| Artifices 2 | 6 novembre-3 décembre 1992 |

 

ArtificesArt ? l'orninateur
|Piero Gilardi, Nord vs. Sud, 1992 :

      Oeuvre
      Nord versus Sud, 1992, création pour ARTIFICES 2, installation interactive avec plate-forme rotative, mousses de polyuréthane et de latex peintes, vérin électrique, ordinateur, interfaces, haut-parleurs, commutateurs, lumières.
      Réalisation : Christian Laroche (hardware), Vincent Faure, Elio Gilardi (software), David Cardona (équipement électronique), Tino Bettini, Dario Farinelli (structure mécanique), Rosalba Venniro (secrétariat de production).

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      La structure est constituée d'une plate-forme circulaire convexe de 3 mètres de diamètre et 65 cm de hauteur. Elle est recouverte de mousse peinte avec de légers reliefs représentant une planisphère. La plate-forme peut tourner sur elle-même à raison d'un tour par minute et s'incliner jusqu'à former un angle de 13 degrés avec l'horizontale. A l'arrêt, elle a une inclinaison moyenne. Elle comporte un moniteur sur lequel s'affichent la progression du temps de la performance et les données numériques concernant l'interaction avec le public. La plate-forme est placée dans une pièce cubique peinte en noir, délimitant un passage pour le public. Elle est éclairée par une lumière rouge et par trois spots bleus encastrés dans le socle. Pour déclencher la séquence, le public doit appuyer sur un interrupteur placé sous le moniteur. Cinq ou six personnes, en position allongée, accroupie ou à genoux, peuvent se tenir sur les six zones géographiques du Nord et du Sud. Signalés par des lumières clignotantes, six commutateurs permettent de choisir, pour chacun d'eux, parmi trois messages. Ces messages sont diffusés par des petits haut-parleurs placés sous la surface de mousse. Le choix fait par le visiteur correspond à un paramètre qui va modifier, dans un sens ou dans l'autre, l'inclinaison de la plate-forme et s'inscrire sur le moniteur. Dans le cas où l'interaction entre tous les paramètres aboutit à un complet rééquilibrage entre le Nord et le Sud, la plate-forme se met en position horizontale, concluant ainsi la performance avant la limite de temps prévu; cette conclusion est accompagnée d'un signal sonore. Si la condition d'équilibre n'est pas atteinte avant la fin du temps prévu, un autre signal sonore prévient de la fin de la séquence et de l'arrêt de la plate-forme. La performance est gérée par un programme sur ordinateur qui contrôle l'inclinaison de la plate-forme par l'intermédiaire d'un vérin électrique. La plate-forme s'anime pendant une séquence de 8 minutes et reste au repos 5 minutes.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      Cette oeuvre est née d'une longue période de gestation conceptuelle et linguistique commencée en 1991, tandis que j'achevais mon expérience des environnements naturalistes multimédias interactifs. J'avais déjà esquissé une série de projets informatiques interactifs à contenu politique, lorsque Jean-Louis Boissier me proposa de participer à la nouvelle édition de l'exposition Artifices, sur le thème de l'environnement. Je décidai alors d'étudier un projet centré sur les rapports entre le Nord et le Sud du monde, pour le créer à Saint-Denis. Je me suis appliqué à définir et à réaliser cette plate-forme basculante, en collaboration avec un groupe de travail nombreux et structuré. Nord versus Sud est essentiellement un système symbolique de simulation des développements possibles du déséquilibre global entre le Nord et le Sud, analysé au regard de six problématiques cruciales : l'explosion démographique, le sous-développement économique et la crise écologique du Sud, le contrôle politico-militaire, le monopole technologique et l'hégémonie culturelle du Nord.

      Pour faire l'expérience de cette installation, le public doit monter sur la plate-forme en rotation constante, symbolique du monde. Le visiteur peut alors identifier six zones d'écoute qu'il utilise à la manière d'appareils de radio et qui illustrent les différentes possibilités d'évolution ou d'involution des problématiques évoquées. Chaque participant pourra donc effectuer son propre choix, fixant le message sonore qui correspond à la solution qu'il considère comme la plus valable. Recueillant les données fournies par les différents participants, le système informatique en analyse les interactions et l'effet de feed-back, ajoute un facteur aléatoire et détermine finalement le degré d'équilibre de la plate-forme, situé entre une position parfaitement horizontale et une position d'inclinaison maximale. La recherche de l'équilibre de la plate-forme induit naturellement une dynamique de mouvements contradictoires qui devrait susciter chez les participants le désir de communiquer entre eux afin d'atteindre une meilleure synergie. Après 8 minutes, la performance s'arrête automatiquement, bloquant la plate-forme dans la position obtenue par les interventions des participants. Ceux-ci auront alors la possibilité de réfléchir au résultat atteint par leurs choix individuels et collectifs.

      Pour ce projet, je me suis fixé trois objectifs artistiques principaux : expérimenter un langage favorisant à la fois l'expressivité et la communication, et fondé sur le son plutôt que sur l'image; proposer au public une expérience ludique comme moyen d'interactivité collective; développer un discours politique, conçu en termes futuristes, autour de ce problème dramatique et central qu'est le déséquilibre Nord/Sud.

      En ce qui concerne le premier de ces objectifs, l'option choisie est née de la constatation suivante : dans la crise actuelle de « sur-information », l'image a une responsabilité et un rôle dominants par rapport aux autres formes de communication. Le son, et notamment sous la forme de message verbal, me semble être un mode de communication moins aliénant et plus fructueux lorsqu'on a le souci de la recherche d'une osmose empathique entre les individus. Associées au son, des expériences physiques comme celle de s'étendre sur la plate-forme, induisent une perception plus sensorielle et corporelle.

      Le second objectif est de concevoir le fonctionnement de l'oeuvre comme un jeu. La première référence est le manège, archétype traditionnel des rites populaires avec ses éléments de vertige physique et de participation collective. Cependant, la caractéristique ludique la plus importante est liée aux mécanismes de simulation des développements possibles de cette opposition Nord/Sud, dans l'interférence d'un facteur aléatoire et dans la finalité même de l'installation qui est d'atteindre une position d'équilibre horizontal du monde. Le jeu est donc assumé ici comme un moyen d'apprentissage et d'entraînement à la gestion d'un problème, qui par sa dimension macroscopique et sa gravité, semble échapper aux solutions politiques d'individus et de communautés spécifiques.

      Pourquoi enfin ce choix d'une thématique politique en un temps de crise, à la fois des idéologies révolutionnaires et des visions historiques du futur ? Ma réponse ne réside pas simplement dans un appel à la solidarité humaine mais dans la proposition d'une solidarité biologique plus complexe qui tienne compte de la globalité et de l'interdépendance de nos problèmes. Beaucoup de penseurs scientifiques comme Ylla Prigogine et Edgar Morin considèrent que le mode actuel de développement présente de graves risques pour la survie de toute la sphère biologique et donc qu'il est indispensable de modifier qualitativement ce modèle. Cependant dans ce contexte, il y a un scénario qui ne me semble pas assez évoqué : celui où les sociétés riches et prédatrices du Nord constitueraient un système de survie par rapport à la catastrophe écologique, à ce point artificiel et sophistiqué, qu'il diffèrerait ainsi la nécessité d'un saut qualitatif. Dans une telle situation, la raison politique doit nous conduire à imaginer un autre scénario, bien plus destructeur : l'émergence d'un conflit violent et endémique avec la multitude des exclus du Sud. Conflit déjà amorcé avec la « bombe » démographique et par les potentialités technologiques de l'Extrême-Orient. Le problème du rapport Nord/Sud, malgré le délai offert aujourd'hui par le processus d'intégration de l'Europe de l'Est à l'Occident, semble destiné à être plus présent aussi dans notre vie quotidienne d'habitants du Nord. Dans un texte récent, Edmond Couchot s'exprimait sur la nouvelle responsabilité de l'artiste qui aujourd'hui agit comme « interface » entre le réel et le virtuel. Personnellement, je suis porté à donner une interprétation plus large de cette nouvelle responsabilité de l'artiste dans les rapports avec le réel, une interprétation qui se situerait aussi à un niveau anthropologique.

      Piero Gilardi, Turin, 18 juin 1992.

      Quand Piero Gilardi reprend ses activités plastiques à partir de ses expériences transculturelles, il introduit de nouvelles technologies dans sa démarche, il combine ses expériences antérieures avec une nouvelle prise de conscience sur l'art, la science et la nature à travers une série d'uvres électroniques. Praticien et théoricien, il est pleinement armé pour affronter les défis et les enjeux de notre temps : l'accroissement démographique, les inégalités économiques, la menace sur l'environnement naturel, mais aussi les conséquences esthétiques des avancées technologiques et les rapports nouveaux entre le réel et le virtuel. Sa position personnelle ne fait qu'une avec sa fonction sociale ou politique, voire anthropologique. Chez Gilardi, la dimension humaine de réciprocité et de dialogue n'est jamais absente et l'on peut le considérer comme l'un des principaux créateurs qui a contribué au développement de l'idée-clé d'interactivité qui domine le secteur des arts liés aux nouvelles technologies.

      Frank Popper, septembre 1992.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      1. Les nouvelles technologies dans l'oeuvre.

      Le choix des technologies informatiques, pour ce travail comme pour les précédents, se fonde sur la possibilité que celles-ci offrent de créer un outil conceptuel ouvert, c'est-à-dire un modèle probabiliste de la réalité ou du futur qui soit maniable par tous. Ce choix s'inscrit dans les motivations, à la fois politiques et existentielles qui, il y a quelques années, m'ont poussé à expérimenter les nouvelles technologies, car je crois qu'elles sont ce nouveau médium qui peut donner un sens neuf et une vitalité nouvelle à des rapports sociaux aujourd'hui désagrégés et schizophrènes.

      2. L'esthétique spécifique des nouvelles technologies.

      Je veux tout d'abord éclaircir la signification du terme esthétique : tout ce qui constitue une pré-représentation symbolique ou subjective de la réalité en transformation est-il esthétique ? L'art, dans les deux dernières décennies, nous a enseigné que tout peut être art, et donc que tout peut être esthétique. Ainsi, le processus esthétique ne semble plus s'accomplir dans la formalisation et la codification cohérente d'un ensemble de signes esthétiques, mais bien davantage dans une position « en amont » et « en aval » du signe esthétique lui-même; c'est-à-dire soit dans l'intentionnalité expressive de l'artiste, soit dans la reconstitution opérée par les facultés perceptives de celui qui jouit de l'oeuvre d'art. Pour moi, c'est surtout « en aval » que se réalise le moment esthétique grâce aux technologies interactives qui offrent au public une expérience esthétique vécue en commun.

      3. Le réel saisi par les machines.

      Avant toute chose, je dois dire que je conçois le réel dans lequel nous sommes immergés comme un réseau de phénomènes interdépendants. Et même, le dramatique et réel déséquilibre mondial entre le Nord et le Sud est le résultat de la connexion de différents sous-systèmes, dont aucun d'entre eux n'est en mesure, seul, de modifier le système « monde » dans sa globalité. Alors qu'il ne me paraît plus imaginable qu'un individu puisse saisir par son seul esprit le véritable sens du réel, les technologies de la simulation informatique interactive sont aujourd'hui un moyen de se rapprocher davantage de la compréhension de la complexité du réel et de ses processus.

      4. Les nouvelles technologies dans la relation du public à l'oeuvre.

      Il me paraît désormais prouvé que la création artistique fondée sur le programme informatique inclut le spectateur dans le processus artistique lui-même, à travers le triangle relationnel artiste-programme-spectateur, mais il demeure néanmoins que la liberté créatrice de ce dernier reste une « liberté conditionnelle », comme dans le cas du système Nord versus Sud. Mon objectif est de faire en sorte que le processus d'autocréation du spectateur soit le plus libre possible. Un pas en avant dans cette direction peut sans doute être accompli avec ce que l'on nomme les algorithmes génétiques inventés par John Holland, et utilisés aujourd'hui par un certain nombre d'artistes.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      Né en 1942 à Turin, Piero Gilardi, après l'obtention de son baccalauréat au lycée artistique, se fait connaître en 1963 lors de l'exposition Machines pour le futur présentée à la galerie L'Immagine. Dans les années soixante, il développe une recherche sur les objets et les environnements et réalise en 1965 les premiers Tapis-Nature en polyuréthane expansé, inaugurant sa collaboration avec les galeries Sperone à Turin et Sonnabend à Paris. Pendant cette période, il expose ses travaux personnels à Paris, Hambourg, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et New York.

      En 1968, il interrompt sa production artistique et participe à l'élaboration théorique des nouvelles tendances qui se manifesteront dans le monde de l'art contemporain au cours des années soixante-dix : Arte povera, Land Art, Antiform Art. Il écrit dans des revues d'art, en Europe et aux États-Unis, proposant, pour définir la phase artistique du moment, le concept d'art micro-émotif. Enfin, il collabore à la création de deux grandes expositions rétrospectives d'art contemporain au Stedelijk Museum d'Amsterdam et à la Kunsthalle de Berne. En Italie, il organise des rencontres et des expositions d'artistes dont la renommée s'affirme. A Turin, il s'occupe de la fondation du Dépôt d'art présent, lieu alternatif conçu pour accueillir les artistes de l'Arte povera. En 1969, il cesse toute activité dans le monde de l'art et entame une longue expérience transculturelle pour éprouver l'affirmation théorique de la conjonction entre l'art et la vie. Militant de mouvements politiques, puis impliqué de façon très active dans les formes nouvelles de culture issues de groupes de jeunes, Piero Gilardi mène les expériences les plus diverses dans les banlieues urbaines, au Nicaragua, en Afrique, dans les réserves indiennes, pour développer une créativité collective plus largement répandue. Il mêle à ces expériences, un travail professionnel qui utilise l'art comme thérapie, en suivant dans les ateliers d'expression libre des patients en psychiatrie atteints de graves problèmes psychotiques.

      En 1981, il reprend son activité artistique, publie De l'art à la vie, de la vie à l'art, un livre de réflexion sur son expérience. De nouveau, il expose dans des galeries italiennes et européennes, présente des installations et des environnements qui sont souvent accompagnés de stages et d'animations avec le public. Dans l'optique d'un nouveau travail transculturel, Piero Gilardi expérimente les nouvelles technologies depuis 1985 et élabore