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Un hiéroglyphe moderne qui ne demande pas l’intelligence
d’un Champollion pour le décrypter, exige cependant une connaissance
basique et la capacité d’association pour deviner sa signification.
La compréhension de ce court-métrage dépend principalement
de la forme se trouvant dans les images. Excepté le titre en hiéroglyphe,
les mots et le commentaire ne sont pas nécessaires pour construire
l’intrigue de ce film. Il touche quatre genres de mémoires
: 1) la mémoire de l’obélisque sur son passé
et sur ses voyages ; 2) ma mémoire sur mes voyages en Égypte
et l’information que j’ai lue sur l’obélisque
; 3) la mémoire du développement des trains en France et
4) ma mémoire sur le sentiment d’être un étranger
chez moi à Taïwan.
L’association est rendue possible grâce à d’heureuses
similitudes entre l’obélisque et les trains. Et j’ai
découvert ces similitudes grâce à l’exposition
qui a eu lieu place de la Concorde. On a montré les ancêtres
de trains et des modèles différents qui marquent l’évolution
de la technique. Ainsi deux mondes apparemment sans lien ont été
noués ensemble. Tout comme le mot « Concorde » veut
signifier la paix, le but de ce film n’est pas de revendiquer le
retour de l’obélisque en Égypte, mais de raconter
une histoire imaginaire. Il s’agit aussi d’un film de voyage,
un « Road movie » . Bien que l’on voie le bateau, le
train et le cheval, bref, le moyen de transport, ce n’est pas ce
qui permet à l’obélisque de se mettre en route.
D’abord, on voit un contraste de couleurs entre deux fleuves et
deux paysages respectifs. Pour celui qui est sensible, il éprouve
déjà la sensation du dépaysement. Au début,
le sujet ou le héros de l’histoire n’est pas précisé.
On ne sait pas de qui parle ce film, du bateau, du train, de la tour Eiffel
ou de l’obélisque. Puis on a réduit le champ abordé.
Le film se limite à un duel entre le train et l’obélisque.
Il semble que l’obélisque soit curieux de savoir ce qu’est
un train. Puis, il s’amuse en jouant avec ses propres reflets déformés
sur les vitres des trains. Avec un bruit croissant, le rythme de ses défoulements
s’accélère. Ayant été piqué par
la pointe du pyramidion, le cheval a réussi à envoyer l’obélisque
d’un seul coup à Louxor comme si c’était dans
un rêve ou dans une hallucination. Ensuite, le rythme ralentit soudainement.
On s’immerge dans une ambiance chaude et nonchalante qui favorise
la contemplation et la réflexion. L’idée d’employer
ce processus magique pour déplacer l’obélisque vient
de l’histoire d’une compétition sur la vitesse parmi
une flèche (la forme de l’obélisque), un cheval mythique
(en pierre) et l’esprit (la voix intérieure du narrateur).
Je l’ai modifiée avec un peu d’humour. En fait, le
véhicule le plus rapide et performant du monde, n’est ni
le TGV, ni l’avion, mais notre pensée. Et dans le cas de
mon film, c’est la mémoire qui renvoie l’obélisque
à l’autre bout du monde, en plus, dans le passé, à
condition que la situation présente soit favorable pour rappeler
son souvenir et déclencher ce voyage.
Quels sont les éléments qui nous permettent ce rapprochement
entre le train et l’obélisque ? D’abord, l’obélisque
est en forme d’aiguille, en gros, le train aussi. L’obélisque
pénètre dans le temps, assure le lien entre le passé
et le présent et aide leur coexistence de façon verticale.
Le train avance en vitesse horizontalement, raccourcit la distance entre
deux endroits différents. Il établit ainsi un pont entre
ici et ailleurs. La passerelle des Arts sous laquelle le train est passé
rassure non seulement le lien entre les rives gauche et droite de la Seine,
entre l’Institut de France et le musée du Louvre, mais évoque
aussi de façon subtile la mission assignée à l’obélisque
en le transplantant dans la capitale de la France.
Ensuite, le décor de la place de la Concorde et le ciel parisien,
souvent maussade, ne correspondent pas à ceux qui se trouvent à
Louxor. Malgré la proximité d’une station du métro
qui s’appelle « Pyramides », à côté
de la place, devant le musée du Louvre, il y a des pyramides de
verre et une inversée, et à l’intérieur du
musée, se conservent beaucoup d’objets égyptiens,
mais cela ne suffit pas de consoler le manque de l’obélisque
de son pays où le soleil brille toute l’année, où
le sable du désert le caresse de temps en temps et où le
murmure du Nil berce son sommeil. « Comme il doit s’ennuyer…Comme
il doit regretter son Nil » , commentait Gustave Flaubert. Dans
un film de Pasolini, Médée, lorsque la toison était
arrachée de son lieu de culte, sa magie disparaissait aussitôt.
De même que l’obélisque qui symbolise la première
terre recevant la lumière du soleil, loin de chez lui, revêtu
par une couche d’or sur le pyramidion, hors de son contexte, n’est-il
qu’un bloc de pierre qui ne signifie plus rien ? Bien que dans l’esprit
de Champollion, l’obélisque doive contribuer à éveiller
les Français à l’art , érigé au milieu
de la place de la Concorde, il devient un symbole équivoque et
controversé. C’est la raison pour laquelle dans sa dépression
éternelle à Paris, un jour lorsqu’il a vu un train
transporté par un bateau sur la Seine, puis déposé
sur la place de la Concorde, il éprouve un fort sentiment de «
déjà-vu » . Alors, cette scène lui rappelle
son propre passé. Dans une carrière aux alentours d’Assouan,
une fois taillé et arraché au rocher, on l’a mis dans
un navire. Ainsi a commencé son voyage vers Louxor sur le Nil pendant
des jours. Cet événement date plus de trois mille deux cents
ans. Son autre souvenir du voyage plus récent qui a duré
deux ans a été entamé peu après la mort de
Champollion en 1832, il y a moins de deux cents ans. Cette fois-ci, il
a traversé la Méditerranée. C’était
une véritable odyssée.
Le film commence au moment où l’obélisque se trouve
déjà à Louxor en attendant le débarquement
sur la rive occidentale du Nil, car il est rentré en Égypte
non seulement pour voir le temple de Louxor et son frère jumeau,
mais aussi pour révérer les pharaons dans les vallées
des morts en traversant le Nil. Il raconte ainsi ce qui s’est passé
à Paris et pour quelle raison il est dans un bateau. C’est-à-dire
ce film est en fait un flash-back de sa mémoire très récent
dans laquelle s’emboîtent d’autres mémoires plus
anciennes, non illustrées. À la fin du film, au moment du
soleil couchant, en quittant la rive occidentale, il est sur son chemin
de retour. La nuit va bientôt tomber. L’atmosphère
est à la fois familière et inconnue. Sous le même
soleil et sur le même Nil, il n’a plus le mal du pays, son
esprit a été réconforté. Après toutes
ces agitations, il redevient calme. Mais c’est un calme mêlé
de tristesse. Vu le changement méconnaissable, très déçu,
il pousse un long soupir. Entre-temps, à son insu, une autre nostalgie
naît. Et cette fois-ci, c’est pour son pays adoptif. Il pense
à un autre retour. Cela est justement ce que j’ai ressenti
lors de mon dernier séjour à Taïwan. Tout comme l’obélisque,
je ne suis nulle part chez moi. Je suis un double étranger qui
rumine silencieusement une double solitude. En fin de compte, l’histoire
de l’obélisque est aussi la mienne. Je cherche un retour
qui n’existe plus dans le temps et dans l’espace . Ainsi à
la fin du film, lorsque l’on voit le titre en français, on
se demande de quel retour il s’agit. Le retour que l’on vient
de voir, un peu décevant, peut devenir la cause d’un autre
retour imminent : le retour à Paris. C’est la raison pour
laquelle le titre lisible est situé à la fin du film. De
cette manière, il peut à la fois résumer les images
précédentes et annoncer celles qui vont peut-être
suivre. Ainsi à travers ce court-métrage pendant moins de
trois minutes, on parcourt des milliers d’années depuis notre
époque et à des milliers de kilomètres. Cela démontre
bien le pouvoir de notre mémoire. D’une autre façon,
on peut dire que tout ce que l’on voit dans ce film représente
en effet le regard intérieur ou le souhait de l’obélisque.
Il est toujours à Paris, sans bouger d’un pouce, seulement
dans le présent qui avance sans cesse, son esprit a été
emporté à Louxor par sa mémoire. Grâce à
ce rêve diurne, il se détache de sa vie monotone et oublie
un instant la pollution et le bruit de la circulation.
Dans ce court-métrage, je mélange quatre groupes d’images
: 1) les images des trains exposés sur la place de la Concorde
; 2) les images filmées en 2004 en Égypte incluant les traversées
et l’approche de l’obélisque en accélération
devant le temple de Louxor ; 3) les images du train transporté
par un bateau sur la Seine qui passe sous la passerelle des Arts ; et
enfin 4) les images de l’obélisque inachevé à
Assouan. Les quatre groupes d’images ont été enregistrés
à quatre moments différents. Les deux premiers ont été
faits uniquement pour garder des images dans mon souvenir sans intention
d’en faire quoi que ce soit. Par contre le troisième groupe
d’images a été attendu ou programmé après
avoir entendu à la radio la date de cet événement,
car à ce moment-là j’avais déjà eu l’idée
de l’intégrer dans mon récit. Dans la première
version de ce film, le quatrième groupe d’images n’a
pas encore existé. À sa place, j’avais mis symboliquement
l’image fixe d’un petit morceau de l’obélisque
brisé qui se trouve dans le temple de Karnak à côté
du lac sacré. En profitant de ma troisième visite en Égypte
pendant les vacances de Noël 2007, je suis allé exprès
à Assouan pour récupérer ou réactualiser l’image
qui était restée dans ma mémoire il y a quatorze
ans : à cause du défaut rencontré, l’obélisque
aux trois-quatre dégagé du granit a été laissé
inachevé. Lorsque j’ai conçu ce film, les deux premiers
groupes d’images sont entrés tout de suite dans mon esprit.
Connaissant déjà la structure de mon histoire, alors j’ai
pu envisager le genre d’images dont j’avais besoin pour compléter
mon film. Grâce aux deux derniers genres d’images, le spectateur
peut comparer plus facilement la forme de l’obélisque avec
celle du train. L’image de l’obélisque inachevé
allongé au sol, à part montrer sa taille impressionnante,
elle fait aussi allusion à la façon dont l’obélisque
a été transporté dans un navire sur le Nil. Ce court-métrage
a été réalisé grâce à la mémoire
de ce que j’ai déjà lu, vu et filmé. Cela veut
dire que la mémoire est vraiment la base de la création
artistique. Plus on garde de choses en mémoire, plus on dispose
de ressources. Lorsqu’une inspiration se forme à partir de
ce que l’on a dans la main, on peut mieux organiser le travail en
y ajoutant les pièces manquantes.
Je relate ici une anecdote sur la réception de ce court-métrage.
Dans un séminaire, j’ai montré ce film à mes
camarades. On m’a conseillé d’ajouter quelques images
qui servent d’informations pour que mon propos soit plus explicite.
Ainsi, pendant une semaine, j’ai hésité à modifier
mon film. Un jour, j’ai fait voir ce film à mes élèves
du cours de Chinois et leur ai demandé s’ils ont compris
mes messages. À ma surprise, une élève raconte ce
qu’elle a saisi, ce qui correspond exactement à mon intention.
Pourtant elle ne connaît pas très bien l’histoire de
l’obélisque. En plus, elle n’est même pas amateur
de cinéma. Ce qui est sûr, c’est qu’un courant
est bien passé entre ce film et elle, sans avoir besoin d’explication.
Alors, j’ai laissé le film tel qu’il est, sans changer
quoi que ce soit. Ce phénomène suscite des réflexions:
Quelle est l’attitude la plus convenable chez le spectateur pour
l’appréciation d’une oeuvre ? Du côté
de l’artiste, quelle est la place du spectateur durant sa création
? Je vais en parler à une autre occasion.
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