| Artifices 2 | 6 novembre-3 décembre 1992 |
| Technique | Projet | Réponses | Biographie | Five into one est l'une des premières oeuvres en « réalité virtuelle ». Le principe en est de construire une image tridimensionnelle globale, virtuelle, c'est-à-dire exclusivement calculée et mise en mémoire dans un ordinateur. L'accès à un tel « monde » est fondamentalement interactif, c'est-à-dire que sa visualisation est constamment calculée, en temps réel, en fonction du point de vue choisi. Ce point de vue est déterminé à la fois à partir de la position de la tête de l'utilisateur, repérée par des capteurs magnétiques situés sur le casque de vision, et par l'action d'un joystick. Les mouvements de la tête se traduisent par des mouvements panoramiques et ceux du joystick par des mouvements de travelling dans l'espace virtuel. La modélisation des images de synthèse a été réalisée par le Département d'imagerie numérique du C.N.B.D.I. d'Angoulême (Pierre Lère, Christophe Lefébure), selon les indications de Matt Mullican. Le logiciel utilisé était Explore de T.D.I., implémenté sur une station Silicon Graphics Iris 4D/25. Afin de permettre la visualisation interactive, le nombre des polygones constitutifs de chaque vue a été limité à 10 000 et le nombre des couleurs affichables à 16, sans aucune texture. Les cinq « mondes » ont ainsi été construits avec un ensemble de 250 images tridimensionnelles. La société Videosystem (Nicolas Boutherin, Hervé Tardiff) a optimisé cette base de données pour en permettre la gestion en temps réel et a paramétré les interactions pour les interfaces, construite par la société V.P.L., casque de visualisation stéréoscopique Eyephones et joystick. L'enregistrement vidéo a été réalisé spécialement pour ARTIFICES 2 dans les studios de Videosystem à Paris, le 18 septembre 1992. Matt Mullican a conduit lui-même la visite interactive en la commentant en direct. | Technique | Projet | Réponses | Biographie | En 1991, dans le prolongement de ses expériences de projection mentale dans une image et de City Project, Matt Mullican répond à la proposition qui lui est faite en France de créer un environnement virtuel interactif. Les cinq niveaux symboliques d'interprétation, tels qu'ils s'identifiaient dans ses projets antérieurs et notamment dans sa « ville », se trouvent alors raccordés en un : Cinq en un. Selon les propos de Matt Mullican, il est possible d'identifier ainsi les cinq niveaux : | Technique | Projet | Réponses | Biographie | 1. Les nouvelles technologies dans l'oeuvre. Les nouvelles technologies sont pour moi, avant tout, un sujet. Initialement, les gens de Digital Productions sont venus me voir après une exposition à Los Angeles. C'était une très grosse compagnie avec un super calculateur et j'ai ainsi été amené à travailler avec John Whitney junior et Karl Sims. Parce que mes images étaient un paysage urbain, ils m'ont proposé d'en saisir les données pour entrer dans la ville comme nous le faisons maintenant avec Five into one. J'étais enthousiaste parce que j'étais très intéressé par cette idée même d'entrer dans l'image. Je n'avais jamais utilisé d'ordinateur avant cela. Au début des années soixante-dix, je me suis préoccupé des notions philosophiques de jeu avec l'image, de la restitution d'un paysage en deux dimensions et de l'entrée émotionnelle et subjective dans l'image. Je faisais cette expérience de rentrer dans l'image. Cela ne mettait en jeu aucun dispositif, à aucun niveau. C'était une chose d'ordre émotionnel, une espèce d'hypnose. En 1987, donc, j'étais absolument prêt à ça, même si je n'avais jamais essayé d'ordinateur. J'étais attiré par eux mais tout cela était loin de ma pensée. Maintenant j'enseigne à l'Institut des nouveaux médias de Francfort et tous les jeunes gens sont sur des ordinateurs Silicon Graphics alors que pour ma part je ne sais même pas entrer les données de mes « mondes ». Je suis une mauvaise dactylo. Mon intérêt n'est pas dans le hardware mais dans le software, dans le modèle. Dans la réalité virtuelle, les modèles n'ont pas d'existence matérielle, les modèles signifient sans matérialité, ils ont un sens dans la subjectivité. Ils ne remplacent pas le sujet, parce que le sujet est définitivement matériel, mais ils le représentent. Ainsi quand vous entrez dans le monde virtuel, c'est comme dans un monde mental. Ça ne l'est pas du tout en fait, mais on peut faire ce rapprochement. Tous les médiums sont différents, mais l'ordinateur n'est rien d'autre que le plus récent, même s'il semble plus différent. C'est une des raisons pour lesquelles il m'intéresse. Je suis réellement attaché à lui, c'est un matériel moderne, de l'époque post-moderne mais moderne quand même. Il a un avenir, il contient le futur, on est contraint à le considérer comme un outil moderne, parce que dans cinq ans il sera plus avancé, dans dix ans encore plus. Il est en croissance, et j'aime travailler avec un matériel moderne, de notre temps. 2. L'esthétique spécifique des nouvelles technologies. Elles représentent de l'argent, une classe, c'est ce que vous voulez dire peut-être Je pense que tous les médiums propres à créer des images - et les nouvelles technologies sont un simple médium - ont une spécificité. Ils appellent tous un certain usage et à travers la relation qu'ils impliquent, ils détectent fondamentalement comment vous répondez, comment vous pensez, comment vous travaillez. La spécificité de l'instrument affecte l'usage que j'en fais, mais je ne pense pas qu'on puisse parler d'une esthétique spécifique. Je pense que l'esthétique est une idée plus abstraite, que nous avons affaire à une combinaison de l'ancien dans le nouveau. Je pense qu'une esthétique vraiment nouvelle peut naître cinq ou dix ans après la technique. Le médium vient d'abord, nous l'apprenons ensuite. C'est comme une croissance lente, elle ne survient pas immédiatement. La plupart des images et des animations sur ordinateur relèvent du dessin animé hollywoodien des années quarante ou cinquante. Pour un travail vraiment nouveau, il faut une idée nouvelle, une manière nouvelle de regarder. Le matériel et les logiciels sont nouveaux mais notre relation à eux est vieille. La nouvelle génération seulement, lentement, fera émerger, en son temps, une esthétique véritablement nouvelle. On ne peut pas la demander aujourd'hui. 3. Le réel saisi par les machines. Je parlerai plutôt de la façon dont mon travail affecte ma relation au monde réel. Quand nous regardons un objet, nous projetons des significations sur son image et nous attribuons à l'image une réalité physique. Mais dans le virtuel, les images ne sont pas physiques. Si vous êtes dans la réalité virtuelle, pendant six heures par exemple, et qu'ensuite vous marchez dehors, il y a une rupture. L'expérience de la réalité virtuelle crée une distance par rapport au monde réel. Elle impose un certain rythme, un retard de la perception et ce retard se répercute un moment dans le monde réel. Vous vous retrouvez comme au ralenti. Je distingue le monde, le monde médiatisé et ma relation au monde médiatisé ou bien le monde, les médias et moi. Le virtuel, c'est presque comme un deuxième monde. En le regardant, on se demande si cet espace virtuel existe véritablement, si cette vie artificielle peut vivre. On se dit que c'est un vrai espace parce que deux personnes peuvent y entrer ensemble, avoir un échange physique, mais c'est seulement par leur image. Mon échange avec ces images médiatiques est devenu très spécifique, il rétroagit avec le reste de mon travail. Dans cette relation, on parlera plutôt de l'absence du corps que de sa présence. J'aime que ce soit conflictuel. Pour entrer dans ce monde vous vous contorsionnez, vous rampez sur le sol, et vous êtes très conscient de votre corps. Il y a une sorte de dichotomie entre le sujet et l'objet : l'objet est votre corps et le sujet est ce que vous regardez. Cette tension existe dans tout mon travail. J'ai fait une pièce avec un homme mort, un cadavre. J'ai été très intéressé par la relation entre l'humanité et la laideur du cadavre. Je lui ai fermé les yeux, je lui ai crié dans les oreilles, je lui ai frappé les joues, et ainsi je lui ai redonné des sens. Ainsi on pouvait dire de lui : « il a l'air triste, pauvre, il semble avoir cinquante ou soixante ans »; ou bien on pouvait dire : « ça a l'air lugubre, hargneux, ça semble être en décomposition depuis six mois ». Et ainsi, entre le sujet et l'objet il y a un jeu de va-et-vient très rapide. Dans mon souvenir c'est pareil, le lui et le ça passent devant ou derrière, tout le temps. Cette tension entre les gens, entre les gens et les choses, c'est le trait essentiel quand on parle de cette distribution entre le sujet et l'objet. Tout ça pour répondre finalement à la question : où est le corps dans l'espace virtuel ? Quand vous portez le casque, vous regardez par terre, là où vos pieds devraient être, et il n'y a rien. Vous vous penchez et vous n'existez pas. Ce n'est pas un choc parce que vous le faites tout le temps. Par exemple quand nous regardons la télévision, nous sommes conditionnés à accepter l'absence du corps dans notre relation au monde. Je suis intéressé par ce retour du corps. 4. Les nouvelles technologies dans la relation du public à l'oeuvre. La plupart du temps ces technologies sont télévisuelles. L'ordinateur induit la relation que nous avons à lui, nous le regardons d'une certaine façon, avec certains repères. Il représente une fin. On aimerait voir l'ordinateur comme identifié à lui-même, comme n'importe quel médium, mais ce n'est pas vrai, c'est une icône de notre époque, de l'époque de l'information généralisée. Tout cela, ce monde fait d'information, s'infiltre dans votre travail lorsque vous travaillez avec un ordinateur. Je suis très conscient, ou en tout cas j'aimerais l'être, des conséquences du matériel sur mon travail. Les gens disent que la réalité virtuelle appartient au complexe militaire, ils pensent à la NASA, à des tas de choses, ils pensent que ça coûte des millions de dollars, ils pensent à Hollywood, à Star Wars, à Blade Runner, au point qu'ils viennent me voir pour me demander ce que je pense de Tron. J'ai détesté Tron. Je ne me suis pas intéressé à Tron. Mais mon travail représente Tron et tout ce matériel autour. On ne peut pas s'en débarrasser. Je m'intéresse à ce matériel, à cette utopie, parce que l'ordinateur est fondamentalement une chose morte. On va pouvoir faire des images très complexes, qui commencent à ressembler à des choses vivantes. Mais cela reste une chose morte. Les gens me demandent pourquoi il n'y a personne qui se promène dans ma ville. C'est parce que ma ville n'est qu'une carte, une carte comme ville. Lorsque j'ai fait une oeuvre avec de grandes bannières devant le musée, pourquoi ont-elles toutes été déchirées avec un rasoir ? Ces bannières figuraient ma notion subjective du monde; elles étaient rouges, noires et blanches, elles avaient un aspect fasciste; devant le musée d'art contemporain elles avaient une certaine identité culturelle, une identité de classe. Ainsi elles ne représentaient pas seulement moi, mais une classe et un niveau de richesse. Je ne peux jamais enlever ça de l'oeuvre. De la même façon, je ne peux pas enlever Star Wars de l'ordinateur. J'aimerais faire un travail avec le Game boy, parce que le Game boy est comme la boîte de Campbell Soup. Par les temps qui courent, vous devenez ce que vous représentez. Notre société est fondée sur l'image, vous êtes une image parmi des images. Propos recueillis par Jean-Louis Boissier et Vincent Faure,
| Technique | Projet | Réponses | Biographie | Matt Mullican est né à Santa Monica, Californie, en 1951. Il est diplômé du California Institute of the Arts, Valencia. Il vit à New York et en Europe. Au cours de son enfance, vivant à Rome avec sa famille, il est marqué par l'archéologie, la mythologie et l'idée de collection. Au début des années soixante-dix, il explore, à travers des performances corporelles improvisées en public, les statuts relatifs du sujet et de l'objet, de l'objet et de l'image, de la vie réelle et de la vie imaginaire : il entre par la pensée dans une gravure de Piranèse, décrivant le paysage caché derrière un arc de triomphe; devant la photographie d'une banale salle de séjour, il raconte son errance dans la maison entière; il interprète, sous hypnose, la vie d'une poupée. Fasciné par l'omniprésence des lumières et des signes dans l'environnement, il construit peu à peu un répertoire de pictogrammes propres à son univers personnel, très stylisés, froids, dans des couleurs primaires, proches des logos publicitaires. Il formalise ces signes dans des matériaux variés : bannières, vitraux, sculptures de béton, pierres gravées, imprimés. À partir du milieu des années quatre-vingts, il élabore un modèle cosmologique, un schéma de ville structuré en cinq niveaux, rendant compte de cinq modalités des relations entre lui-même et les choses. Le projet de ville prend la forme d'un environnement réel de grandes dimensions qui associe une construction géométrique parfaitement lisse et colorée à une quantité d'objets et d'images collectionnés et classés : City Project présenté au Musée d'art moderne de New York, à l'École régionale supérieure d'expression plastique de Tourcoing, au Centre d'art contemporain Le Magasin à Grenoble, au Portikus à Francfort, 1989-1990. Parallèlement, il fait réaliser sa « ville » en image de synthèse, d'abord aux États-Unis, par Optomistic en 1989, puis en France, à l'occasion d'une commande publique, par le Département d'imagerie numérique du Centre national de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême en 1991. Il en propose ainsi de grandes « vues » photographiques sur caissons lumineux, la visite sous forme de vidéodisque, puis la version interactive en « réalité virtuelle » présentée dans Les Arts étonnants, Le Fresnoy, 1991.
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