| Artifices 2 | 6 novembre-3 décembre 1992 |
| Technique | Projet | Réponses | Biographie | Le Théâtre des automates hybrides est un projet en évolution comportant un ensemble d'outils électroniques « intelligents ». C'est une construction utilisant une machine à explorer l'espace qui comprend une configuration de capteurs physiques connectés entre eux par un protocole de communication. En son centre se tient une tête universelle qui porte une caméra vidéo, une paire d'émetteurs-récepteurs à infrarouge placés en vis-à-vis, reliés à un instrument de musique appelé Lightning, des repères de calibrage de position, et des commandes de mouvement-contrôlé (motion control). La tête RPT (rotate, pan, tilt) permettant trois axes de rotation, vertical, latéral et longitudinal, est construite pour « regarder » tout autour d'elle dans un champ orbital illimité. Les deux principales opérations simultanées relatives à l'espace sont : le mode « pointeur » dans lequel l'ordinateur indique les localisations prédéterminées selon un programme, et le mode « localisateur » dans lequel les capteurs balaient aléatoirement les zones d'espace repérées, en en renvoyant les coordonnées. Comme les infrarouges, les émetteurs du Lightning tournent à travers l'espace, passant d'une zone repérée à l'autre, leurs coordonnées étant continuellement transmises aux récepteurs. Ces récepteurs relèvent les positions des émetteurs et un échantillonneur est asservi sur le mode MIDI à retrouver les mots spécifiques et les sons en mémoire, à la façon d'une technique de recherche visuelle d'informations mémorisées. De façon explicite ici, une matrice invisible d'espace est devenue un « clavier » virtuel pour les instruments. L'ordinateur contient un programme à interface MIDI qui établit un lien avec tout l'environnement, transmettant les réponses émanant des capteurs et gérant tous les autres organes de la machine. Connectée à l'ordinateur, une « boîte parlante » est capable d'écouter, de répondre oralement et d'obéir à un ensemble de commandes verbales acquises. Par ailleurs, piloté par l'ordinateur, un lecteur de vidéodisque, permet un accès immédiat aux images, selon ses modalités de lecture variables. Accessoirement, l'ordinateur contrôle le dispositif de lumières et, comme il est dit plus haut, la participation de la tête-robot RPT. Les images vidéo provenant de la caméra et du vidéodisque apparaissent en projection. Cette installation est inscrite dans une structure cubique de 3 mètres de côté en tube d'aluminium, qui porte les écrans, les cibles de calibrage, des lumières et six haut-parleurs, les divers composants du spectacle machinique. Cette version particulière du Théâtre des automates hybrides est un système fermé sur lui-même, autorégulé, qui s'observe de l'extérieur. Il n'est pas conditionné par la présence du spectateur. Il est pleinement interactif avec lui-même. | Technique | Projet | Réponses | Biographie | Le concept fondamental est ici la présence physique de la « scène » confrontée à une représentation abstraite dans la mémoire de l'ordinateur. Mon projet n'est pas seulement de modeler virtuellement ce nouvel espace mais de le présenter physiquement, de créer un modèle qui mêle présence physique et spectacle virtuel. L'unification de ce double modèle est réalisée par un procédé de calibrage spatial dans lequel un système de coordonnées externes fusionne avec les capacités d'orientation internes du dispositif. Dans l'ordinateur, une zone sphérique virtuelle réagit aux mouvements de la « tête » de la caméra. Ma méthode d'appréhension de l'espace est donc d'explorer cette double représentation, réelle et virtuelle. Dans un premier rituel, qui est la procédure de calibrage spatial, la caméra balaie l'espace pour se situer elle-même en regardant les six cibles placées au nord et au sud, à l'est et à l'ouest, en haut et en bas. Pour que la mémoire de la machine travaille, et pour que la machine sache où regarder, elle doit d'abord s'orienter elle-même. La tête porte trois capteurs propres à régler sa position, à l'initialiser dans un vocabulaire de commande naturel. Ainsi « home » renvoie la tête dans sa position de repos. Quand la tête est alignée avec les cibles, la machine commence alors à se connaître, à gagner une sorte de conscience d'elle-même. Si elle dit « je regarde à l'est », elle doit vraiment regarder à l'est. Bien sûr, ce rituel particulier ne peut pas produire un système narratif complexe, mais, pris dans sa globalité, il peut être hautement narratif. Un trait particulier de mon théâtre est sa complète interactivité interne. Chaque partie peut à tout instant agir sur n'importe quelle autre partie. Un simple geste dans l'espace peut influencer tous les autres éléments. Ce théâtre écrit son propre drame en même temps qu'il le joue. Ici, la présence humaine, l'observation et la participation sont facultatives. Le Théâtre des automates hybrides est une tentative d'étendre une série de dispositifs syntaxiques opérant dans un espace dramatique avec les instruments des nouveaux médias. Il relève d'une longue tradition d'expériences dramaturgiques et spatiales et prête attention au dispositif scénique primitif. Cependant, dans mon concept de théâtre-automate, sont également pris en compte les genres narratifs du photogramme, comme le film ou la vidéo, où le récit est mené à travers une image confinée dans un cadre. Le théâtre, les médias et le film ont développé une syntaxe dramatique de l'espace, un système narratif fondé sur l'articulation d'un plan à un autre. J'essaie de comprendre comment ces règles dramatiques pourraient être développées et quelles règles pourraient découler d'un espace fondé sur le numérique. J'ai construit cette machine pour découvrir s'il y avait un noyau de règles d'interaction propres à redéfinir les fonctions dramatiques de l'espace, dans la perspective de la présence humaine. La « réalité virtuelle », où le participant est pris à l'intérieur de l'espace de la mémoire de l'ordinateur, diffère de ce que je fais. Elle contrôle l'espace virtuel mais moi j'essaie de contrôler l'espace réel. Mon travail suggère un espace virtuel mais il est plus théâtral, c'est un essai de redéfinition de l'espace dramatique. J'ai l'espoir que mon théâtre produise une critique du psychologique au cinéma ou au théâtre. Traditionnellement, le drame comme genre traite des relations entre les gens, il s'appuie sur la psychologie. Je souhaite trouver quelque chose qui fasse appel à la perception, mais sous un angle différent. La vision d'un rituel technologique, comme celui du calibrage d'un instrument dans l'espace, n'a aucun rapport avec les états psychologiques et les situations affectives, ni avec les relations émotionnelles entre protagonistes, mais elle représente un certain ordre, un certain modèle. Bien sûr, le système humain est le système de contrôle le plus élaboré. Ses codes de communication sont si complexes et si raffinés, si élégamment et divinement effectués, que nous pouvons nous référer sans équivoque à un système aussi parfait. Mais c'est un système clos, dont le succès est mesuré seulement à l'échelle la plus familière. Nous rêvons de règles plus surprenantes, de genres plus abstraits, plus ouverts, de principes de représentation venant d'au-delà de notre expérience psychologique limitée. En fait, je ne tente pas de dépsychologiser l'espace dramatique traditionnel. Je m'intéresse à la création de modèles pour des états de conscience alternatifs. Woody Vasulka, 1992. | Technique | Projet | Réponses | Biographie | 1. Les nouvelles technologies dans l'oeuvre. Aujourd'hui les ordinateurs, les analyseurs commencent à acquérir de plus en plus d'autonomie pour tracer un programme, sonder, diriger. La manière dont ces analyseurs décentralisés informent les autres parties du système suit de plus en plus des modèles organiques. Cette sorte de fonctionnement systémique mène à des performances proches de celles de l'homme et commence à concurrencer notre perception ordinaire. Ces technologies indiquent certains schémas de comportement que nous choisissons d'interpréter d'une façon esthétique ou psychologique. 2. L'esthétique spécifique des nouvelles technologies. Le seul résultat évident et indiscutable de ces nouvelles technologies semble être la caractéristique des machines à être capable de fournir un enchaînement infini de variations. En musique, nous savons ce que sont les variations. Elles sont utilisées, dans toute une série de formes artistiques, pour explorer un schéma particulier. C'est l'aspect le plus captivant, mais aussi le plus paralysant du travail avec les nouvelles technologies. On peut certainement être prisonnier de ces nouvelles variations parce qu'elles accaparent notre attention dans la création. L'apprentissage semble la partie la plus intensive, peut-être historiquement la plus importante, du processus. Ce dont nous faisons l'expérience avec les nouvelles technologies est plus proche de l'apprentissage que de la production. 3. Le réel saisi par les machines. Il est difficile d'expliquer pourquoi on choisit une méthode de création non traditionnelle. Je dirai qu'il existe un système de muses et que les muses allouent des tâches aux travailleurs, et que ces travailleurs, les artistes, travaillent pour les muses qui, elles, ont peut-être une petite idée de ce dont il s'agit. Les muses vous assignent une fonction - dans mon cas l'usage de la technologie - et vous dressent à cette tâche depuis votre enfance. Finalement, contre votre volonté, vous entrez dans une corporation métaphysique quelconque. Les ordinateurs sont arrivés pour nous poser beaucoup de questions. Pour moi, la question a trait à l'espace. L'espace d'où viendront les extra-terrestres, l'espace polytopique multidirectionnel et non centré ? Sommes-nous libérés des limites de la Renaissance ? L'ordinateur est-il le lieu d'une redéfinition de l'espace ? Il n'a pas de qualités spatiales en dehors de celles qui lui sont assignées. Qu'est-ce que l'espace ? La question doit être posée de nouveau. Ce que j'aime dans le cinéma, c'est que l'espace y est fondamentalement fait de lumière et d'ombre, de façon très abstraite et puissante. Mais toute mon éducation a été conditionnée par la méfiance à l'égard de l'objet, produit unique et propriété tangible. Je ne peux pas surmonter mon parti pris contre l'art comme marchandise. J'ai fini par décrire mon travail comme une philosophie pratique, comme une forme de jeu où une expérience suit l'autre sans être arrêtée ni enregistrée. J'estime être prisonnier d'un processus qui prend des proportions éthiques - il doit y avoir une étiquette péjorative pour cela. Je suis né dans un monde de mobilité. Les livres, le cinéma, les médias, j'aime les choses que l'on peut reproduire, représenter. La manière dont les ordinateurs représentent le monde par un code me plaît. J'aime l'éphémère, l'immatériel. J'ai une sorte d'incrédulité naturelle à l'égard de la réalité. Je pense que le théâtre pourrait être immatériel, avec une espèce de présence physique des éléments dramatiques. Maintenant j'essaie de travailler à cela, d'inventer une sorte de scène. Jusqu'à présent mon théâtre se regarde lui-même, mais j'ai le projet d'y inclure des êtres humains, de créer des costumes avec un système de détection des mouvements, des gestes et des tensions du corps, d'imaginer un acteur qui alimenterait un système capable d'enregistrer et de restituer immédiatement l'action. Nous avons appris du vidéodisque qu'entre chaque image, qu'entre chaque geste, il y avait une micro-structure dramatique qui pourrait être développée plus profondément. 4. Les nouvelles technologies dans la relation du public à l'oeuvre. La technologie nouvelle offre tout un jeu de décisions au lecteur, auditeur ou spectateur. Un film est totalitaire, vous ne pouvez le voir que de la manière prescrite par l'auteur. Un livre est plus souple, vous pouvez vous arrêter et relire. La musique est déterminée par la notation, mais il y a une certaine variation dans l'interprétation, il y a place pour une interaction. Les nouvelles technologies nous donnent vraiment un choix. L'espace se crée pendant que le spectateur trouve un chemin syntaxique pour l'explorer. Les jeux vidéo permettent certaines options, des portes ou des sentiers multiples. Le nouvel espace numérique, parfaitement construit avec tous les éléments narratifs, offre un voyage personnalisé. Cependant, la détermination par l'artiste n'est-elle pas la chose la plus intéressante ? La plupart des expériences d'exploration interactives, les espaces et les concepts créés dans les nouvelles technologies sont tellement rudimentaires qu'ils ne supportent pas la comparaison avec la littérature. J'ai des doutes sérieux sur la négation du rôle de l'auteur. Je continue à m'intéresser à une pensée particulière à lire et à partager. Sans un spectateur intelligent, le nouveau travail ne pourra jamais être intelligible. Voilà le dilemme. Lorsque qu'un chef d'orchestre agite sa baguette d'un mouvement léger, dans une certaine direction, tout un ensemble de gens interprètent ce mouvement avec une telle minutie que le résultat est stupéfiant. L'articulation des nouveaux outils n'est pas aussi fluide. La technologie fait habituellement bande à part. On est enclin à la retenir et à la clouer sur place, mais elle change continuellement, elle est dynamique. Ses règles du jeu sont presque impossibles à trouver. Ses modalités de présentation sont trop éphémères, trop frustes. L'apparition de tout nouveau médium donne le pouvoir à l'artiste de tendre une embuscade au spectateur qui, dépouillé de sa dignité, en réclame les lois éthiques. C'est la question que l'artiste déteste le plus. | Technique | Projet | Réponses | Biographie | Woody Vasulka est né à Brno, Tchécoslovaquie, en 1937. Il étudie à l'École d'ingénierie industrielle. Plus tard, à l'Académie des arts du spectacle (cinéma et télévision) de Prague, il réalise de petits films. Il émigre aux États-Unis en 1965. À New York, il travaille comme cinéaste indépendant et il expérimente les sons électroniques et les lumières stroboscopiques. En 1974, il devient professeur au Centre d'étude des médias de l'Université de l'état de New York, à Buffalo. Il commence des recherches en informatique et construit The Image Articulator, un outil vidéo-numérique en temps réel. Avec sa femme Steina, il fonde à New York le théâtre des médias The Kitchen. Woody Vasulka a participé aux principales expositions mondiales d'art vidéo, a donné des conférences et publié des articles, a composé de la musique et fait de nombreuses vidéos. Depuis 1980 il vit à Santa Fe, Nouveau Mexique, où il a r |