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Fille de journaliste.
Petite-fille de journaliste.
Deux fois nièce de journalistes.
Il y a eu des alliances également, et qui sait des générations à venir…
Ca fait beaucoup de cartes de presse. Il paraît même que le parrain de mon grand-père en posséda l’une des toutes premières en France…
Et moi ? Où me situer ? Car à défaut d’hérédité, il y a un « héritage », ou plus exactement, un conditionnement en lieu et place d’une véritable prédisposition…
Ma mère est journaliste, employée par une grande chaîne du service public. Journaliste ? Plus qu’un métier à plein temps, un métier à « pleine famille », déterminant un environnement quotidien où la télévision au foyer n’est plus tant un élément du décor que le foyer un décor de télé… Notre salon, notre cuisine, la chambre parentale,… autant de plateaux pour une actualité exclusive, une information en continu…
Il y a les appels aussi, qu’elle appelle, qu’on l’appelle, qu’elle m’appelle ou que je l’appelle.
« Allo, c’est maman, ne quitte pas…dites lui d’enregistrer pour quinze heures…le préfet fera une annonce… trois morts, quatre blessés, dont deux pas très frais…la gendarmerie est au courant…j’en parlerai en conf’critique…les parents refusent de donner l’interview…mais la neige bloque les route…à priori la CFDT était contre…ont-il fini de tourner…Clémence, as-tu pensé à acheter du pain ? »
Il y a la radio bien entendu, avec une moyenne de deux postes dans chaque pièce. D’ailleurs, je suis un bébé « France Info », bébé branché dont la mère se réveille et s’endort au son des flashs spéciaux, le transistor calé sur l’oreiller…
Et il y a les canards, les journaux, quotidiens et hebdomadaires d’actualité rapportés chaque semaine, régulièrement triés, toujours renouvelés, mais qui s’entassent en piles inépuisables. Enfin, à chaque JT vus ensemble, il y a les commentaires, les analyses, les rumeurs ou secrets d’alcôve également ; les impératifs surtout… « Taisez-vous ! C’est mon service qui a traité le sujet ! » Et je me tais. Mais à force de l’avoir trop entendu, je n’écoute plus…
Le conditionnement crée des réflexes, mais tue les aptitudes. Tel est le constat de vingt et un an de médias et d’informations à domicile : trop habituée aux images, à certains modèles d’analyse et de décryptage de l’information, de « l’image journalistique », assimilés par la force des choses depuis l’enfance, par mimétisme sans doute, l’habitude semble prendre peu à peu le pas sur la curiosité. L’actualité permanente est devenue redondante, car si l’information est là, toujours là, constamment là, parfois grave, elle est complètement dédramatisée, sans les artifices des plateaux télés, sans l’emphase des communiqués de presse, traitée sur un buffet de cuisine, devant une table à repasser, entre deux recommandations domestiques, ou bien encore au lit, avant de s’endormir…
L’information est vécue en coulisses, toujours inédite, mais à force de l’avoir trop vue, trop entendue, il me semble qu’on ne la regarde même plus, qu’on ne l’écoute plus…
L’information n’est plus qu’anecdote, empreinte des débordements de la sphère des médias dans mon quotidien.
Enfin, on m’a fait remarquer ces quelques mots de ma mère, lancés tel un credo à la fin de chaque coup de fil : « tu me tiens au courant ». Bébé branché, je suis toujours au courant, mais ne sais pas ce qui s’est passé ; j’ai tout entendu, bien plus que d’autres, mais ne sais pas ce qui a été dit…
Je me mets alors derrière la caméra et la filme, elle qui me fit déjà filmer enfant pour les besoins d’un reportage, « bébé branché » alors très pro… et cherche des modalités de prises de vues qui puissent correspondre à mon quotidien, à cet environnement familial où ma mère au travail n’est parfois plus qu’une télé allumée, sa voix une radio qu’on aurait oublié d’éteindre, et où l’information qui y circule sous toute ses formes ne sonne désormais plus, que comme une litanie sans fin…
Je saisis donc ces éditions quotidiennes comme chroniques d’un véritable « enfant de la télé », mais ma mère toujours présente, n’est jamais filmée de face, car les sujets d’actualités, non orchestrés, non médiatisés et non télégéniques ne sont désormais plus qu’en arrière plan du quotidien…
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