est-à-dire finalement assumaient l'idée de l'exposition chacun pour soi en proposant des environnements, des dispositifs, des installations. Voilà pourquoi on avait proposé, mais c'était dans des chambres modulaires, c'était quand même déjà à la différence des théâtres qui étaient spécifiques, là les chambres étaient des cases dans lesquelles on devait rentrer donc il y avait une idée d'une certaine standardisation et d'une proposition après à habiter ces diverses chambres et à la réflexion en fait ces chambres étaient plutôt comme des petits cinémas. Finalement ce qui dominait c'était la projection est tant bien que mal (?) la pièce de Laurent Mignonneau et Christa Sommerer, Phototropy où finalement avec la métaphore mais pas seulement la métaphore, la situation d'obtenir la lampe de poche pour éclairer l'écran (?) semblable à cette situation de l'interdit de l'ouvreuse; l'ouvreuse n'a pas le droit d'éclairer l'écran, là on éclairait l'écran. Même la pièce d'Agnes Hegedüs, Handsight, etc. était finalement des salles de projections. Et puis d'autres aussi Chen Ching Cheng, Legrady avec son rapport justement privé/public, lecture de cinéma était des salles de projections. On a eu dans ce sens une espèce de confirmation presque caricaturale de cette évolution avec la Biennale de Lyon où finalement, la plupart des artistes, où tous ces jeunes artistes qui ne veulent pas toucher aux nouvelles technologies mais qui étaient bien contents d'être dans une exposition annoncée comme telle, finalement n'avaient pas d'autre modèle à se mettre sous la dent que les fauteuils de cinéma qu'ils soient rouges, qu'ils soient noirs qu'il y ait de la moquette ou non, était des salles de cinéma. Soit très bien réussi à mon sens comme Corillon, soit plus maladroit comme d'autres. Mais c'était ça la solution ou alors on peut prendre comme autre exemple (?) comme Stan Douglas qui lui véritablement travaillait sur le cinéma et plus exactement la situation originale du spectacle. Donc on acceptait dans ces cas-là aussi bien dans la biennale ou chez nous, l'idée que finalement l'exposition pouvait être construite sur le modèle du standard du cinéma. Donc finalement, il y a deux ans, on annonçait déjà, on avait déjà dit pratiquement qu'il y aurait des écrans tendus à travers la salle et que peut-être, on se rendait à l'évidence non pas forcément pour dire c'est la meilleure chose au monde mais on se rend à l'évidence que finalement on peut tout projeter et que seul dispositif pertinent unificateur c'est la projection, provisoirement peut-être et donc essayer de combiner, de sacrifier cette contradiction entre la modalité du spectacle et la modalité de la lecture alors même que la modalité ordinaire de la fréquentation des oeuvres était d'une certaine façon perdue. Voilà pourquoi donc nous avons cette fois des projections et qui plus est, on a renoncé, à part Jeffrey Shaw, mais lui-même propose ses propres salles de cinéma, de projections, on a renoncé aux installations probablement de manière provisoire mais je ne sais pas ce que deviendra l'art en question dans un ou deux ans, en acceptant aussi le standard de l'ordinateur c'est-à-dire voilà on a des tables et on se contente de poser les ordinateurs sur les tables alors là je serai d'accord avec ce que disait Paul Ardenne la semaine dernière (Cf. Table ronde du 12 novembre 1996 intitulée "Frontières de l'art et du social")qu'on est passé d'une esthétique de la contemplation à une esthétique de la consultation. Mais je pense qu'on pourrait aller plus loin que ça d'ailleurs. Voilà et pour résumer, disons, ce que nous proposons maintenant c'est de dire: voilà, accepter l'idée de ce qu'était une exposition, et on s'était battu pour faire accepter l'idée que ce soit une exposition et pas du tout un festival ou enfin toutes ces nouvelles technologies sont présentées en général dans des événements extrêmement éphémères programmés dans le temps et là, on s'est rendu à l'évidence qu'il fallait programmer des événements certes sur une durée assez longue, on a gardé l'idée de ces quatre semaines, mais bon, on a programmé par exemple comme ce soir c'est-à-dire que maintenant il y a des chaises, il y a des tables, il y a une tribune il y a des salles de projections.


Jérôme Glicenstein:

Il a été question, il y a quelques minutes de l'expérience de la Biennale de Lyon. J'aimerai passer la parole à Georges Rey qui peut-être, va nous parler de cette expérience et des problèmes qui ont pu se poser à l'époque et qui je crois, aimerai parler d'un autre projet qui infirme un peu ce que j'ai dit tout à l'heure, le fait que finalement, on peut faire une exposition simplement en délivrant une adresse ou éventuellement même l'envoyant par courrier électronique.


Georges Rey:

Je réponds à Jean-Louis Boissier, qui accuse certains artistes d'utiliser les technologies un peu par hasard et parfois sans grande conséquence, que je vais complètement dans son sens: la Biennale de Lyon de 1995 s'est construite sur l'idée que le cinéma nous semblait un modèle inévitable pour les nouveaux médias. On était obligé de passer par ce modèle-là pour montrer certaines oeuvres d'artistes puisqu'eux-mêmes se référaient déjà au cinéma,comme Pierre Huyghe: pour la Biennale, il a fait un remake de Pasolini. Il avait fait auparavant un remake d'Hitchcock. Donc, il nous semblait tout naturel de signaler ce modèle du cinéma et nous avons pris le dispositif du cinéma, pour montrer qu' il fallait passer du temps dans l'espace de l'oeuvre: on n'était plus devant une toile ou devant une chose brève ou devant une installation qui se lit très vite. Le dispositif de la salle de cinéma, avec des sièges, était physiquement le meilleur dispositif pour le faire comprendre.

Dans cette biennale, on a montré peu d'oeuvres en relation avec Internet, il n'y avait que Muntadas avec The File Room et Kowalski avec une pièce qui mettait en relation Lyon et le MIT à Boston. L'oeuvre de Muntadas était, selon nous, la première pièce sur Internet sous forme d'installation. Avec l'oeuvre de Kowalski, on voit comment une problématique de l'échantillonnage peut trouver un lieu sur Internet: deux pièces ont été montrées dans leurs caisses d'emballage, pous insister sur le fait que certaines oeuvres d'art n'étaient plus en état de fonctionnement et ne le seraient plus du tout. Mais elles ont existé et la seule façon de le dire était de montrer ce qu'il en restait.
Dans le domaines des nouvelles technologies et avec Internet, il me semble important d'insister sur le côté éphémère de l'oeuvre, de montrer qu'elle évolue, qu'elle n'a pas un durée fixe et que même si on la voit à un moment donné, on peut très bien imaginer qu'elle sera différente le lendemain.

Dans notre projet d'exposition V.O., en prenant comme support Internet, on tente de mettre en forme cette notion d'éphémère, de montrer qu'une oeuvre existe à un moment donné et peut disparaître la seconde d'après. C'est un projet en évolution: faire une exposition de musée, sur Internet, en considérant qu'Internet est un support comme peut l'être la peinture, comme peut l'être la vidéo. Cela pose la question: Internet n'est-il pas seulement un moyen comme l'ont été les images de synthèse? L'exposition "Imagina" a montré énormément de choses mais qu'en reste-t-il?
Internet ne serait-il pas simplement un moyen comme un autre mis à la disposition des artistes? Je parle de l'art contemporain. Le cadre est celui-ci: voir comment les artistes face à un moyen ou à un support peuvent nous proposer à la fois des formes, des histoires d'artistes. Cette exposition a un thème,"des histoires d'artistes": histoire qui parle du passé alors qu'Internet parle de l'avenir; histoire dans le sens où l'on raconte des histoires et en même temps histoire d'artiste parce qu'internet peut proposer un historique de l'oeuvre, un catalogue.Toutes les oeuvres devraient être en français. C'est une limite qu'on a eu envie de se donner, comme le thème est une limite et comme le musée est aussi une limite.

C'est le musée d'art contemporain de Lyon qui organise cette exposition et elle s'affirme comme une exposition d'art contemporain, pour offrir une accroche au spectateur, au public. Une limite qui bien évidemment permettra au public de s'évader. Les artistes sont déjà connus. La plupart ont une carrière dans l'art contemporain, soit dans l'installation, soit en vidéo, soit sur d'autres supports. On pourra comparer ce qu'ils nous proposent sur Internet avec ce qu'ils ont pu faire jusqu'à présent.

Beaucoup de sites sur internet parlent de communautés de langues, de cultures, d'intérêt particulier. On a envie de dire que, pour cette exposition, l'art contemporain sera une communauté. Pierre Huyghe, Philippe Parreno et Dominique Gonzalès-Foerster ont un projet d'école nomade. Cette école nomade s'installera dans d'autres écoles et essayera, sur le principe de la conversation, de l'entretien, d'élaborer des projets. Cette expérience dans la vie et dans le quotidien nous renvoie au modèle des forums d'internet. On aimerait que cette exposition soit l'occasion de production d'oeuvres, et de demande auprès d'institutions, qui possèdent des serveurs et des équipes techniques, d'aider les artistes à réaliser ces oeuvres.

Le thème de départ "histoires d'artistes" peut très bien évoluer. Pierre Huyghe me disait: "moi, j'ai envie de faire quelque chose sur internet mais il faudrait que ça tombe au bon moment", c'est-à-dire que cette expérience sur Internet soit le prolongement de ce qu'il est en train de faire. La plupart des artistes qui veulent intervenir sur Internet ont envie que cet outil leur serve. On voudrait que l'exposition soit accessible au plus grand nombre, que l'art contemporain puisse être accessible à tous. On aimerait que le vernissage se passe simultanément dans plusieurs lieux, à Lyon ou peut-être en France ou, pourquoi pas, dans d'autres pays francophones.

La proposition est très resserrée au départ, mais évidemment au cours de la consultation de l'exposition, on trouvera des liens pour surfer et reprendre les bonnes habitudes prises sur le net. En ce qui concerne la durée de l'exposition, on a envie qu'elle reste sur un ou plusieurs serveurs, qu'elle puisse évoluer aussi, soit grossir, soit diminuer, et qu'il y ait une sorte de vie de cette exposition dans le temps, qu'il y ait d'autres artistes qui interviennent et que périodiquement on puisse revenir sur l'exposition, la remettre en cause et peut-être imaginer autre chose à partir d'elle. La communication de cette exposition pose certains problèmes parce qu'elle peut utiliser Internet, le e-mail, les forums pour l'annoncer l'exposition, recevoir des commentaires. L'exposition dans le musée, sera l'occasion, un peu comme ici à Artifices, de proposer au public des débats, des conférences.

En naviguant sur Internet, je suis tombé sur un artiste assez pervers. Il propose une image avec un texte sans aucun lien possible avec autre chose. On ne sait pas qui il est, on ne sait pas d'où il vient et il a l'air de questionner Internet, dans la mesure où il nous renvoie à une attitude de contemplation devant l'oeuvre. On peut très bien imaginer des artistes proposant une image ou un texte, ou tout à fait autre chose et nous remettre en situation esthétique de la contemplation, je ne pense pas qu'Internet ne soit que de la navigation.


Jérôme Glicenstein:

Après cet exposé concernant les modalités d'une exposition dans des circonstances institutionnelles puisque c'est dans le cadre d'un musée, j'aimerai demander à Christophe Durand-Ruel, de la galerie des Archives, comment se pose la question de l'exposition lorsque entrent en jeu des contraintes différentes, extérieures, éventuellement commerciales . En effet, en général, quand on parle des nouveaux médias, des nouvelles technologies, on pense rarement à des expositions en galerie. Ça paraît un domaine voué exclusivement ou quasi exclusivement aux institutions, aux financements par les institutions et également à la diffusion par les institutions. C'est une question qui n'est évidemment pas simple mais j'aimerai savoir exactement ce qu'en pense Christophe Durand-Ruel.


Christophe Durand-Ruel (Galerie des Archives):


Il est vrai que lorsqu'on m'a parlé de ce colloque j'ai réfléchi un petit peu à différents éléments et j'avais préparé un petit papier en réfléchissant non seulement à Internet mais aussi à la vidéo dont nous parlions tout à l'heure. Effectivement, en tant que galerie, nous sommes aujourd'hui confrontés à ces nouvelles technologies. Ce qui est amusant, c'est qu'on mentionne ce mot très très régulièrement depuis le début. On ne parle pas beaucoup d'art, on parle des nouvelles technologies.
Et en tant que galerie d'art contemporain, c'est quelque chose qui nous pose aujourd'hui beaucoup de problèmes. Pourquoi? Je dirai, un peu dans la lignée de ce qui a été dit jusqu'à présent: parce qu'on n'a pas suffisamment souligné qu'en fait c'est une remise en cause non seulement des médiums mais aussi de toute la façon d'aborder l'art et je dirais d'y avoir accès. On a parlé d'Internet comme médium, comme un support. Je pense personnellement que c'est avant tout une nouvelle façon d'accéder à l'information et à ce titre, ça bouleverse naturellement les structures telles qu'elles existent actuellement dans le milieu de l'art, c'est-à-dire le musée, la galerie. On parlait tout à l'heure d'exposition, à commencer par la future exposition à Lyon.

Et ma réflexion à chaud, était de dire: "je ne vois pas pourquoi j'irai à Lyon, à partir du moment où on fait une exposition sur l'Internet. Que ce soit chez moi, si j'ai la chance d'avoir un moyen d'accéder à Internet ou dans un cybercafé ou quelque chose comme ça, je verrai l'exposition et on ne me verra pas à Lyon. Alors le mot exposition devient quelque chose de différent, c'est une exposition sur Internet et pas une exposition à Lyon. Déjà en soi, c'est quelque chose qui pour une galerie a des conséquences assez considérables, parce qu'à partir du moment où une galerie s'intéresse à ce genre de travaux et qu'elle veut les présenter sur Internet, travaux prévus pour cela, plus besoin de galerie. La galerie devient tout à fait inutile.

Or, il est certain que dans le schéma actuel, notre problème c'est d'amener des gens dans les galeries. Donc, déjà premier conflit. La deuxième chose, il faudrait en parler parce que je crois que c'est important, c'est la notion de marché puisqu'en ce qui concerne les galeries, c'est quand même quelque chose d'assez fondamental, vu que nous ne sommes pas subventionnés ou quoi que ce soit, nous fonctionnons sur les ventes. C'est qu'effectivement, que ce soit la vidéo ou aujourd'hui Internet, on remet en cause complètement la notion d'unicité de l'oeuvre et jusqu'à présent les collectionneurs étaient très attachés à la notion d'unicité. La photographie a déjà considérablement bouleversé les choses bien que quelques marchands malins aient réussi à travers des systèmes à remplacer cette notion d'unicité par des côtés spectaculaires, des grandes pièces etc. qui donnent l'illusion de l'unicité.

Mais avec la vidéo et maintenant Internet alors là on rentre de plain-pied dans l'oeuvre quasiment universelle. Je vais vous donner un exemple que nous avons vécu. Mon associée qui avait rencontré Gary Hill en 1989 à l'époque où il n'était connu que d'une toute petite clique de spécialistes de ce genre de travaux, lui avait dit: "écoutez, ça m'intéresserait beaucoup de présenter votre travail dans ma galerie". Et Gary Hill lui avait dit: "Mais écoutez, ça ne se vendra jamais". En pratique, on sait que Gary Hill est devenu un artiste très connu et dont les pièces valent beaucoup d'argent. Mais pourquoi? Parce qu'en réalité Gary triche. Il triche dans la mesure où il réalise des installations qui sont des sculptures qui certes intègrent une vidéo de manière importante puisqu'en l'occurence c'est l'élément principal, mais la vidéo fait partie d'un ensemble. Et c'est cet ensemble qu'il est capable de vendre comme une pièce ou deux pièces. Donc encore une fois on revient à la notion d'unicité.

On parlait tout à l'heure de la projection, là on rentre de plain-pied dans l'art vidéo. La vidéo telle qu'elle doit être vue majoritairement, ce sont des projections. Alors avec la projection, à nouveau on se pose la question: mais pourquoi la galerie, pourquoi le musée? Et d'ailleurs on voit bien qu'avec l'exposition de ce genre de choses, il y a certes beaucoup de gens qui viennent par curiosité, mais en réalité c'est peut-être aussi parce qu'ils n'ont pas chez eux les moyens ou les technologies adaptées pour une projection de qualité. Personnellement, je suis persuadé que le véritable développement de la vidéo dans l'espace privé se fera avec l'écran plat. Pourquoi? Parce que je pense que la télévision est un objet relativement moche, (j'espère qu'il n'y a pas de fabriquant de télévision ici), on n'a pas spécialement envie de s'installer devant une télévision pour regarder une vidéo. Mais par contre, dès qu'on a l'occasion de voir une vidéo en projection importante avec un tri-tube,ou des choses comme ça, elle prend des dimensions tout autres. Si on peut avoir la possibilité d'avoir un jour des écrans plats qu'on aura posé sur un mur avec une dimension plus importante, on peut rendre ce médium à la fois beaucoup plus agréable et accessible au public.

Je pense que, pour la vidéo proprement dite, on arrive encore à tricher sur ce côté d'exposition ou d'accession de la vidéo dans un milieu privilégié, à travers ce système de projection, en faisant de la projection de très grande taille qui séduit et par la même, attire. Mais on s'aperçoit qu'en réalité c'est très peu pratique. Sur Internet alors là on va encore plus loin car Internet est fait par définition pour être accessible par tout le monde de chez soi. Alors amener quelqu'un dans une exposition ou dans une galerie pour voir une oeuvre sur Internet me paraît une hérésie totale. Maintenant il y aura peut-être à nouveau quelques systèmes de tricherie qui feront que temporairement jusqu'à ce que la technologie soit complètement adaptée, les gens continueront de venir dans les espaces d'exposition mais ça ne durera à mon avis, qu'un temps.

Et pour clore ma remarque par rapport à ça, au niveau du marché, de la commercialisation on arrive dans le même schéma. Récemment, à titre de curiosité j'avais assisté à la mise en vente d'une oeuvre sur Internet par un commmissaire priseur. Personnellement je n'y croyais pas beaucoup comme vous avez pu le deviner. Je suis tout de même allé en salle des vente. Il y avait d'ailleurs beaucoup plus de journalistes que d'acheteurs potentiels. Au final l'oeuvre a été adjugée à un prix très élevé, 58 000 FF pour être précis, et qu'est-ce qu'il s'est passé? Aussitôt les journalistes se sont précipités en grappe sur l'acheteur qui a annoncé qu'il était en réalité un provider d'accès sur Internet et qu'il croyait complètement de l'avenir de l'art sur Internet. Donc il n'avait absolument rien à voir avec un collectionneur d'art que ce soit sur Internet ou autre chose et il n'avait jamais dû acheter d'art de sa vie. En réalité il ne faisait qu'une opération de promotion de sa société ou d'autre chose. Ce qui montre bien là aussi, à mon avis, que pour l'instant on patauge.

Je crois tout à fait à l'avenir de l'art sur Internet mais tout un chacun y aura accès gratuitement ou payant un droit d'accès. Les musées et les galeries n'ont plus lieu d'être sur ce genre de schéma et avec la vidéo on arrive à la même chose: on va éviter les vidéos, on va vendre ça trois cents francs. Il existe d'ailleurs déjà des entreprises spécialisées notamment aux États Unis,comme Electronics Art Intermix qui vous vend toutes les vidéos que vous voulez à trois cents francs. Mille cinq cents francs si vous voulez avoir la possibilité de la montrer à d'autres amis. On n'a alors là absolument pas besoin de tous les réseaux traditionnels qui ont fait, je dirai la gloire de l'art jusqu'à présent.

Je crois qu'on pénètre véritablement dans un nouveau monde et en ce qui me concerne, je considère que plus qu'un médium, Internet est une nouvelle façon d'accéder à l'art et qui va modifier l'art en lui-même puisqu'on ne va pas montrer des peintures sur Internet. Pour l'instant c'est ce qu'on fait mais ce n'est pas très intéressant. Il y aura des oeuvres spéciales qui vont être créées pour ce médium de même que des oeuvres spécifiques ont été créées pour la vidéo. On sait qu'à la télévision la peinture rend assez mal. Mais je crois que fondamentalement on entre là, plus dans un monde nouveau de la communication et de l'accès au spectateur, que véritablement dans les technologies nouvelles pour les artistes eux-mêmes.


Jérôme Glicenstein:

Je passe la parole à deux jeunes artistes (Emmanuel Lagarrigue et Sabine Jamme) vont nous expliquer exactement comment ils se situent et comment ils envisagent leur travail.


Emmanuel Lagarrigue:


L'index existe en fait depuis un an à peu près. Le numéro qui est visible sur l'un des postes là-bas est le numéro trois, le quatre sortira bientôt. Je vais faire une présentation rapide de ce qu'est l'Index. Il s'agit simplement d'un catalogue par correspondance qui est diffusé gratuitement dans le milieu de l'art parisien, français et de certains autres pays de la communauté européenne principalement. Ce catalogue répertorie des travaux qui sont dus aussi bien à des artistes, qu'à des critiques ou des théoriciens. Ils sont déposés en reproduction illimitée et sont vendus à prix coûtant par correspondance.

L'index existe sous la forme d'une brochure et il a la particularité de ne présenter absolument aucune image des travaux qui ont été déposés à l'intérieur. Les travaux qui sont référencés sont décrits par quelques lignes qui sont des sortes de catégories assez floues et qui sont complètement prises en charge par les personnes qui déposent les travaux à l'intérieur. La dernière catégorie propose des renvois que chaque personne qui dépose un travail dans l'Index est tenue de faire vers d'autres travaux qui ont été déposés dans l'Index. C'est pour cela qu'il nous a semblé assez intéressant de pouvoir réaliser une version sur disquette de ce catalogue puisque la version informatique permet, au travers des liens que chaque auteur propose vers d'autres travaux déposés dans l'Index, de naviguer dans le catalogue. Le numéro deux contient à peu près 250 références. Les liens sont en nombre relativement limité, puisque chaque auteur en propose de un à trois.

Par rapport à la question de l'interactivité, des hypermédias, il y a au moins une précision qui me semble importante d'apporter: pour nous, l'Index est un travail que nous faisons depuis une position de deux jeunes artistes, mais la terminologie habituelle d'oeuvre est relativement problématique par rapport à ça. C'est-à-dire, autant le catalogue papier, la brochure, qui est disponible depuis un an, n'est pas un livre d'artiste, autant le catalogue sur disquette ne constitue pas une oeuvre interactive ou une oeuvre hypermédia. Pour nous, il s'agit d'un outil pour exploiter quelque chose qui avait ses potentialités à l'intérieur de l'Index: cette navigation de type hypertextuel qui n'était absolument pas praticable dans la version papier, tandis que là, il suffit d'un "clic" pour que s'affiche la référence qui a été proposée par chaque auteur.

Le deuxième point sur lequel on voulait intervenir est évidemment celui de la question qui était posée à propos de la table ronde de ce soir, c'est-à-dire la question de l'exposition. En fait la première remarque par rapport à ça, c'est celle qu'on a mise dans les quelques lignes qui sont lisibles sur le serveur Internet d'Artifices 4. C'est une interrogation par rapport à la question posée elle-même. En fait, pour les personnes qui étaient là la semaine dernière, il s'est effectivement avéré qu'il y avait autant de manières de comprendre le sujet ou le thème de la table ronde (Frontières de l'art et du social) que d'intervenants présentés.

Par rapport à la question de l'exposition, sur comment les nouveaux médias remettent en cause l'exposition on a vu au moins trois manières de voir la question.
La première est, évidemment, comment les nouveaux médias peuvent-ils remettre au sens général, la notion d'exposition en cause? La deuxième concerne l'exposition qui comporte des oeuvres produites, ou ayant pour support, ou pour moyen, ou pour médium enfin toutes les terminologies sont possibles, ces nouveaux médias. Et la troisième est en fait la moins importante, celle des expositions strictement technologiques présentant des oeuvres, des expositions en réseau.
Ce qui me dérange un peu dans tout ce qui a été dit, c'est l'attachement à la terminologie d'oeuvre, d'exposition par rapport à ces nouveaux médias. Je ne suis pas sûr qu'elle soit la plus appropriée pour rendre compte de tout cela. La réaction qu'on a eue par rapport à cette possible remise en cause de l'exposition par les nouvelles technologies a été une réaction assez pragmatique, une réaction de l'observation simplement de ce qui se passe dans le milieu de l'art ces dernières années. Les nouvelles technologies remettraient-elles en cause la notion même d'exposition? Les théories qui l'affirment, se réfèrent, pour la plupart, à une notion d'exposition qui est elle-même un peu figée, voire même un peu datée.

L'exposition, avant même l'importance ou le prégnance que prennent actuellement les nouvelles technologies, a connu des évolutions, des remises en question et particulièrement depuis une dizaine d'années. Les nouveaux modèles d'expositions qui sont apparus ces dix dernières années ont pu prendre le nom d'expositions paradoxales, d'hyperexposition. Le modèle qui semble avoir le plus remis en cause la notion d'exposition classique, c'est-à-dire soit l'exposition monographique, soit l'exposition thématique par médium, c'est avant tout la télévision, comme l'exposition L'Hiver de l'amour, les expositions faites par Éric Troncy.

On a beaucoup parlé d'exposition comme zapping, comme plateau de télé. On a vraiment l'impression que l'exposition, si elle semble être davantage remise en cause par le modèle de la télévision que par celui des réseaux, du virtuel, de l'image de synthèse, cela tient tout simplement à ce que 99% des foyers français ont la télévision. Je ne sais pas quel est le pourcentage de foyers français qui ont une connexion Internet, mais ça doit être relativement très faible. Ce qui est apte à remettre en cause vraiment la question de l'exposition, plus que le travail ou la pratique de chaque artiste, c'est un modèle qui régit davantage notre vie de tous les jours, notre manière d'appréhender tout ce qui nous entoure, y compris l'art. La télévision a beaucoup plus influencé notre comportement général et donc notre rapport à l'art que les nouveaux médias. Les nouveaux médias auront une importance, ils en ont déjà une, ils annoncent déjà qu'ils vont en avoir une mais le modèle qui existe et qui est le plus à l'oeuvre, j'ai l'impression, à propos de la notion de l'exposition dans l'art contemporain c'est celui de la télévision.


Jérôme Glicenstein:

Simon Lamunière qui va nous parler d'un dispositif encore traditionnel puisqu'il s'agit de la Documenta. Par contre, ce qu'il propose est beaucoup plus d'actualité puisqu'il s'agit de mettre en chantier ou d'installer, de prévoir un site Internet avant et pendant la manifestation elle-même.


Simon Lamunière:

Avant de commencer à parler du site de la documenta X que je suis en train de concevoir, je voudrais brièvement parler de ses origines. Il émane de deux expositions qui s'appelaient Version 1.0 et Version 2.2 qui ont eu lieu à Saint-Gervais à Genève. Deux expositions que j'ai organisées et qui réunissaient des artistes qui travaillaient de près ou de loin avec l'informatique. On a beaucoup parlé de nouveaux médias, ici je parlerai d'un décalage qui s'est fait lorsqu'il y a eu l'arrivée de l'informatique. Ce qui m'apparaît comme relevant de cette dernière décennie, c'est l'arrivée d'un outil qui permet à l'aide de stockage mémoire, de puissance de calculs, de gestion d'informations ou de base de données, un rapport en tout cas à l'histoire, au temps, à l'image très très différent. De même ces rapports qui peuvent renvoyer à la question de classification telle qu'évoquée au cours d'Artifices 3, ou la notion, disons, d'une totalisation, d'un regroupement d'informations tels qu'ils peuvent apparaître dans des bases de données. Je pense notamment au travail de Claude Gaçon qui avait été présenté à Version 1.0 et ici il y a deux ans. Il travaillait sur la notion de base de données: comment définir une boule, une sphère, une balle, une bille. À partir de quand est-ce qu'un objet rond est une sphère? À partir de quand, un cube taillé devient une sphère? Et tout cela avait été entrepris sur une énorme base de données de Claude Gaçon pour devenir une sorte de parodie du fichier par excellence. Car l'informatique voudrait tout ordonner, tout classer et permettre de mettre enfin de l'ordre sur un bureau, de gagner du temps, de gagner en pensée et en force.

Maintenant on ne parle plus du tout des compétences de l'informatique pour elle-même mais de son rapport à la communication, au fait que tout le monde peut s'en servir. En tout cas le débat s'élargit et on oublie, enfin à mon sens, on oublie un peu des critères assez importants relatifs à cette machine par laquelle toute cette information passe. Et cette machine a différentes couches sur lesquelles ou par lesquelles on peut intervenir. De la surface de l'écran à la source de l'information, tel était le fil conducteur des pièces de l'exposition Version 2.2. Et c'est ce rapport que je souhaite étendre au site web de la documenta X. L'arrivée de l'informatique a changé notre rapport au monde: Que ce rapport soit classificatoire en puissance par la technologie, qu'il donne le sentiment d'infini par les relations et les réseaux tissés, qu'il soit perturbé par une virtualisation du sujet. Comment les artistes arrivent-ils à se servir de ça aujourd'hui? Comment perçoivent-ils ces grands changements? C'est ce qui m'a intéressé dans ces deux expositions. Et ce qui m'intéressera dans les expositions à venir dans le domaine.

Je crois qu'une grande exposition comme Les Immatériaux avait révélé à quel point les seuls spectateurs qui maîtrisaient de part en part les différents éléments de l'exposition, était ceux qui comprenaient quelque chose à l'informatique. Parce qu'il y avait beaucoup de pièces qui étaient absconses et qui ne permettaient pas un accès direct (sans machine). Et là je dirais que c'est en ça, qu'on a réellement à faire à une technologie puissante parce que ce qu'elle véhicule est au deuxième plan, comme derrière la machine. Même-moi, en ce moment, je suis en train de parler plus de la machine elle-même que des oeuvres elles-mêmes. Ce sentiment-là apparaît dans quantité d'oeuvres et dont peut-être Le Veau d'Or (The Golden Calf), qui est ici à l'entrée de l'exposition témoigne fortement. Cette croyance que les technologies maîtrisent tout et nous font voir un aspect des choses très séduisant, bien enrobé et qui a l'air d'être vrai alors que ce qu'on a dans les mains c'est avant tout, un écran et un écran de la plus haute technologie actuelle. Peut-être est-on fasciné par l'image et le décalage qui existe mais toujours est-il que ce qui nous permet cela, c'est la machine. La machine comme interface principal.

Pour revenir à l'exposition dont nous parlons ici, la dixième documenta, et l'enjeu qui va se présenter puisqu'Internet n'existait pas il y a cinq ans. Cette exposition qui se voulait jusqu'à présent révélatrice d'un certain nombre de tendances, devient aujourd'hui sous la direction de Catherine David, une manifestation culturelle au sens large. Elle rassemble un certain nombre de pôles qui ne sont pas exclusivement artistiques, et révèle les phénomènes de mondialisation du fait que les différentes informations circulent d'un endroit à l'autre, du fait aussi que les différentes identités culturelles ne priment pas forcément toujours dans le même champ. Que si les philosophes palestiniens sont plus connus que les peintres palestiniens ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard et peut-être que si Internet fait pour l'instant la place belle à des artistes américains, cela commence maintenant aussi en Europe et au Japon. De même le site va permettre de mettre en rapport différents types d'attitudes grâce à ce nouveau moyen.

Le grand enjeu de ce site sera d'avoir de véritables projets d'artistes, d'auteurs ou de groupes, plutôt que de contenir de l'information sur les gens ou l'expo. Ainsi son principe consistera à entremêler un certain nombre de regards et d'attitudes, qui iront de la philosophie aux écrivains qui iront des plasticiens au cinéastes, qui iront d'architectes à des urbanistes. Le tout afin de constituer une sorte de constellation de sens autour de la mondialisation, vu au travers de réseaux. L'exposition même, vous le savez sans doute, réunit un grand nombre d'artistes et aura plusieurs volets intégrés au concept général mais autonomes dans leurs moyens: le site www.documenta.de en sera un, ainsi que le livre qui réunira un certain nombre de textes et projets d'auteurs (qui ne seront d'ailleurs pas forcément invités à l'exposition). De même qu'il y aura 100 conférences données par des médiateurs culturels. C'est avant tout la retranscription de cet esprit de confrontations différenciées qui va trouver une certaine (dé)localisation au niveau du site web. Le site de la documenta lui va réunir environ une dizaine d'artistes mais aussi des textes d'auteurs, des forums de discussion. Et c'est la mise en rapport entre ces différentes pièces, thèmes, sujets entre les artistes et les auteurs qui constituera ma proposition, ma conception du site. Et en ça, je pense que le site de la documenta sera très très différent et non pas du tout un miroir de l'exposition.

Je ne pense pas que les gens qui auront visité le site seront des visiteurs type de la documenta X. Vous ne verrez pas du tout la même chose, l'intérêt réside là justement dans le fait que l'informatique, la communication et Internet sont des médiums très particuliers qui offrent un rapport aux choses très différencié. Je pense particulièrement au travail de Holger Frieze, c'est un grand écran bleu c'est un site qui se trouve en Autriche. C'est une grande page bleue qui est beaucoup plus grande en fait que l'écran dont vous disposez chez vous ou même que ceux-ci. Mais vous serez obligé grâce aux "ascenseurs" latéraux de vous déplacer très largement et tout à coup vous prenez conscience de votre écran, de votre ici et maintenant en tant que spectateur lointain. C'est peut-être un travail extrêmement simple qui trouvera sa contrepartie dans le travail complexe de Felix S.Huber et Philip Pocock qui sont partis très loin au Canada, qui sont des artistes avec lesquelles on pouvait correspondre pendant leur voyage et qui eux-mêmes rencontraient des gens sur place loin de tout et nous envoyaient leurs impressions du cercle polaire.

Dans ces deux projets très différents, ce sont comme des couches qui apparaissent: entre la surface de l'écran de votre ordinateur et une activité qui se déroule dans un espace physique éloigné (et abstrait). Et cette confrontation-là cet enjeu entre ces différents territoires entre les différents lieux où les activités se produisent sera la thématique essentielle du site. C'est pour cela, que tout en en possédant l'esprit, il sera très très différent de l'exposition de la documenta. Cela ne m'intéresse pas du tout de travailler dans un rapport documentaire à l'exposition, d'avoir des oeuvres secondaires telles que des photos scannées et des biographies, mais bien plus de travailler dans l'espaces même du net. Je ne veux pas d'un site tel qu'on a pu les voir dans de grandes expositions telles que Manifesta ou Now Here où les sites web sont des catalogues documentaires de seconde main. Ça ne m'intéresse pas tellement parce que le net a cette possibilité de transmettre un travail en tant que tel, c'est une oeuvre en tant que telle ou c'est un texte en tant que tel qui peut exister par ce moyen-là. Et parce qu'il existe par ce moyen-là parce que la machine transmet, parce que vous avez conscience que c'est une machine qui vous transmet ce texte de loin ou cette image de loin. Tout d'un coup se crée un rapport très strictement personnel à votre réalité, à la réalité qui existe, à votre doigt qui clique. Peut-être que c'est ça un des enjeux d'une manifestation culturelle qui a la volonté de faire prendre conscience de cette mondialisation, du fait que vous êtes loin des choses mais vous êtes très proche. En ça c'est un phénomène plus proche de celui de la mondialisation que d'une globalisation. Il s'agit plus de l'accès à un certain nombre de choses propres, que de la généralisation de choses ordinaires.


Débat:


Christophe Durand-Ruel:

J'aurai juste une petite question à poser à Georges Rey par rapport à son exposition ou à sa manifestation si l'on ne peut pas utiliser le mot d'exposition. C'était de savoir pour comptabiliser si on peut dire, le succès de la manifestation, est-ce que vous allez comptabiliser le nombre de connections sur un site Internet ou le nombre d'entrées dans votre exposition?


Georges Rey:

J'ai bien expliqué que j'ai appelé cela exposition de musée. Sur Internet, quand vous voyez une oeuvre, celle du Japonais dont je parlais, c'est une perle bien sûr, mais elle est dans le vide, alors que moi j'aimerai en savoir plus. Avec notre exposition, le public et les critiques ont la possibilité de se renseigner sur les artistes et sur les oeuvres. Lle vernissage n'aura pas seulement lieu au musée mais dans d'autres lieux. On pense à la communauté francophone, peut-être y aura-til une sorte d'envahissement de cette exposition dans la francophonie, mais elle s'adresse aussi à tous ceux qui ont un ordinateur et un accès sur internet. En même temps elle sera visible dans certains lieux publics.


Christophe Durand-Ruel:

Dans le prolongement de cette première remarque à laquelle vous avez très bien répondu. Est-ce que vous prévoyez, puisque c'était une des grandes caractéristiques d'Internet, un système interactif avec la possibilité pour des gens qui sont en dehors du lieu, donc n'importe où dans le monde, de pouvoir converser avec des personnes en charge ou susceptibles d'expliquer un petit peu la manifestation?



Georges Rey:


On pense le faire dans un premier temps, dans le temps de préparation. Par la suite, on peut proposer le dialogue. Je crois que faire une exposition, c'est faire se rencontrer des oeuvres avec un public et la dernière biennale de Lyon y est parvenue puisqu'elle a eu 140 000 visiteurs.


Jérôme Glicenstein:

Je voudrais poser une question à Jean-Louis Boissier: les précédentes éditions d'Artifices mettaient beaucoup plus en valeur l'espace; l'espace était utilisé, conditionné, de façon à accueillir des installations qui correspondaient à des sortes de projections dans le cas d'Artifices 3, et à des sortes de théâtres dans le cas d'Artifices 2, mais il y avait une part très importante accordée au dispositif même de l'architecture de l'exposition. Aujourd'hui, dans Artifices 4, hormis les deux installations de Jeffrey Shaw, la plupart des projets sont présentés d'une manière beaucoup plus simple, qui cherche à sortir de l'effet de mise en scène, l'effet extérieur au médium qu'a pu remarquer C. Durand-Ruel. Peut-être qu'ici, dans cette exposition, aujourd'hui, on est confronté véritablement à une suite, une confrontation, une succession de travaux qui sont moins que les fois précédentes, liés à un contexte et à un dispositif, très larges.


Jean-Louis Boissier:

Il est paradoxal de dire qu'il n'y a pas de mise en scène, alors que nous parlons ce soir sur une scène. Il n'y avait pas de scène jusqu'à présent dans Artifices. Une des réponses est là. Internet se consulte de chez soi, tout en sachant que chez soi, on n'a pas internet. En tous cas, les gens qui en parlent, en général, ne l'ont pas. Il fallait donner une dimension pédagogique à cette exposition dans cette salle qui est déjà une espèce d'église laïque. C'est une salle polyvalente construite au début du siècle qui avait une fonction démocratique. On peut l'utiliser pour faire quelque chose qui ressemble à une grande bibliothèque. L'après-midi, quand on est là devant les ordinateurs, c'est finalement assez confortable. Dans la première exposition Artifices, la scénographie était encore plus légère, c'était essentiellement des fils électriques. Ici, j'ai voulu qu'on allège le dispositif, parce qu'il était plus important de construire un espace de rencontres, sans parler de convivialité, il s'agit plutôt de compenser, d'une certaine façon, la manque que l'on a quand on est devant les écrans, mais c'est aussi le signe du fait que l'exposition doit changer. Elle est en train de changer, et on veut contribuer à la transformation du concept même d'exposition.

Quand on a fait l'exposition les Immatériaux, au centre Georges Pompidou, les choses étaient différentes, parce que c'était une exposition de philosophes. On s'était contenté d'illustrer les propos du philosophe. on avait des cases à remplir et y compris nous, les curators, ceux qui s'occupent des choses, commissaires, nous avons été amenés à fabriquer la plupart des oeuvres ou prétendues telles, propres à illustrer ce que Jean-François Lyotard voulait dire. On avait une grille. C'était une exposition de type nouveau, mais en même temps elle était très illustrative. Les oeuvres repérées et sorties des collections du musée par Bernard Blistène étaient là comme des images dans un livre. Ceci dit, c'était une exposition intéressante, qui était strictement illisible et surtout qui n'était pas artistique. Je crois que c'est ce qui m'a intéressé, même quand on les affirme péremptoirement comme étant sur le terrain de l'art contemporain, c'est que finalement il y a beaucoup de choses qui ne sont pas des oeuvres. Ce qui est intéressant, c'est ce doute sur ce qui est ou n'est pas une oeuvre. C'est peut-être là notre chance. Dans le premier Artifices, il y avait des choses qui n'étaient pas des oeuvres, mais des expériences technologiques. Quand on a fait la Revue Virtuelle, on ne s'est pas posé la question, d'ailleurs on n'avait pas le droit de se la poser, on n'avait pas le droit d'exposer de l'art, donc on a exposé que ce qui nous semblait intéressant pour une raison ou pour une autre.

Internet, c'est une espèce de rue, je ne reprends pas la métaphore du village global, c'est une espèce de rue dans laquelle il y a toutes sortes de choses, de la prostitution, des agents secrets, beaucoup plus attractifs que la plupart des oeuvres qui se présentent, ou alors ce sont les agents secrets qui font les oeuvres maintenant..

C'est le débat de la semaine, cette perméabilité des frontières ou cette confusion des frontières ordinairement attribuées à l'art et au social. Internet est un espace très social et essentiellement langagier. Donc on a du mal. Pour ce qui est de l'avenir d'Artifices, je le dis avec l'autorité que je peux avoir comme fondateur et commissaire de l'exposition, je ne sais pas ce que sera Artifices 5. D'abord, parce que c'est difficile de trouver un million et quelques tous les deux ans. La seule idée qui m'est venue, c'était de dire, on va délocaliser pour mieux relocaliser, c'est-à-dire c'est un lieu intéressant, les gens y viennent, mais dans un même temps on voudrait redonner l'impression du local, selon l'expression rousseauiste, l'impression que les gens soient quelque part, y compris devant leur ordinateur. Et là, je suis d'accord avec Georges Rey, lorsqu'il dit qu'il y a une forme de contemplation ou même d'imprégnation, on se noie dans l'écran, et c'est une forme à la fois nouvelle et ancienne de la réception artistique, redonner une certaine force à des lieux simultanément. Cela peut vouloir dire déménager d'ici ou être dans plusieurs lieux simultanément probablement. Si on me demandait ce qu'on va faire, parce qu'on est un collectif, pour parler d'Artifices, on aurait envie de faire ça: mais de façon à assurer de nouveau de manière plus forte dans des lieux particuliers. Je pense à la pièce qui a été montrée à Rotterdam et à Linz de Fujihata, qui est une espèce de mise en réseau de lieux réels, mais qui permettent à différents spectateurs de se rencontrer dans un espace virtuel. C'est une assez bonne image de l'exposition telle que je l'imaginerai maintenant.


Simon Lamunière:

Beaucoup de projets en informatique sont le résultat d'un travail de groupes, de collectifs, qui réunissent programmeurs, concepteurs, philosophes, plasticiens ou autres. Si on considère aussi l'exposition, la monstration d'un travail dépend dès sa conception du mode de présentation, que ce soit un CD-Rom, un site ou une installation, cela engendre un collectif de travail. La notion d'auteur devient fluctuante et renvoie à un mélange de protagonistes, d'acteurs qui fabriquent, qui interviennent à des titres très divers, mais où chacun intervient à un moment précis. Ce qu'il y a d'intéressant avec l'accès flou qu'offre Internet, c'est qu'on ne sait pas trop qui est derrière chaque projet et qui engendre quoi. En fin de compte, et c'est ce qui fait sa richesse, on prend les choses pour ce qu'elles sont et un travail vous intéresse ou pas, un texte a du contenu ou n'en a pas. On sanctionne sans les paratextes habituels qui feraient partie d'une connaissance historique ou artistique certaines et tout d'un coup on navigue à vue vers des choses qui nous intéressent à proprement parler. A propos de la présentation, on ne peut pas prédire ce qu'il adviendra.

Jean-Louis Boissier:

Il y a deux ans, dans le discours inaugural d'Artifices, on avait dit que la prochaine exposition se tiendrait dans le cyber espace. C'était une plaisanterie, mais Artifices 4 ne sacrifie pas à la mode, on n'est pas vraiment en retard, d'une certaine façon, on est en avance sur la création.


Simon Lamunière:


L'argent qui circule au niveau de l'achat et de la vente des oeuvres ne se situe peut-être pas tellement au niveau de l'achat ou de la vente, mais se situe plutôt au niveau de la production: qui finance les projets, puisque cela nécessite des programmeurs, une infrastructure? On se retrouve dans un rapport de type cinématographique: il faut financer le projet, le projet rapportera peut-être de l'argent? Mais il n'y a pas d'économie propre, beaucoup de gens la cherchent. Il faut trouver des personnes pour faire ça, on est actuellement dans cette phase.



Jean-Louis Boissier:

Peut-être que paradoxalement, cette réinclusion de l'art dans le capitalisme est un signe de la vitalité de l'art?


Question du public: Peut-on avoir l'espoir que Jean-Louis Boissier devienne un provider, et monsieur Durand-Ruel un directeur de programme de télévision, ou bien restent-ils vraiment accrochés à leurs expositions?



Durand-Ruel:

En ce qui me concerne, directeur de chaîne de télé, certainement pas, je ne crois pas que la télévision soit véritablement un aboutissement. La télévision a été en fait complètement à côté de la création artistique et on voit très peu de création artistique à la télévision. On peut dire simplement que personne ne fait ce travail. Le problème est que la télévision ne s'y prête pas très bien. L'art contemporain est un tout petit milieu et les enjeux, notamment financiers de la télévision font que, et dieu sait si on se bat nous-mêmes pour essayer d'avoir un peu plus, ne serait-ce que des discussions autour de l'art à la télé, on n'y arrive pas parce que cela ne concerne que peu de gens. C'est un peu le chat qui se mord la queue parce que pour arriver à contacter, à avoir accès à la télévision, dans la mesure où il y a très peu de gens intéressés, la télé ne veut pas entendre parler de nous. On a du mal à sortir de ce petit cercle. L'émergence de médiums comme la vidéo ou Internet, est plus adaptée à une projection à la télé ou à la télé telle qu'elle le deviendra, puisqu'on sait que la télé va changer avec Internet. Il est annoncé qu'Internet et la télé ne feront plus qu'un. Peut-être qu'à ce moment-là, on verra de l'art à travers cette vidéo-télévision-Internet. A ce moment-là des gens comme moi auront une place à prendre dans ces nouveaux médias.


Public:

Mon souci, c'est de savoir à quel moment, les gens qui se font le relais entre les artistes et le public vont prendre les places et les moyens de ces supports envisagés. Je verrais assez mal un provider poser des questions de galeries, d'art contemporain, et je suis assez souriant quand j'entends un galeriste ou un artistcontemporaintiste ne pas savoir prendre la place d'un provider. A un moment donné, s'il y a un art qui doit être virtuel, sur internet, c'est avec des providers qu'il faut le faire, pas avec des galeristes, des critiques.


Jean-Louis Boissier:

Artifices 4 bénéficie du soutien d'Imaginet. On a un provider comme sponsor et si provider veut dire fournisseur d'accès, nous sommes déjà fournisseur d'accès. C'est bel et bien une façon d'être aujourd'hui organisateur de manifestations artistiques que de réunir les moyens techniques pour que les accès internet aient lieu. Je crois qu'on peut répondre au présent. J'ai lu un éditorial signé par Rosalind Krauss dans la revue October, qui, au non du politically correct, s'étonnait, dénonçait le fait qu'aujourd'hui des expositions soient subventionnées par ceux qui avaient intérêt à ce que ces expositions aient lieu. Elle faisait allusion au fait que la Deutsche Telecom, une entreprise privée de télécommunication subventionnait l'exposition d'art des nouveaux médias du ZKM de Karlsruhe au musée Guggenheim, à New-York. Autrefois, les sponsors donnaient de l'argent pour que les organismes travaillent pour leur propre public. Maintenant, ils voudraient qu'ils fassent de la publicité. Ce même jour, je reçois le programme du festival d'automne à Paris où il est question de l'oeuvre de Bill Viola et je remarque qu'elle est financée par l'aumônerie de Durham. C'est dire qu'un art religieux, telle que l'est l'installation de Bill Viola est financée par l'Eglise. Donc, nous, nous sommes financés par les providers.


Simon Lamunière:

Je crois qu'au niveau du débat sur les providers: les premiers sites étaient gérés par des groupes d'artistes comme à Thing et ädaweb. Ces sites et ces serveurs ont mangé leurs auteurs. Ils se sont tellement investis dans le rôle de provider, qu'ils sont plus en train de rendre service à tous les autres artistes dont ils développent les projets. On se trouve dans une attitude telle que celle de Paul Garrin de vouloir devenir indépendant, s'affranchir du net et de tout ce qu'il implique dans ses rapports avec les providers, de rapports avec le Pentagone qui était l'initiateur d'Arpanet, pour pervertir le système de nomination actuel qui existe avec .fr .ch .com ou .org. afin d'arriver à une dénomination de type "namespace", (p.ex. http://simon.lamunière). Cela tient simplement au fait qu'il y a des personnes qui pensent en termes de pouvoir. Si l'on peut voir ici la conscience politique typique de Paul Garrin, comme étant la bonne conscience à tous, je trouve toutefois qu'il s'égare un peu dans cette guerre. Comme certains artistes ont essayé de faire à la télévision, cela me semble des débats vains. Il y a des lieux d'exposition d'art contemporain, il y a des gens dans les musées qui sont prêts à montrer des choses sur Internet, c'est important qu'ils le fassent. Mais je ne crois pas que les activités doivent se transformer radicalement, mais plutôt qu'il faut intégrer ces nouveaux paramètres. Les galeristes qui s'intéressent à la vidéo, à Internet restent néanmoins des galeristes.


Durand-Ruel:

Nous avons eu l'occasion de montrer le travail de Jordan Crandall. Il travaille sous le nom de X-art foundation, qui va être montrée à la Documenta X. Il m'avouait que pour arriver à vivre, il est obligé de vendre des petites sculptures, ersatz de son travail sur Internet. Ersatz n'est pas le mot exact, parce qu'en fait ces sculptures précédaient le travail sur le net, mais il est obligé de continuer à faire ces choses-là, qui ont moins de signification aujourd'hui qu'elles n'en avaient antérieurement, parce qu'Internet ne lui donne pas la possibilité d'avoir des revenus. Je dois dire qu'il n'y a pas de possibilité, en dehors de la présence de certains sponsors, de pouvoir faire quelque chose sur Internet, pour l'instant.


Emmanuel Lagarrigue:

Je voudrais apporter une précision à propos de l'importance de la télévision aujourd'hui. Je ne parlais pas des interventions des artistes contemporains à la télévision, qui dans leur grande majorité sont assez décevantes, mais du fonctionnement de la télévision, de ce qu'elle met en oeuvre dans son fonctionnement particulier qui a apporté des bouleversements dans le milieu de l'art contemporain. De la même manière, par rapport aux nouveaux médias, je pense aussi qu'ils apporteront quelque chose, mais qu'il n'est pas nécessaire de réduire la discussion à l'art qui se réaliserait sur ordinateur.